critique pris sur un site religieux .....lui a pas beaucoup aimé le roman je crois...
Les pauvres secrets de « Da Vinci code »
Paru dans La Croix le mardi 26/10/2004
Ce qui est atterrant en fin de compte dans ces inepties, c'est que la richesse humaine du message de Jésus, et aussi la richesse de l'idée d'incarnation de Dieu, sont réduites à un « misérable petit tas de secrets
Les gogos, même cultivés, s'y laissent prendre
Da Vinci code, le best-seller du moment, propose une relecture des origines chrétiennes qui en trouble légitimement plus d'un. Il se pourrait que l'auteur, Dan Brown, s'amuse avec ce catalogue de tout ce que la littérature ésotérique, gnostique, new age, kabbalistique... a charrié depuis cinquante ans.
Le mieux serait de s'en amuser avec lui. Mais sa force d'affirmation autant que ses qualités narratives produisent un tel « effet de réel » que les gogos, même cultivés, s'y laissent prendre.
J'entendais récemment une journaliste qui officie le samedi soir sur une chaîne culturelle se féliciter de ce que Da Vinci code révélait enfin tout ce que l'Église catholique avait toujours occulté et réprimé ! Dan Brown se surpasse en effet pour recycler tous les « Jésus de pacotille » mis sur le marché ces dernières décennies.
Je rappelle le principe qui guide tous ces travaux : l'Église (catholique et romaine - romaine depuis le début, bien entendu...) nous a caché des choses.
Elle a assuré dès les origines sa mainmise sur le message de Jésus et imposé son interprétation, à l'exclusion de toutes les autres. Ces dernières se trouvent dans les textes dits « apocryphes », c'est-à-dire ceux qui ne figurent pas dans le « canon » (la liste des écrits) du Nouveau Testament.
L'Église a non seulement impitoyablement écarté et sanctionné tout ce qui la gênait, mais (c'est dit texto dans Da Vinci code), elle a rejeté la vraie histoire de Jésus (c'est-à-dire celle que raconte le roman, nourri, entre autres, aux écrits découverts à Qumrân en 1947 ou à la « bibliothèque gnostique » de Nag Hammadi, en Égypte, en 1945) au profit de la fausse (celle qui se trouve dans les quatre Évangiles dits « canoniques », de Matthieu, Marc, Luc et Jean).
Pour ne pas déflorer le roman, je ne raconterai pas ce que Brown a repris ou inventé pour présenter la « vraie histoire de Jésus », qui se révèle être surtout celle de Marie-Madeleine. à la scie increvable du mariage entre Jésus et Marie-Madeleine il ajoute le mythe d'un culte de la Déesse aux origines du christianisme, culte qui, évidemment, prônait les pratiques d'Éros - l'amour passion plutôt que celles d'Agapê l'amour du prochain (pourtant, subtilement, n'en déplaise aux féministes, la Femme exaltée par D. Brown est plutôt un objet sexuel pour l'homme...).
Toute la complexité et les aspects obscurs des origines chrétiennes sont évacués au profit de pures spéculations
L'Église l'aurait réprimé férocement tout au long de son histoire, jusqu'à Da Vinci code qui en fait enfin la révélation. Ce que les auteurs de toutes ces fictions, qui récrivent l'histoire telle qu'elle les arrange et que Brown reprend à son compte, cachent soigneusement, c'est que l'exégèse historique et critique et les historiens indépendants qui connaissent bien les origines chrétiennes s'opposent tout autant à leurs thèses que l'Église catholique (et la tradition protestante, qui est plus sévère encore).
Toute la complexité et les aspects obscurs des origines chrétiennes sont évacués au profit de pures spéculations (présentées comme des certitudes) sur le complot de l'Église naissante pour étouffer la vérité - celle qu'on trouve dans des écrits apocryphes relus sans précaution ni recul (1).
Un seul exemple : un personnage de Da Vinci code évoque avec délectation un verset de l'Évangile (gnostique) de Philippe, un texte apocryphe datant probablement du second siècle.
Dans ce verset (v. 55), il est dit que « Marie-Madeleine embrassait souvent Jésus sur la bouche ». Compte tenu du caractère gnostique du texte, les spécialistes hésitent sur l'interprétation - matérielle ou purement spirituelle - de ce passage unique, mais en aucun cas ils n'y voient une « preuve » d'union érotique et sexuelle entre Jésus et le personnage des évangiles appelé « Marie de Magdala ». Pourtant, nos amateurs ès origines chrétiennes gnostiques y voient, eux, sans hésiter la preuve définitive du mariage et du début de la lignée de Jésus, les débuts du Graal véritable...
En effet, et c'est la bonne nouvelle selon Brown et consorts, Marie-Madeleine n'était-elle pas enceinte au moment de la crucifixion de Jésus ? Vous l'ignoriez ? Sachez que c'est à cause de Constantin, qui, au début du IVe siècle, « a commandé et financé la rédaction d'un Nouveau Testament qui excluait tous les évangiles évoquant les aspects humains de Jésus ». Ben voyons !
Ce qui est atterrant en fin de compte dans ces inepties, c'est que la richesse humaine du message de Jésus, et aussi la richesse de l'idée d'incarnation de Dieu (à laquelle, certes, on est libre de croire ou non), sont réduites à un « misérable petit tas de secrets », qui ne correspond que trop bien, hélas, à notre ère du vide. (1)
Le livre de Simon Cox, Le Code Da Vinci décrypté, Le Pré-aux-Clercs, 2004, donne des informations factuelles sur les sources de Brown, mais, malgré quelques précautions, il n'a aucune valeur critique
http://www.croire.com/article/index.jsp ... &rubId=187