Publié : lun. avr. 04, 2005 7:28 pm
Médias: Communion médiatique
Paul Cauchon
Édition du lundi 4 avril 2005
Ce pourrait être un symbole de notre société médiatique: samedi, alors que des dizaines de milliers de personnes étaient rassemblées place Saint-Pierre pour prier devant toutes les caméras du monde, c'est d'abord à la télévision que la mort de Jean-Paul II a été connue, avant que les pèlerins qui étaient pourtant aux premières loges de l'histoire, à quelques dizaines de mètres du corps du souverain pontife, ne connaissent la nouvelle.
Plus fort encore : le décès du pape a été annoncé samedi par le Vatican à des journalistes... par un courriel, précédé d'une alerte «texto» envoyée sur leurs téléphones mobiles. L'Agence France-Presse confirmait avoir reçu samedi à 21h52 un texto la prévenant de l'envoi d'une «déclaration urgente dans sa messagerie», ce qui a permis de diffuser la nouvelle instantanément.
Non seulement Jean-Paul II fut le premier véritable pape médiatique, comme on l'a abondamment répété ces derniers jours, mais, en raison de la longueur de son pontificat, il fut aussi le premier pape de l'ère numérique.
À la fin des années 70, lorsque l'évêque de Cracovie montait sur le trône de Saint-Pierre, il n'existait aucune chaîne d'information continue à la télévision, les communications satellites étaient peu propagées, Internet était un système compliqué et confidentiel connu d'une poignée d'universitaires et de militaires, et la notion de site Web n'existait même pas.
Jean-Paul II fut le premier pape à savoir aussi bien utiliser les images et la télévision au fil de ses nombreux voyages. Samedi, un éditorial de Libération au titre provocant de Star System rappelait que, depuis son élection jusqu'aux derniers instants de son agonie, le pape fut «tout simplement l'homme le plus photographié et le plus filmé du monde», lui qui avait pourtant hérité à son élection «d'une institution malhabile au maniement de l'arsenal médiatique contemporain».
Mais sa mort fut aussi à l'image de l'évolution d'un système médiatique de plus en plus affolant : une agonie suivie à la minute près par tous les grands médias du monde, les réseaux de télévision ayant loué depuis des mois (et même des années) des appartements et des espaces sur les toits autour du Vatican.
Vendredi le déploiement médiatique était tellement intense sur tous les réseaux que plusieurs pensaient tout bas ce qu'ils n'osaient pas dire tout haut, par crainte de manquer de respect : pourvu qu'une telle agonie ne dure pas une semaine ! Déjà dans la journée de vendredi la concurrence effrénée entre les médias aux États-Unis commençait à déraper. La chaîne câblée MSNBC annonçait que le pape avait perdu conscience à midi trente (ce qui n'était pas exact), Fox News annonçait sa mort à 13h23, pour ensuite déclarer sept minutes plus tard que l'information n'était pas confirmée, alors que CNN faisait valoir qu'il y avait des contradictions entre les agences de presse au sujet de la mort du pape. Toute cette agitation a fini par convaincre le Vatican de diffuser une déclaration niant le décès du pape.
Cette agonie en direct a-t-elle été encouragée par la machine administrative du Vatican ? En tout cas, plusieurs voix se sont élevées contre les dernières images diffusées en direct d'un homme épuisé à sa fenêtre, incapable de prononcer un mot et ayant peine à respirer et à déglutir. Le grand journal italien Corriere della Sera a parlé d'une «mort publique comme le Christ sur la croix», et plusieurs ont souligné que Jean-Paul II avait consciemment voulu demeurer public jusque dans sa souffrance.
Mais dans Le Monde de vendredi, pour ne prendre qu'un seul exemple de voix critique, l'écrivain et journaliste chrétien Jacques Duquesne, spécialiste du catholicisme, soutenait qu'un grand nombre de gens «ont été très gênés par cette exhibition du pape, cette médiatisation forcée qui leur est apparue indécente». Duquesne soutenait que plusieurs personnes voulaient qu'on laisse Jean-Paul II en paix, mais que, à cause de certaines décisions qui semblaient prises dans son entourage, dont l'épisode de la caméra dans la papamobile de son retour de la clinique Gemelli, «des comptes vont maintenant se régler» à l'intérieur du Vatican, soutenait-il.
