Tristane Banon. L’autre accusatrice
Depuis huit ans, elle attendait ce moment. La journaliste vient de porter plainte contre DSK.
Vendredi 15 juillet 2011
Par François De Labarre - Paris Match
Lorsqu’elle est arrivée, elle avait l’air tendu. » Huit ans après, les souvenirs reviennent lentement, mais cette amie qui reçoit dans son studio parisien Tristane Banon, peu de temps après la présumée tentative de viol, se souvient. « “Ça avance bien, ton livre ? – Ça s’est mal passé avec… un des interviewés.”» Le ton est hésitant. « “Avec qui ? – Strauss-Kahn.”» Assise dans le grand fauteuil club noir qui semble occuper tout l’espace de ce bureau exigu, où les livres débordent des bibliothèques, Tristane déroule le récit. Après une première entrevue, l’ancien ministre des Finances lui a proposé un « entretien complémentaire » qui a lieu dans « l’appartement d’un de ses amis ».
Pour l’occasion, la jeune journaliste, qui rêve à l’époque de suivre les pas de Pascale Clark (celle-ci anime alors l’émission « Tam tam etc. » sur France Inter), a enfilé une tenue austère : jean et col roulé noir. La porte s’ouvre, puis se serait fermée « à clé ». Strauss-Kahn aurait proposé que l’interview se passe sur le canapé, et non autour de la table. Au fur et à mesure de l’échange, le canapé rétrécit, une main saisit la sienne et puis : « Elle m’a dit qu’il lui a sauté dessus, essayé de lui arracher ses vêtements, dégrafé le soutien-gorge et mis la main dans la culotte », se rappelle cette amie.
Tristane Banon sait mieux que personne raconter sa vie, elle en a fait son métier. Mais, ce jour-là, elle ne sait pas sur quel pied danser. Elle semblait hésiter entre fondre en larmes ou éclater de rire. « D’un côté, elle était rigolarde et, de l’autre, elle paraissait dégoûtée. Pour elle, c’était comme un rapport… incestueux. » Incestueux parce que Tristane est aussi la filleule de la deuxième femme de DSK et une amie de sa fille Camille, qu’elle retrouve souvent autour d’un café à la Sorbonne pour tresser les couronnes… à son père.
Quand elle revient, deux jours plus tard, revoir son amie, Tristane parle de « tentative de viol ». Elle avait « l’air paumée », se rappelle sa confidente, et essayait toujours de s’en sortir « avec une pirouette au troisième degré pour ne pas perdre la face ». Que faire ? Comme beaucoup de filles, immédiatement après l’incident, le 11 février 2003, c’est vers sa mère que Tristane s’est tournée. Elle lui a passé un coup de fil catastrophé. Anne Mansouret est accourue et les deux femmes sont restées ensemble toute la journée.
Tristane est amie avec Camille Strauss-Kahn, elles se retrouvent souvent autour d'un café
Aujourd’hui conseillère générale socialiste de l’Eure, Anne Mansouret était déjà une sympathique grande gueule très impliquée dans la vie politique. Ses relations avec Tristane ont souvent été conflictuelles. Cette dernière, par provocation, racontait avoir choisi elle-même de s’appeler Tristane, son deuxième prénom, par réaction à celui de sa mère, Anne. Y ajouter le préfixe « triste » était une manière de lui signifier la rancœur d’avoir vécu une enfance si… triste ! Mais les années ont passé, et les rapports entre la mère et la fille, qui feront l’objet de son premier roman, se sont pacifiés. Sa mère connaît la vraie raison pour laquelle Tristane a rejeté son premier prénom, Anne-Caroline. « C’est parce que tous les gens de la famille Banon s’appellent “Anne-quelque chose”. C’est comme une marque de fabrique d’une famille dont je ne fais pas partie », expliquera Tristane, qui n’a jamais connu son père, ni ses demi-frères et demi-sœurs.
