Charte: le silence des jeunes péquistes
5 nov. 2013 par Alec Castonguay
L'Actualité
Le ministre Bernard Drainville déposera son projet de loi sur la charte des valeurs québécoises jeudi, à Québec. Depuis bientôt trois mois, le débat autour des propositions du gouvernement fait rage. Presque tout le monde dans la société a exprimé son opinion. Des anciens premiers ministres du Parti québécois jusqu’aux «Janettes», en passant par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, les arguments pour et contre certains volets de la charte n’ont pas manqué.
Pourtant, un groupe qui a l’habitude de s’exprimer sur la place publique ne l’a pas fait: le Comité national de
Un silence étonnant, alors que le bruit du débat émotif est grinçant depuis le mois d’août. Et que le ministre responsable, Bernard Drainville, invitait à la participation du plus grand nombre.
Or, il semble que le projet de charte ne fait pas l’unanimité chez les jeunes de moins de 30 ans du PQ, empêchant une prise de position ferme.
Dans la semaine du 9 septembre, tout de suite après que Bernard Drainville eut dévoilé ses propositions, l’exécutif du CNJPQ a réuni d’urgence les 14 présidents régionaux en poste au bout du fil, lors d’une téléconférence. Après une vive discussion, il a été décidé d’adopter une position neutre en ce qui concerne la charte. Et d’attendre le dépôt du projet de loi avant de relancer le débat à l’interne.
Selon mes informations, deux des cinq volets de la charte causent un malaise à certains jeunes du Parti québécois: le maintien du crucifix au salon bleu de l’Assemblée nationale, et l’interdiction des signes ostentatoires pour tous les employés de la fonction publique et parapublique.
À la fin du mois de septembre, voyant que le site internet du CNJPQ était silencieux sur la charte, alors que le Comité des jeunes prend souvent position dans une foule de domaines, j’ai demandé une entrevue au président, Frédéric St-Jean, question de faire le point. Sans succès.
Je suis revenu à la charge la semaine dernière. Toujours sans succès.
Finalement le vice-président aux communications, Gabriel Serena, m’a gentiment rappelé.
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Il m’a expliqué ainsi la position du CNJPQ:
«On reste une instance qui a quand même du poids au sein du parti, on représente 30 à 33 % des votes sur le plancher du congrès. On est un levier important. On a un pouvoir médiatique important aussi. Le parti le sait. Si on décide de sortir publiquement contre la charte, ce n’est pas gagnant pour personne. Ceci étant dit, on n’est pas contre la charte, on n’a pas pris de position. On veut parler de quelque chose de solide. On ne veut pas enflammer un débat qui est déjà très émotif. L’exécutif a donc décidé d’attendre la sortie de la loi avant de se positionner», a-t-il expliqué.
Gabriel Serena affirme que Bernard Drainville n’a pas demandé à rencontrer le CNJPQ sur le sujet, et n’a pas exigé leur appui public, même au moment où le débat brassait la cage. Et même si le gouvernement Marois en a fait l’un des axes majeurs de son règne.
Y a-t-il un malaise au sein du CNJPQ?, ai-je demandé.
«On est une instance démocratique, on représente tout le Québec. Il y a certaines régions qui sont moins chaudes sur certaines portions de la charte. Je ne veux pas parler pour mes collègues, mais bon», affirme M. Serena.
Il ajoute:
«Il faut comprendre qu’on est d’accord avec de larges volets de la proposition, mais qu’il y a des aspects qui accrochent», dit-il.
C’est le cas du crucifix à l’Assemblée nationale, que le ministre Drainville assimile à un objet patrimonial. «C’est certain que notre génération est moins attachée à cet objet-là», dit M. Serena, qui étudie le droit à l’université McGill.
Le gouvernement Marois pourrait d’ailleurs revoir sa position et proposer, jeudi, d’enlever le crucifix du Salon bleu.
Dans le cas de l’interdiction des signes ostentatoires pour les employés de la fonction publique et parapublique, Gabriel Serena marche visiblement sur des oeufs, sachant ce volet très délicat, même au sein du CNJPQ.