On peut toujours se lamenter sur un manque de réserve des médias, il reste que nous sommes à l'ère de l'information qui submerge et qui envahit tout, et que le défi consiste à vivre avec et à mieux décrypter les images et les mettre en perspective. Et on ne peut que remarquer comment la machine médiatique est maintenant un ogre insatiable qui bouffe de l'image et de la nouvelle avec ferveur.
On remarquera, par ailleurs, que toute cette couverture médiatique a aussi comme effet d'améliorer nos connaissances en matière de papauté, avec des commentaires abondants sur les rites complexes et un peu mystérieux du conclave ou sur le rôle d'un personnage portant le titre de camerlingue.
Plus sérieusement, on a également vu défiler à l'écran toute une série de théologiens, de spécialistes en religion et de prêtres qui n'ont pas l'habitude d'avoir autant accès aux médias. Je dirais même que, nonobstant les croyances personnelles, les événements des derniers jours ont également forcé plusieurs personnes à réfléchir au rôle du spirituel dans leurs vies, ce qui n'est pas rien compte tenu de l'habituelle superficialité de la télévision. Par ailleurs, les bilans qui ont été présentés à la télévision et dans les journaux ont semblé relativement nuancés, soulignant à la fois la très grande influence de Jean-Paul II sur le plan politique et spirituel tout en insistant sur ses positions d'arrière-garde dans plusieurs domaines, dont la contraception et l'homosexualité ne sont pas les moindres.
Mais à quel moment ce déploiement médiatique baissera-t-il d'intensité ? L'agonie et la mort du pape ont complètement fait disparaître des ondes l'histoire de Terri Schiavo, qui était pourtant devenue il y a à peine une semaine la grande affaire médiatique des États-Unis. Et dans deux semaines, de quelle autre drame voudra se rassasier l'ogre médiatique ?
pcauchon@ledevoir.com
Paul Cauchon
Édition du lundi 4 avril 2005
Ce pourrait être un symbole de notre société médiatique: samedi, alors que des dizaines de milliers de personnes étaient rassemblées place Saint-Pierre pour prier devant toutes les caméras du monde, c'est d'abord à la télévision que la mort de Jean-Paul II a été connue, avant que les pèlerins qui étaient pourtant aux premières loges de l'histoire, à quelques dizaines de mètres du corps du souverain pontife, ne connaissent la nouvelle.
Plus fort encore : le décès du pape a été annoncé samedi par le Vatican à des journalistes... par un courriel, précédé d'une alerte «texto» envoyée sur leurs téléphones mobiles. L'Agence France-Presse confirmait avoir reçu samedi à 21h52 un texto la prévenant de l'envoi d'une «déclaration urgente dans sa messagerie», ce qui a permis de diffuser la nouvelle instantanément.
Non seulement Jean-Paul II fut le premier véritable pape médiatique, comme on l'a abondamment répété ces derniers jours, mais, en raison de la longueur de son pontificat, il fut aussi le premier pape de l'ère numérique.
À la fin des années 70, lorsque l'évêque de Cracovie montait sur le trône de Saint-Pierre, il n'existait aucune chaîne d'information continue à la télévision, les communications satellites étaient peu propagées, Internet était un système compliqué et confidentiel connu d'une poignée d'universitaires et de militaires, et la notion de site Web n'existait même pas.
Jean-Paul II fut le premier pape à savoir aussi bien utiliser les images et la télévision au fil de ses nombreux voyages. Samedi, un éditorial de Libération au titre provocant de Star System rappelait que, depuis son élection jusqu'aux derniers instants de son agonie, le pape fut «tout simplement l'homme le plus photographié et le plus filmé du monde», lui qui avait pourtant hérité à son élection «d'une institution malhabile au maniement de l'arsenal médiatique contemporain».
