Le mercredi 11 juin 2008
Affaire Couillard: Une autre démission chez les conservateurs
Joël-Denis Bellavance et André Noël
La Presse
Une enquête menée par La Presse sur un trafic d’influence impliquant Julie Couillard a conduit, hier, à une deuxième démission en trois semaines dans le gouvernement Harper.
Cette fois, c’est le conseiller politique de Michael Fortier, Bernard Côté, un autre ancien amant de Mme Couillard, qui est tombé. La Presse avait auparavant découvert que Julie Couillard a utilisé ses relations amoureuses avec M. Côté et avec l’ex-ministre Maxime Bernier pour tenter d’influencer le gouvernement en faveur d’un promoteur immobilier, le Groupe Kevlar inc., auquel elle est affiliée.
M. Fortier, ministre des Travaux publics, a convoqué son conseiller politique, Bernard Côté, ancien vice-président du Parti conservateur, lorsque La Presse a interrogé le ministre à la suite de son enquête journalistique, hier. M. Côté a reconnu les faits et a offert sa démission, que M. Fortier a acceptée. C’est la deuxième démission en ligne dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper, provoquée encore une fois par les liaisons sulfureuses de Julie Couillard.
«Cette question a été portée à mon attention aujourd’hui seulement», a indiqué M. Fortier dans un courriel. M. Côté avait omis de m’informer que lorsqu’il entretenait une relation intime avec Julie Couillard, elle tentait d’obtenir un contrat du gouvernement pour Kevlar et qu’elle avait soulevé ce dossier avec M. Côté.
«M. Côté aurait dû éviter de traiter de ce dossier, ce qu’il n’a malheureusement pas fait. M. Côté m’a offert sa démission et je l’ai acceptée. J’ai toujours insisté auprès de mon personnel politique qu’il divulgue tous les échanges avec des fournisseurs dans un contexte où ils font des requêtes pour des propositions.»
«Quand les Canadiens ont élu le gouvernement conservateur en 2006, ils s’attendaient à plus d’imputabilité et de transparence à Ottawa, en particulier au ministère des Travaux publics, et c’est ce que je m’emploie à faire», a ajouté M. Fortier, qui affirme ne pas connaître Mme Couillard.
Il a été impossible, hier, de parler à Mme Couillard et à M. Bernier, qui a lui-même présenté sa démission il y a deux semaines. Le président du Groupe Kevlar Inc., René Bellerive, a répété ce qu’il avait déjà indiqué dans un communiqué.
«La seule chose que Mme Couillard a, elle a sa licence (d’agent immobilier) qui est accrochée à ma licence de courtier (immobilier), a-t-il dit, hier. Elle n’a pas de bureau dans mon bureau, elle n’a jamais travaillé dans mon bureau, c’est pour ça que les employés ne la connaissent pas. On lui a seulement fait la faveur d’accrocher sa licence à ma licence de courtier et on n’a fait aucune transaction avec elle.»
Le Groupe Kevlar, qui a un lien d’affaires sur le Stationnement Dorchester dans le quartier Saint-Roch à Québec, propose ce terrain pour construire un édifice regroupant les 700 employés fédéraux de la ville
Photo Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil
En effet, aucune transaction n’a été conclue, mais Mme Couillard est bel et bien intervenue pour Kevlar auprès de Maxime Bernier et de Bernard Côté, a appris La Presse. Voici la chronologie :
Décembre 2006: Michael Fortier annonce que son ministère, Travaux Publics Canada, est à la recherche d’un «édifice-phare» situé «à l’intérieur du centre-ville de Québec» pour reloger les quelque 700 fonctionnaires fédéraux qui travaillent dans l’ancienne capitale.
7 avril 2007: après avoir suivi un cours de quelque 240 heures, Julie Couillard obtient son premier certificat d’agent immobilier et s’affilie auprès d’Investissements immobiliers Kevlar inc., qui fait partie du Groupe Kevlar. Hier encore, elle était un des trois agents immobiliers affiliés à Kevlar, avec le président du groupe et une autre personne.