«C’est sûr que s’il y a une dissension par rapport au parti, ce ne sera pas sur le 80 % où tout le monde dans la société s’entend», dit-il en faisant référence aux balises pour les accommodements religieux et à la nécessité de donner et recevoir un service de l’État à visage découvert.
Il affirme:
«Le Québec est profondément laïque depuis 40 ans, c’est juste une question de le réaffirmer et de l’inscrire dans une loi. Mais ensuite, où on trace la ligne? La notion même de représentant de l’État n’est pas claire. Est-ce qu’une éducatrice en CPE est une fonctionnaire qui représente l’État? Est-ce que la charte va affecter le service dans les CPE? Ce sont des questions importantes», dit-il, ajoutant que les signes ostentatoires chez les fonctionnaires représentent «le noeud» du débat et qu’il en sera ainsi «jusqu’à la fin».
Il y a plusieurs opinions personnelles différentes au sein des jeunes du PQ, dit-il. «Mon opinion personnelle, qui n’est pas celle de l’aile jeunesse, c’est que je suis plus modéré par rapport à la charte.» L’étudiant en droit se dit «en conflit» à l’intérieur de lui-même. Et il n’est probablement pas le seul.
«La charte est quelque chose de très complexe à analyser. Au sein de ma propre personne, il y a un conflit, sachant que ça vient peut-être brimer des droits fondamentaux, mais qu’il faut aussi respecter certaines valeurs et droits collectifs», dit Gabriel Serena.
Une fois que le projet de loi aura été déposé, comment va tourner le débat interne au sein du CNJPQ?
«Je ne veux pas parler pour mes collègues. C’est difficile de savoir comment notre position va tourner», dit-il. «Je ne peux pas vous dire s’il va y avoir des propositions pour réduire la portée de la charte, on n’a pas eu ce débat encore».
Il affirme toutefois que le CNJPQ «représente certainement des jeunes moins à l’aise avec la charte».
Il ajoute que le débat est à géométrie variable au sein du Comité national des jeunes du Parti québécois.
«La question de la charte est très complexe, ça peut prendre plusieurs avenues. Peut-être que les membres dans les régions des grands centres, notamment Montréal, comprennent que les enjeux ne sont pas les mêmes qu’à Baie-Comeau. La charte a une résonance différente à Montréal. Certains ont des positions plus modérées que les propositions de la charte.»
Dans un précédent billet, je décortiquais les chiffres des sondages sur la charte. On percevait clairement que les jeunes étaient opposés à ce projet, alors que les baby-boomers y étaient très favorables.
Est-ce que cela explique la neutralité des jeunes du PQ?
Gabriel Serena hésite. Il ne veut pas en faire un débat entre générations.
«Sur certains sujets, la jeunesse va s’opposer aux baby-boomers, qui contrôlent la société actuellement. Pour ce qui est de la charte, je ne peux pas vous dire si c’est une question de génération.»
Est-ce que le débat sur la charte a causé des remous au sein du CNJPQ, au point de perdre des membres?
Non, dit Gabriel Serena, qui est responsable des médias sociaux pour le Comité. Il voit donc passer les réactions des membres de l’aile jeunesse.
«Je n’ai rien vu de particulier. Le débat a semblé très constructif. Je n’ai vu personne cesser de militer. Je n’ai rien vu d’alarmant. La position du gouvernement sur les frais de scolarité a fait plus mal que la charte. J’ai vu des jeunes qui l’ont mal pris et qui ont quitté.»
Pendant l’entretien d’une quinzaine de minutes, Gabriel Serena a répété plusieurs fois que le CNJPQ était «neutre» par rapport à ce débat, ne voulant visiblement pas jeter de l’huile sur le feu.
En terminant, il a affirmé:
«Stratégiquement, on ne veut pas nuire au parti. On veut défendre une position qui rallie les jeunes, alors on attend le dépôt du projet de loi.»
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