A sa fille, Anne Mansouret déclare lui avoir conseillé de ne pas poursuivre en justice le leader charismatique du PS, par crainte pour leur avenir professionnel à toutes les deux. Tristane se serait donc résolue à ne pas porter plainte, mais elle se sentait incapable de garder tout cela enfoui en elle. Elle décide d’avertir son amie Camille Strauss-Kahn, dont elle sait qu’elle finira par être mise au courant. Elle la retrouve dans un café et lui explique « sa » vérité. « Je ne sais pas si je dois te remercier ou te haïr », lui aurait alors répondu l’étudiante, avant de claquer la portière de sa voiture.
Tristane ne sait pas se taire. C’est son problème. Elle éprouve le besoin de tout sortir, tout le temps. « Ici, on ne commence pas névrosé, on le devient », résumera le chef de rubrique d’un journal avant de se séparer de la jeune journaliste pourtant prometteuse, bonne intervieweuse et à la plume mordante. La pigiste a le profil d’une écrivaine. Une personnalité complexe, riche. C’est la signature de son premier contrat, chez l’éditrice Anne Carrière, fin 2002, qui lui a servi de tremplin. Son premier livre, une série d’interviews consacrée aux « erreurs avouées » de personnalités connues, lui sert aussi de prétexte pour les rencontrer. Si le rendez-vous avec Dominique Strauss-Kahn est un échec, celui avec Frédéric Beigbeder se révélera beaucoup plus fructueux. L’icône branchée la prend sous son aile et l’emmène partout où il va : dîners chez Lapérouse, soirées de remises de prix, nuits chez Castel ou au Mathis bar.
Elle dit que toute son existence a été "inversée" : elle a commencé sa vie d'enfant à l'âge adulte
A 24 ans, Tristane se jette à corps perdu dans le milieu littéraire germanopratin, où les blondes sexy aux allures de lolita sont toujours les bienvenues, surtout quand elles ont un humour acerbe et savent manier la plume. En la croisant dans les fêtes, on croirait qu’elle vient de décrocher un petit rôle dans une version moderne de « La comédie humaine ». Au milieu des romanciers et de journalistes célèbres, elle rayonne et parfois surjoue pour grandir son rôle. Outrancière et maladroite, elle sait aussi se montrer drôle et attachante. Elle est très proche de Patrick Poivre d’Arvor qui, à l’époque, est à la fois l’animateur d’une émission littéraire, « Vol de nuit », et un auteur à succès, lauréat du prix Interallié. Elle a lu une dizaine de ses livres. Il vient parfois lui rendre visite chez elle, dans son deux-pièces à Boulogne, le casque de moto enfoncé sur la tête pour ne pas se faire reconnaître par les voisins. Il aurait été l’un des premiers informés de cet échange musclé entre la journaliste et Dominique Strauss-Kahn. Contrairement à bon nombre de personnes qui trouvent Tristane Banon trop gamine et trop blonde pour être prise au sérieux, il l’écoute.
Ainsi, lorsque la journaliste propose à son éditrice d’intégrer, dans « Erreurs avouées », un chapitre sur cette étrange rencontre avec DSK, elle essuie un refus. La version qu’elle propose est pourtant très édulcorée : « Il me propose un café, de se revoir. Moi, tout ce que je veux, c’est m’en aller. Je finirai par y arriver… une demi-heure plus tard, moyennant une promesse de retour que je ne tiendrai pas. Je m’en sors plutôt bien… » Sa directrice de collection, Véronique de Bure, a récemment déclaré dans « L’Express » que le chapitre avait été retiré « à la suite d’un coup de fil à la maison d’édition et d’un rendez-vous demandé ».
