Politique: l'arrivée de Pierre Curzi

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tuberale
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Curzi, entre Napoléon et Pierre

Faut-il croire les comédiens en politique?



L'arrivée d'un éminent comédien sur la scène politique québécoise soulève des questions passionnantes: faut-il croire ce champion des masques et des feintes? Quelles compétences apporte-t-il en politique? Que nous dirait Shakespeare à ce sujet? Et Diderot? Enfin, parmi deux de ses grands rôles, le Napoléon des Plouffe et le Pierre du Déclin, lequel l'inspire le plus dans sa «nouvelle vie»? Entretien.

Qu'ont en commun Ronald Reagan et Pierre Curzi? Cette question, bien sûr, a l'air d'une mauvaise blague. D'ailleurs, lorsqu'on la pose au comédien québécois devenu officiellement, cette semaine, candidat péquiste dans Borduas, il éclate d'un rire un peu déconcerté: «Je ne sais pas. J'ai de la difficulté à m'identifier à lui, en tout cas.» Il reste que, comme Reagan, Curzi a été président d'un syndicat, l'Union des artistes. Comme Reagan, il fait le saut en politique. Comme Reagan, il a un mariage durable avec une comédienne, Marie Tifo.

Certes, la comparaison est très imparfaite. Surtout que dans L'Aut' Journal, en septembre 2006, avant d'annoncer qu'il plongeait en politique, Curzi désignait les Reagan contemporains comme des ennemis. Dénonçant le cynisme à l'endroit de la politique qui décourage tout un chacun de s'engager, il disait déplorer que «pendant ce temps, les conservateurs prennent le pouvoir partout, et ils le prennent en symbiose avec une oligarchie économique toute-puissante». Autrement dit, engageons-nous.

Bref, «Reagan»? Non, Pierre Curzi serait sans doute «plus proche d'Arnold Schwarzenegger, le plus à gauche des politiciens-acteurs républicains», s'amuse Marie-Thérèse Fortin, directrice du Théâtre d'Aujourd'hui et ancienne porte-parole de Théâtres associés (TAI, l'association des troupes institutionnelles de langue française). D'ailleurs, Curzi lui-même souligne que le «Governator» n'a pas que des défauts: «Il a pris des décisions intéressantes en matière d'environnement en Californie. Il ne se résume sans doute pas à ses gros bras! Il y a du cerveau chez Arnold.»

Plus sérieusement, certains obstacles se dressent devant tout comédien qui entre en politique, note Pierre Curzi. Le lien de confiance avec les électeurs ne se fait pas toujours d'emblée.

Premièrement, il y a une question de «crédibilité». L'idée selon laquelle un comédien n'est au fond qu'un porte-parole d'un autre, d'un auteur, qu'il n'a en somme pas de «fond» à lui, est répandue. Contrairement aux «gens d'affaires» ou à des professionnels comme les avocats, le comédien a un certain travail à faire sur ce plan. «On est toujours pris pour faire la preuve qu'on est des êtres humains pensants et que notre intelligence peut s'appliquer à autre chose que de répéter des textes. Ç'a été le même problème quand je suis arrivé dans le syndicalisme ou dans le domaine des affaires», raconte Pierre Curzi, qui présidera jusqu'au 8 février le Fonds d'investissement de la culture et des communications (FICC).

Dans le cas de Curzi cependant, le test de crédibilité n'a pas été trop difficile. Selon des observateurs, ce n'est pas le cas d'autres artistes-politiciens (pensons à Guy Richer, qui vient d'obtenir dans la controverse la candidature bloquiste dans Louis-Hébert). Curzi a de l'expérience. Non seulement comme comédien (avec un total de 51 films en carrière) mais aussi comme président de l'Union des artistes, pendant presque neuf ans. Sans compter son rôle sur la scène internationale comme coprésident de la Coalition pour la diversité culturelle, laquelle a atteint son objectif en 2003: faire adopter par l'UNESCO une convention internationale sur la question.

