PRÉDATEURS SEXUELS
La thérapie de la dernière chance
Marie-Claude Malboeuf
La Presse
Le boxeur Dave Hilton sort du pénitencier demain. Emprisonné pour avoir violé ses deux filles pendant des années, le quadragénaire devra suivre un traitement. Une thérapie qu'il a suivie au pénitencier a échoué.
Mais à en croire les experts (qui nous ont parlé des agresseurs sexuels en général), tout n'est pas nécessairement perdu.
C'est un petit bureau beige, caché dans un centre commercial anonyme, en bordure d'une autoroute montréalaise. Ici se réunissent chaque semaine des hommes qui ont longtemps été tout aussi anonymes: camionneurs, professionnels, vendeurs...
Leur point commun: tous ont violé des femmes ou des enfants. Tous ont été enfermés au pénitencier. Et tous en sont ressortis avec l'étiquette «risque élevé de récidive».
À priori, ces hommes ont tout ce qu'il faut pour faire de nouvelles victimes: une thérapie ratée, des antécédents plus lourds que la moyenne ou un profil assez déviant. Plusieurs d'entre eux font même l'objet d'une surveillance intensive.
Pour la Dre Joanne-Lucine Rouleau, sauf exception, il n'est toutefois jamais trop tard pour intervenir. «La vraie prévention se fait dehors», estime la psychologue, qui préfère tendre un ultime filet de sécurité. Dehors, les violeurs et les pédophiles sont de nouveau soumis à la tentation, de nouveau face à leur tristesse, à leur anxiété ou à leur colère, dit-elle.
Depuis 1992, les cas lourds lui sont donc envoyés au CERUM (Centre d'étude et de recherche de l'Université de Montréal), dont le programme, accrédité par des experts internationaux, a aussi été approuvé par les services correctionnels.
Tous les ans, l'équipe de la Dre Rouleau évalue entre 40 et 60 délinquants au moyen de tests et de questionnaires. La moitié d'entre eux se qualifient et s'engagent à se présenter au moins deux heures par semaine pendant 11 mois- 11 mois de «reprogrammation» intensive.
L'objectif: changer leurs fantasmes. Changer leur façon d'interagir avec les autres. Et changer leurs innombrables idées fausses au sujet des femmes et des enfants (qui les ont "provoqués", disent-ils, ou qui avaient besoin d'éducation sexuelle...)
«Je ne crois pas que quelqu'un choisisse d'être déviant, commente la Dre Rouleau. Comme thérapeute, je suis contre ce qu'ils ont fait, pas contre eux. Aux enfants, je dis: Imaginez-vous une tarte. Cette partie-là n'est pas bonne et nous allons l'enlever.»
Mauvaise odeur et cassettes audio
Première étape: une visite au laboratoire. Là, une rondelle de caoutchouc contenant du mercure tient lieu de thermomètre et permet de mesurer l'excitation sexuelle de celui qui l'enfile.
Pendant près de deux heures, les délinquants visionnent ensuite des bandes vidéo, regardent des diapositives d'enfants de tous les âges et écoutent des bandes sonores décrivant des scénarios plus ou moins violents. Dans 80% des cas, leurs intérêts déviants coexistent avec des intérêts normaux.
Les services correctionnels procèdent au même test en prison. «Mais souvent la libido baisse avec l'incarcération et les résultats sont moins précis, souligne la Dre Rouleau. Des résultats précis nous permettent d'offrir un traitement sur mesure.»
Deuxième étape: éliminer la charge érotique des mauvais fantasmes. En groupe, pendant cinq semaines, les délinquants se racontent leur histoire à haute voix. Aux moments clés, les thérapeutes leur font sentir de l'ammoniaque, une odeur très désagréable qui s'imprime fortement dans leur mémoire.
«Avec le temps, cette odeur devient associée à leur fantasme. Quand ils se retrouvent dans une situation similaire, l'odeur revient. C'est un signal d'alarme pour qu'ils s'arrêtent à temps, qu'ils réalisent ce qu'ils sont en train de faire», explique la Dre Rouleau.
Ailleurs, certains thérapeutes utilisent la même odeur pour dégoûter leurs patients au point de leur faire perdre toute érection. «Mais nous n'avons pas besoin d'aller jusque-là, précise la psychologue. Un jour, un de nos patients a voulu utiliser les toilettes d'un garage. Il n'y est jamais parvenu, juste à sentir les produits nettoyants.»
Pendant les cinq semaines suivantes, 20 heures durant, les délinquants se concentrent sur le bref moment qui les excite le plus. Sur des cassettes audio, ils racontent ce moment sans relâche, jusqu'à satiété.
Les autres volets du traitement sont moins spectaculaires. Il s'agit notamment d'associer les actes criminels et leur préparation aux conséquences très négatives qui en découlent.
«La peur doit revenir très vite quand il y aura la tentation. Il faut que le délinquant se souvienne d'avoir souffert, d'avoir été jugé, d'être passé à la télé et d'avoir eu peur de la prison, énumère la Dre Rouleau. Cela les aide à mieux maîtriser leurs pulsions.»
Les délinquants font par ailleurs le compte de leurs fausses croyances et de toutes les excuses qu'ils se donnent pour justifier leurs actes.
Enfin, les agresseurs apprennent à mieux gérer leurs émotions et les conflits, à mieux s'affirmer, à découvrir l'intimité. Un volet très important, aussi utilisé à l'institut psychiatrique montréalais Pinel.
«Si on change leur comportement pour que les délinquants soient plus heureux, plus performants socialement, ils seront moins tentés de récidiver, expose le Dr Benoît Dassylva. En fin de compte, cela représente moins de victimes dans la communauté.»
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