Trop jeune pour se formaliser, l’écrivaine en herbe reste dans l’écurie d’Anne Carrière. En 2004, elle sort un roman, « J’ai oublié de la tuer », qui la propulse parmi les auteurs remarqués de sa génération. L’histoire de son « interview canapé » avec DSK continue de faire le tour du Tout-Paris, qui a pris le parti d’en rire. La « tentative de viol » devient une de ces anecdotes graveleuses qui circulent dans les dîners mondains, sans jamais en sortir. Le seul à interroger Tristane Banon à ce sujet sera Thierry Ardisson, en 2007, dans « 93, Faubourg Saint-Honoré », une émission intimiste diffusée sur le câble qui reconstitue… un dîner en ville. Questionnée sur les difficultés d’écrire son livre « Erreurs avouées », Tristane décrit la scène avec le ton léger qui sied au programme, ce qui sème l’embarras autour de la table. « Ça, c’est la connerie générale, commente Roger Hanin, au sujet du comportement de DSK. S’il fait ça, il peut faire n’importe quoi ! » « Quand on se battait, je lui ai dit le mot “viol” pour lui faire peur, ça ne lui a pas fait plus peur que ça », conclut Banon.
D’après un témoin, lors de la réunion du bureau politique du Parti socialiste, ce 5 juillet, des photos d’elle, ivre et débraillée, pendant une soirée arrosée, se seraient échangées. A la voir danser, par exemple, lors de la remise du prix littéraire du café de Flore, une bouteille de champagne à la main, certains ont cru voir en elle le prototype de la fille « toujours consentante ». Mais ceux qui connaissent Tristane Banon savent que, si elle a adopté, pour un temps, le style pseudo-dépravé de la bande de Beigbeder, c’est surtout pour respecter la « marche à suivre ». Une « fausse cool », diraient les ados. De son expérience dans le milieu des écrivains branchés de la nuit parisienne, Tristane Banon a tiré un carnet d’adresses nourri et un deuxième roman, « Trapéziste », avant de s’en aller jouer les acrobates vers de nouvelles sources d’inspiration.
Ceux qui aimeraient la décrire comme une fille « déséquilibrée » ne savent sans doute pas qu’elle ne fume pas, ne se drogue pas, vit seule avec son chien dans un deux-pièces à Boulogne. Elle peut travailler jour et nuit sur un manuscrit, se prendre d’affection pour un auteur et l’encourager à retravailler. Son apparence rappelle davantage celle d’une première de la classe. La comprendre n’est pas toujours chose aisée, parce que, dit-elle, toute son existence a été « inversée », elle aurait commencé sa vie d’enfant à l’âge adulte. Elle aurait ainsi eu du mal à vivre de belles et longues histoires d’amour.
En 2006, elle s’éprend enfin du gérant de son restaurant préféré. Ce Normand est l’opposé de tout ce qu’elle a semblé désirer pendant les cinq dernières années. Il ne s’intéresse que de très loin à l’objet culturel, et n’a aucun contact dans le monde de l’édition. Son père est éleveur de bestiaux et elle le trouve juste beau et gentil. Ils deviennent amants, puis décident de se marier trois mois plus tard. Le mariage est célébré en Normandie, dans l’intimité. C’est Alain Carrière, le mari de son éditrice, qui accompagne Tristane à l’autel. Elle se prend à rêver d’une vie simple où elle pourrait écrire chez elle, pendant que son beau mari travaille dans ses restaurants. Mais le mariage est un échec. Le couple se sépare au bout de quelques mois.
Tristane semble condamnée aux situations compliquées. Elles lui viennent aussi naturellement, comme ce jour de mai 2011 où toute la presse mondiale lui est tombée dessus. Dominique Strauss-Kahn venait de se faire arrêter par la police de New York. Seule victime potentielle identifiable de l’ancien président du FMI, Tristane Banon s’est retrouvée au milieu du tourbillon médiatique qu’elle avait essayé d’éviter huit ans plus tôt. Se sentant condamnée à incarner l’éternelle histoire qu’on ressort du placard dès que les mœurs de DSK font débat. Depuis que celui-ci passe à la moulinette de la justice américaine, certaines mentalités pourraient avoir changé dans l’Hexagone. C’est sans doute ce qu’espère la jeune romancière qui, aujourd’hui, voudrait obtenir réparation de cette présumée tentative de viol. L’intelligentsia française a toujours eu du mal à la prendre au sérieux, mais son avocat, David Koubbi, qui l’encourageait depuis dix-huit mois à porter plainte, estime posséder désormais suffisamment d’éléments matériels pour que l’affaire, après huit ans, passe enfin en justice.
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