Marie-Thérèse Fortin, qui était l'interlocutrice de Curzi en 2005, lors du conflit de travail qui a opposé les comédiens et les théâtres -- à propos du paiement des heures de répétition --, se souvient d'un contradicteur coriace. «Parfois, j'ai été surprise par la virulence de certaines de ses déclarations.» Le 7 mars 2005, le président de l'UdA se fâche: «Une "insulte". Une "fâcheuse situation". De l'"irrespect". De la "désinformation". Un "manque de parole"», martèle-t-il à propos de l'attitude de TAI.

En décembre 2005, Pierre Curzi condamne le Parti libéral du Canada, qui a repris, dans une publicité électorale devenue célèbre, le concept de l'improvisation, avec les bandes, etc. Asticoté par Benoît Dutrizac pour savoir si l'UdA aurait aussi condamné l'utilisation, par un parti souverainiste, du concept de l'impro, Pierre Curzi éclate: «Coudonc, je parle-tu français? C'est le vol de la propriété intellectuelle dont on parle!»

En fait, Pierre Curzi est «entré en politique» depuis longtemps, estime Mme Fortin.

Un deuxième problème se pose au comédien qui souhaite représenter ses commettants. Certains parmi ceux-ci se méfient de ces gens rompus aux méthodes de communication et qui ont l'habitude d'incarner des personnages, de feindre tous les types d'émotions, de porter des masques. C'est du moins ce qu'on avait répété à satiété à propos de l'acteur Reagan.

Dans notre «démocratie d'opinion» où les médias jouent un si grand rôle, les comédiens semblent avoir une longueur d'avance pour ce qui est de la gestion de l'image, de la prise de parole en public. Cela nous ramène en fait au débat sur «le syndrome de Pinocchio», d'après le titre d'un essai d'André Pratte -- qui s'était attiré les foudres de l'Assemblée nationale --, dans lequel l'auteur soutenait qu'il y a omniprésence du mensonge en politique. Et les comédiens, eux, dans ce monde, doivent-ils être vus comme des athlètes de la dissimulation, des «supermenteurs»?

Curzi proteste: «Ce qu'on devrait savoir, c'est qu'un comédien sait aussi trouver le chemin de la vérité. S'il y a quelque chose qu'il est capable de faire, c'est se brancher directement sur ses convictions, sur ses idées.» Autrement dit, jouer n'est pas mentir puisque tout bon jeu est fondé sur une vérité.

Être vrai dans la vie détermine la qualité d'un comédien, ajoute Marie-Thérèse Fortin: «Un acteur, s'il veut être bon sur scène, ne peut pas jouer dans la vie. Ce qui nourrit le jeu sur scène, c'est la vérité de la vie. Si tu falsifies la vie en dehors de la scène, tu vas avoir du mal à la représenter sur scène.»

Au reste, les meilleurs politiciens ne sont-ils pas aussi de grands comédiens? En effet, reconnaît Curzi: «Oui, puisque les meilleurs politiciens essaient toujours de rester en contact avec ce qu'ils sont vraiment. Parce qu'ils savent très bien qu'au bout du compte, pour convaincre, [...] on doit agir selon les principes les plus fondamentaux en soi.» Ainsi avoue-t-il ceci: «Moi, je joue à être un politicien comme j'ai joué à être un président de syndicat. Mais la réalité, c'est que je joue comme un enfant joue: j'y crois, j'investis et, finalement, j'agis.»

Toute cette crainte envers les comédiens en politique est vaine, croit Gérald Allard, philosophe passionné et expert de Shakespeare, qui enseigne à l'Université Laval. Tout simplement parce qu'ils sont loin d'être les seuls à «jouer». Rappelons-nous ce qu'a écrit le grand William dans Comme il vous plaira: «Le monde est une scène. Et tous, hommes et femmes, ne sont que des acteurs. Ils y font leurs entrées, ils y font leurs sorties. Et chaque homme y joue maint rôle dans sa vie.»

Par conséquent, dit simplement Marie-Thérèse Fortin, «en politique, un comédien comme Pierre ne fera ni plus ni moins semblant que les politiciens actuels».