Mais sa mort fut aussi à l'image de l'évolution d'un système médiatique de plus en plus affolant : une agonie suivie à la minute près par tous les grands médias du monde, les réseaux de télévision ayant loué depuis des mois (et même des années) des appartements et des espaces sur les toits autour du Vatican.
Vendredi le déploiement médiatique était tellement intense sur tous les réseaux que plusieurs pensaient tout bas ce qu'ils n'osaient pas dire tout haut, par crainte de manquer de respect : pourvu qu'une telle agonie ne dure pas une semaine ! Déjà dans la journée de vendredi la concurrence effrénée entre les médias aux États-Unis commençait à déraper. La chaîne câblée MSNBC annonçait que le pape avait perdu conscience à midi trente (ce qui n'était pas exact), Fox News annonçait sa mort à 13h23, pour ensuite déclarer sept minutes plus tard que l'information n'était pas confirmée, alors que CNN faisait valoir qu'il y avait des contradictions entre les agences de presse au sujet de la mort du pape. Toute cette agitation a fini par convaincre le Vatican de diffuser une déclaration niant le décès du pape.
Cette agonie en direct a-t-elle été encouragée par la machine administrative du Vatican ? En tout cas, plusieurs voix se sont élevées contre les dernières images diffusées en direct d'un homme épuisé à sa fenêtre, incapable de prononcer un mot et ayant peine à respirer et à déglutir. Le grand journal italien Corriere della Sera a parlé d'une «mort publique comme le Christ sur la croix», et plusieurs ont souligné que Jean-Paul II avait consciemment voulu demeurer public jusque dans sa souffrance.
Mais dans Le Monde de vendredi, pour ne prendre qu'un seul exemple de voix critique, l'écrivain et journaliste chrétien Jacques Duquesne, spécialiste du catholicisme, soutenait qu'un grand nombre de gens «ont été très gênés par cette exhibition du pape, cette médiatisation forcée qui leur est apparue indécente». Duquesne soutenait que plusieurs personnes voulaient qu'on laisse Jean-Paul II en paix, mais que, à cause de certaines décisions qui semblaient prises dans son entourage, dont l'épisode de la caméra dans la papamobile de son retour de la clinique Gemelli, «des comptes vont maintenant se régler» à l'intérieur du Vatican, soutenait-il.
On peut toujours se lamenter sur un manque de réserve des médias, il reste que nous sommes à l'ère de l'information qui submerge et qui envahit tout, et que le défi consiste à vivre avec et à mieux décrypter les images et les mettre en perspective. Et on ne peut que remarquer comment la machine médiatique est maintenant un ogre insatiable qui bouffe de l'image et de la nouvelle avec ferveur.
On remarquera, par ailleurs, que toute cette couverture médiatique a aussi comme effet d'améliorer nos connaissances en matière de papauté, avec des commentaires abondants sur les rites complexes et un peu mystérieux du conclave ou sur le rôle d'un personnage portant le titre de camerlingue.
Plus sérieusement, on a également vu défiler à l'écran toute une série de théologiens, de spécialistes en religion et de prêtres qui n'ont pas l'habitude d'avoir autant accès aux médias. Je dirais même que, nonobstant les croyances personnelles, les événements des derniers jours ont également forcé plusieurs personnes à réfléchir au rôle du spirituel dans leurs vies, ce qui n'est pas rien compte tenu de l'habituelle superficialité de la télévision. Par ailleurs, les bilans qui ont été présentés à la télévision et dans les journaux ont semblé relativement nuancés, soulignant à la fois la très grande influence de Jean-Paul II sur le plan politique et spirituel tout en insistant sur ses positions d'arrière-garde dans plusieurs domaines, dont la contraception et l'homosexualité ne sont pas les moindres.
Mais à quel moment ce déploiement médiatique baissera-t-il d'intensité ? L'agonie et la mort du pape ont complètement fait disparaître des ondes l'histoire de Terri Schiavo, qui était pourtant devenue il y a à peine une semaine la grande affaire médiatique des États-Unis. Et dans deux semaines, de quelle autre drame voudra se rassasier l'ogre médiatique ?
pcauchon@ledevoir.com