C'est la vie! - Le retour du gars-gars
Entretien avec Patrice Robitaille
Josée Blanchette
Édition du vendredi 21 octobre 2005
Après des années d'errance rose, le revoici dans toute sa splendeur exaspérante, sa trépidante inconscience et sa virile gaucherie: le gars-gars. Le qui s'assume, qui s'en vante, qui s'en sort, même les culottes baissées, et dont on s'ennuyait presque. Digne représentant de cette espèce jadis menacée, le comédien Patrice Robitaille incarne avec beaucoup de naturel cet énergumène attachant à qui on veut tantôt arracher la tête, tantôt zigouiller les couilles. Tant dans la télésérie Les Invincibles, écrite par le comédien François Létourneau, que dans les films L'Horloge biologique et Québec-Montréal que Robitaille a coscénarisé avec ses copains Jean-Philippe Pearson et Ricardo Trogi, le comédien renoue avec le salaud de bonne famille, sans vergogne et sans intelligence émotionnelle, celui qui est prêt à faire boire du jus d'orange «contraceptif» à sa blonde pour ne pas vieillir trop vite.
Patrice Robitaille, François Létourneau, Rémi-Pierre Paquin et Pierre-François Legendre dans leurs rôles de la télésérie Les Invincibles. Source: SRC
Avec raison, certains hommes plus évolués lui en veulent de leur tailler une réputation de Cro-Magnon et les femmes l'évitent comme une lunette de bol de toilette dans un bar. «Les filles ne m'approchent pas parce que je joue des rôles de crosseurs», dit ce beau gosse de 31 ans très en demande, tant au cinéma qu'à la télé. On a pu l'admirer récemment dans Le Survenant, Saints-Martyrs-les-Damnés, et il incarnera bientôt Butch Bouchard dans le film Maurice Richard de Charles Binamé.
«Je suis quelqu'un de gentil. Ce ne sont pas nos vies à l'écran, même s'il y a du vécu et que je picosse à droite et à gauche pour alimenter le scénario. On tire des ficelles pour rendre ça intéressant», ajoute-t-il pour défendre ses propres films. Une femme au fond du resto où nous prenons un thé iranien se met à rire en entendant Robitaille. Elle me lance : «L'avez-vous vu hier à poil dans Les Invincibles ?» Vérification faite, la photo était un trucage. Dommage. Je vais finir par croire que Patrice Robitaille joue vraiment des rôles de composition.
Miroir, ô miroir
Chaque mercredi soir, j'observe Steve, l'un des quatre Invincibles, délinquant sensuel qu'incarne avec l'aplomb de l'expérience un Patrice Robitaille tout à fait crédible. Cette série-culte (c'est une prédiction, pas un fait) accroche autant mon Namour de 30 ans que ma mère qui en a vu d'autres, c'est dire combien elle ratisse large. Je me marre doucement tout en éprouvant un léger malaise pour ces gars du début de la trentaine qui ne semblent pas avoir beaucoup évolué depuis l'époque où ils vénéraient Goldorak.
De purs adulescents de leur temps, nos Invincibles ont beau scander «Couilles et Solidarité», ils sont à la fois individualistes, poltrons et immatures. Ces Invincibles sont de purs «innocents», au sens mince du terme, à qui la peur de l'engagement donne un peu de profondeur. «Tu ne les voudrais pas comme chums, m'assure Patrice Robitaille, mais comme amis, oui. Ils sont jeunes, égoïstes, centrés sur leurs petits plaisirs, mais c'est sans prétention, sans malice, au ras des pâquerettes. Ils ont un côté bon-enfant qui les rend sympathiques. Les Invincibles, c'est la vengeance des gars qui ne pognaient pas au secondaire.»
«Les filles aiment les vrais bums, pas les trous de cul naïfs mais les trous de cul compliqués qu’elles vont essayer de changer», dit Patrice Robitaille, ici dans une scène du film L’Horloge biologique. Source : Alliance Atlantis Vivafilm
«Si ça dérange autant, c'est que ce n'est pas si caricatural, poursuit Robitaille, alias Steve. Si les gars sont fâchés du portrait qu'on fait d'eux, qu'ils se posent des questions. Mais c'est jouer à l'autruche que de penser que les gars entre gars ne tiennent pas ce genre de discours tôtons. Les bars de danseuses et la partie de baseball, ça existe pour vrai, même si tous les gars n'y vont pas.»
Se disant incapable de fournir une définition étoffée des mots «macho» ou «métrosexuel», Patrice Robitaille apprécie d'être cantonné dans les rôles de mauvais garçon. «Ce sont des rôles avec de la viande. Je ne suis pas encore tanné de jouer ça. On essaie de faire autre chose que ce qu'on est... et puis, c'est plus facile de jouer les trous de cul quand tu es un gars. Une fille qui ferait la même chose, ce serait plus... troublant !»
Catharsis 101
Les Invincibles sont devenus une véritable catharsis pour Namour. Un sourire de demeuré flotte sur ses lèvres durant toute l'heure que dure la série. Comme bien des spectateurs du sexe fort, il projette, il fantasme allègrement sur cette bande de zoufs qui s'assument intégralement. «Tous les gars ont ce gène du gars-gars en eux, convient Patrice Robitaille. Je ne m'identifie pas à eux mais il y a une part de chaque gars dans ces personnages.»
Un gars ordinaire qui se trouve «bien ordinaire», ce comédien provocateur estime que les Québécoises sont non seulement plus intelligentes émotionnellement et plus empathiques dans leurs relations sociales, mais également beaucoup plus belles que leur pendant masculin : «Le côté blonde-trophée est inévitable au Québec. Les filles sont beaucoup plus belles. Si les gars ont des miroirs chez eux, ils doivent le réaliser !»
Lorsque je lui apprends qu'une de mes amies à couper le souffle figure à son tableau de chasse (ou l'inverse), il se tortille sur sa chaise, rougit vaguement et s'excuse presque de ne pas l'avoir demandée en mariage. Confidence pour confidence, je réussis à lui faire cracher le nom de la future mère de ses enfants : la superbe Élisapie Isaac, chanteuse inuite du groupe Taima, avec qui il entretient une relation quasi confidentielle depuis deux ans (je viens de scooper 7 Jours et j'en suis pas peu fière !).
«La plus belle affaire au monde, c'est de penser à quelqu'un d'autre. Avoir des enfants, c'est avoir le goût de donner, de passer à une autre étape dans ta vie de couple. On calcule trop, de nos jours, avant d'avoir des enfants. Ça devrait être plus spontané. Je ne veux pas mettre au monde un comptable !», dit celui qui a incarné des hommes incapables de tourner la page sur l'insouciance de leur jeunesse pour affronter les secousses sismiques de la paternité.
«On ne devient pas nécessairement conformiste parce qu'on a un enfant. La génération d'hommes avant nous ne parlait pas, elle était pognée. Moi, j'ai le courage d'être honnête, de dire ce que je pense. J'aurai aussi celui de défendre ma famille. Même si c'est moins physique qu'avant, il y a certains instincts qui ne doivent pas se perdre. Mais, entre nous, il en va de nos amis comme de nos films : ils sont bien plus l'fun quand ça va mal dans leur vie. Mais moi, j'aime mieux quand ça va bien dans la mienne !», achève-t-il avec un sourire aussi désarmant que sa sincérité.
Si le prochain film de la bande Trogi-Pearson-Robitaille nous fait bâiller d'ennui, on saura au moins qu'ils ont trouvé le bonheur tranquille et qu'on ne réinvente pas le monde à chaque génération.
cherejoblo@ledevoir.com
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