Mais on a beau insister sur la vérité qui «fonde le jeu», ce n'est là qu'un des nombreux aspects du théâtre. Pensons au «paradoxe du comédien», qu'a souligné Denis Diderot. Selon ce dernier, pour bien jouer, l'acteur ne doit pas éprouver les sentiments qu'il veut susciter chez le spectateur.

Pierre Curzi voit ici des avantages politiques, voire une arme: «Peut-être que ça me donne une espèce de distance qui fait que je ne suis pas pris dans l'apparence puisque j'en suis conscient. Ça, ça peut être une arme extrêmement puissante. Il y a une sorte de détachement par rapport au rôle officiel.»

Par ailleurs, au cours de sa carrière, Pierre Curzi a incarné certains des personnages les plus marquants de l'histoire du cinéma québécois. (D'ailleurs, lors de la prochaine soirée des Jutra, le 18 février, on lui décernera un Jutra-hommage.) Parmi ceux-là, il y en a deux extrêmement différents: Napoléon Plouffe (Les Plouffe, de Gilles Carle) et le Pierre du Déclin de l'empire américain (de Denys Arcand).

À propos du premier, il ne tarit pas d'éloges: «C'est un archétype des Québécois [...], un de mes plus beaux rôles, car il rejoignait beaucoup de gens. Il incarnait une partie de ce que les Québécois sont. Donc, ç'a été pour moi une manière de m'approprier le pays à la fois comme immigrant mais aussi comme citoyen, comme homme», racontait-il récemment en entrevue.

Quant à l'autre, le Pierre du Déclin, professeur d'université raffiné, un peu désabusé, cynique et libertin, il dit s'en être toujours senti «très près». Mais justement, explique-t-il, son engagement politique, il le voit comme une manière de résister à ce Pierre du Déclin qui sommeille en lui. «C'est une attitude mentale que, maintenant, je combats. Même si elle est séduisante, elle n'est pas très riche.»

À ses yeux, d'ailleurs, la fin du personnage de Pierre telle qu'elle est présentée dans L'Âge des ténèbres -- la suite des Invasions barbares, qui était une suite du Déclin -- est très instructive: «C'est étrange, parfois, la fiction... Ce personnage-là se retrouve assez seul. Et je comprends: ça m'apparaît être une conséquence très plausible du cynisme par rapport à la vie.»

Sa conviction selon laquelle il était temps pour lui de plonger dans la mêlée politique s'est raffermie lorsqu'il a revu, récemment, un des autres grands films d'Arcand, Le Confort et l'Indifférence, documentaire acide sur la campagne référendaire de 1980. Après la défaite du OUI, plusieurs personnes de sa génération ont abandonné leurs idéaux et sont devenues cyniques, à l'image du Pierre du Déclin.

«Si ma génération s'abandonne au confort et à l'indifférence, ce sera une génération qui mourra coupable», clame-t-il, car elle a «beaucoup reçu de la société et, maintenant, elle doit lui en rendre une partie», répète-t-il sur toutes les tribunes.

Heureusement, il y a de l'espoir, insiste-t-il. Il constate que plusieurs personnes de son âge (il a 61 ans) travaillent comme bénévoles. «Je vois beaucoup la ferveur dans leurs yeux, qu'il est assez facile de les réenflammer, et ça me rassure.» Selon lui, plusieurs «pensent à l'héritage» et se disent qu'«on ne peut pas partir sans s'être assuré qu'on a fait tout ce qu'on pouvait pour se donner un pays [...]. On ne peut pas crever sans faire un sérieux effort, sans mettre l'épaule à la roue encore une fois».

Le comédien s'arrête à l'autre bout du fil. Il sait, dit-il, que «tout cela, c'est un peu héroïque, j'en suis conscient. Et je ne veux pas jouer au héros». Méfiant envers son propre personnage de politicien, il conclut: «J'essaie de ne pas me faire trop d'illusions, j'essaie de ne pas me la jouer tout en continuant de rêver. J'essaie de rester bien concret. Entre Napoléon et Pierre, je navigue.»
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