17 avril 2007 : Mme Couillard assiste à un cocktail de financement de l’association conservatrice de la circonscrïption de Châteauguay-Saint-Constant, à Mercier, au sud de Montréal. Le président de l’association, André Turcot, a dit au Devoir que Mme Couillard lui avait donné auparavant sa carte de chez Kevlar. Mme Couillard a signé un chèque de 1000 $ pour le Parti conservateur, a révélé La Presse dimanche. Michael Fortier était présent au cocktail, mais pas Maxime Bernier, alors ministre de l’Industrie.
Fin avril 2007 : Mme Couillard entreprend une relation amoureuse avec Maxime Bernier. Le groupe Kevlar propose au gouvernement fédéral de construire son édifice de Québec sur les terrains d’un grand stationnement, dans le quartier Saint-Roch. Il s’agit du Stationnement Dorchester, que Kevlar loue à une entreprise de Laval qui lui est liée.
Mme Couillard fait pression sur M. Bernier pour qu’il influence le gouvernement en faveur de la proposition de Kevlar. Elle lui fait valoir qu’elle pourrait empocher une somme d’argent intéressante si la proposition de Kevlar était retenue. À ces pressions, M. Bernier oppose une fin de non-recevoir catégorique, selon d’anciens proches collaborateurs qui se sont confiés à La Presse sous le couvert de l’anonymat. «Maxime Bernier a toujours eu une seule préoccupation en tête lorsqu’il était ministre. Il voulait protéger l’intérêt des contribuables», a affirmé un ancien membre de son entourage.
Août 2007: répondant aux demandes de la Ville de Québec, Michael Fortier élargit le périmètre où pourrait être construit son nouvel édifice fédéral, qui aura quelque 200 000 pieds carrés. Il n’est plus question de limiter l’appel d’offres au centre-ville. Le périmètre englobe désormais un quartier, le secteur d’Estimauville, que la Ville de Québec veut revitaliser. C’est par ailleurs en août 2007 que Mme Couillard accompagne Maxime Bernier à la résidence de la gouverneure générale pour sa prestation de serment comme ministre des Affaires étrangères.
10 septembre 2007: Julie Couillard et Bernard Côté, le conseiller politique de Michael Fortier, sont aperçus ensemble durant un tournoi de golf organisé par le Parti conservateur au club de golf Atlantide, à Notre-Dame-de-l’Île-Perrot, à l’ouest de Montréal. Quelque 300 militants conservateurs participent à l’événement. Le ministre Fortier est le président d’honneur. Trois sources conservatrices présentes au tournoi ont confirmé à La Presse avoir vu M. Côté en compagnie de Mme Couillard. On ignore quand Julie Couillard et Bernard Côté se sont fréquentés de façon intime. Une chose est sûre, à cette époque, les relations entre Julie Couillard et Maxime Bernier ont commencé à se détériorer.
Décembre 2007 : le conseil municipal de la Ville de Québec adopte une résolution pour offrir un terrain qui lui appartient dans le secteur d’Estimauville aux promoteurs qui seraient intéressés à y construire l’édifice fédéral. Le prix demandé: 350 000 $. Les promoteurs ont jusqu’au 15 du mois pour manifester leur intérêt. Kevlar fera partie des promoteurs intéressés, pour son stationnement dans le quartier Saint-Roch, évalué à 1,5 million de dollars.
Janvier 2008: Julie Couillard renouvelle son certificat d’agent immobilier, toujours auprès de Kevlar. Avril 2008: Maxime Bernier oublie des documents secrets chez Mme Couillard, à Laval. Mai 2008 : il démissionne. Hier, c’était au tour de Bernard Côté. La date limite pour répondre à l’appel d’offres pour l’édifice fédéral est le 20 juin prochain, dans neuf jours.
http://www.cyberpresse.ca/article/20080 ... ACTUALITES