Le samedi 25 novembre 2006
Dumas : à la recherche du temps perdu
Marie-Christine Blais
La Presse
Des aéroports, des taxis, des métros, des trains et même un satellite presque tous les moyens de transport sauf le vélo se profilent dans les chansons du troisième album de Dumas, Fixer le temps, en magasin mardi prochain. Les passagers à destination de la chanson rock sont invités à prendre le véhicule qui leur convient...
Mi-octobre ensoleillée, au Studio Victor, dans le quartier Saint-Henri, à deux pas de l'autoroute, à l'endroit même où se tenait l'ancienne usine RCA. Les studios sont un étonnant mélange de très ancien - des boiseries magnifiques, de larges fenêtres, une acoustique hors du commun - et de très nouveau - tout l'équipement d'enregistrement.
C'est ici que Dumas, 27 ans, originaire de Victoriaville, vit pratiquement depuis un mois et demi; ici qu'il a enregistré son nouvel album; et ici qu'il va, pour la première fois, faire écouter son album à quelqu'un d'étranger au processus d'enregistrement. Disons qu'il est nerveux et moi aussi.
Car, je peux bien l'avouer, je ne donnais pas cher de la peau de Dumas en 2001. Son premier album ressemblait alors à celui de bien des jeunes sympathiques chanteurs à guitare mais sans grande voix, un des nombreux amis des Cowboys fringants... C'était sans compter le travailleur acharné qu'est Dumas. Son deuxième album, Le cours des jours (2003), nous a tous séduits par ses atmosphères rock, son univers triste et sensuel, son originalité de ton. Ses cordes vocales étaient, euh, assez aléatoires, disons? Qu'à cela ne tienne, Dumas a concocté une formule de spectacle solo qui lui a permis d'affermir sa voix, et d'aplomb, à part ça. Il n'avait pas beaucoup d'expérience de scène? Pas de problème, en plus du spectacle solo, il a proposé une formule de spectacle avec groupe rock, très rock. Avec ces deux concepts, sa guitare et sa volonté, Dumas allait ainsi apprendre son métier en donnant quelque 200 représentations - et pour avoir assisté à quatre de ces représentations, je peux en témoigner: seul ou en gang, Dumas est heureux sous les projecteurs et rend heureux son public.
Est-il utile de préciser que pour Fixer le temps, son nouvel album, il a travaillé, travaillé et travaillé encore? «Pour Le cours des jours, on était entré en studio avec des musiques, mais pas vraiment de textes, explique Dumas. Cette fois, je suis entré en studio avec tout ce qu'il fallait, après un an où j'ai travaillé sur des maquettes pour 25 chansons possibles. Et on a fait le disque d'une façon particulière, poursuit-t-il. On a décidé de l'enregistrer vraiment «live» en studio, avec tout le groupe, en un mois et demi : on enregistre la chanson en une prise, et puis, on la garde, ou on l'efface!»
«Je voulais ainsi retrouver l'énergie du spectacle sur l'album, poursuit-il, je trouve que j'achète beaucoup de disques qui sont parfaits, faits à la souris d'ordinateur, et donc un peu froids. Là, disons qu'on avait chaud (rires), c'est un disque quasi en temps réel. Avec Carl Bastien (qui a réalisé, arrangé, enregistré et mixé l'album) et Louis Legault (coréalisateur, coenregistreur et comixeur), on s'est aussi fixé une limite pour l'instrumentation : une batterie, une basse, deux guitares; j'ai enlevé les claviers parce que j'en étais tanné... sauf le piano, je voulais faire un disque rock avec du piano - comme Bowie faisait dans les années 70 (rires).»
Ce «on garde ou on efface» explique en partie le sentiment d'urgence qui parcourt Fixer le temps. Mais il y a plus: «Le passé revient malgré la fuite en avant, explique Dumas. C'est un thème qui m'obsède. Je suis moi-même quelqu'un de fuyant dans la vraie vie. Pendant la période où j'ai écrit les textes, il y a eu des décès chez mes proches. Je n'avais jamais été confronté à cela avant. Même si tu es jeune, les choses ont une fin, t'en as déjà un bout de fait et des gens disparaissent...»
La chanson Poste restante découle de cette expérience. Ce pourrait être une chanson d'amour pour une femme, c'est plutôt une chanson de dépression après la mort... «On est toujours tiraillé entre deux urgences, explique sobrement Dumas, fuir ou rattraper le temps perdu.»
Dans cet album, les déplacements sont omniprésents, notamment parce que Dumas était effectivement ailleurs: «On a fini la tournée de Le cours des jours au Nouveau Casino de Paris, en mai dernier, relate-t-il, et je suis ensuite parti en voyage avec un de mes meilleurs amis, Louis-Philippe Héneault, qui est réalisateur de clips. C'est un ami d'enfance. On est allés à Berlin pendant deux semaines et demie. Comme l'avaient fait Bowie et Iggy Pop. Mais nous, ce n'était pas pour une cure de désintox (rires), plutôt pour écrire, Louis-Philippe, un film, moi, des paroles. Le fait d'être ailleurs a nécessairement influencé le disque.»
«Le spectacle solo m'a décomplexé beaucoup par rapport à la musique, ajoute-t-il. Je ne lis pas la musique, je joue par oreille et j'avais un peu peur, avant, d'amener mes idées à de vrais musiciens. En faisant les spectacles solo, je me suis rassuré, je me suis senti en possession de mes moyens. «
«Ça m'a aidé pour les mélodies, pour tout, en fait. On ne se comptera pas de menteries, ce disque est plus attendu que ne l'était mon précédent (rires). La seule façon que j'ai trouvée pour gérer le stress, c'est... de travailler, conclut-il. Écrire et réécrire beaucoup. Composer beaucoup. J'ai tenté de faire les meilleures chansons que je pouvais faire... C'est vraiment tout ce que je pouvais faire.»
RÊVER, C'EST VOYAGER
C'est fascinant, discuter avec Dumas. Boulimique de disques, avide de spectacles, il semble avoir tout entendu, tout vu, et ne dissimule pas tout ce qui l'influence et l'inspire - pas besoin de le cacher puisqu'il amalgame tout cela pour en faire une musique profondément personnelle. Cela va de Wilco à l'album All Things Must Pass de George Harrison, de U2 à John Frusciante, de Oasis et The Verve à Wings, le groupe de Paul McCartney dans les années 70! Sans oublier des Québécois qui ont tous, par hasard, défrayé la chronique dernièrement (bien avant l'entrevue avec Dumas, qui a eu lieu à la mi-octobre)...
JEAN-PIERRE FERLAND : «En voyage, j'ai écouté énormément le disque Soleil (1971) de Ferland. J'avais déjà beaucoup écouté Jaune (1970) avant, mais Soleil, je le connaissais moins. Là, il m'est rentré dedans. J'aime beaucoup le travail sur les voix, les chorales... La première phrase de ma chanson Alors alors, (« Ailleurs, c'est peut-être ici/Va savoir «), c'est une référence à la première phrase qui ouvre le disque Jaune: « Ailleurs, C'est peut-être loin/ou c'est p't-être à côté «.
ROBERT CHARLEBOIS: «Pendant ce voyage, j'ai aussi beaucoup écouté du vieux Charlebois - il y a même failli avoir une version de Fu Man Chu sur l'album. On l'a enregistrée, mais elle n'allait finalement pas bien sur l'album. Mais elle existe. Et il y a un petit clin d'oeil à Charlebois dans ma chanson La ville s'éveille : «La radio chuchote California... »
JEAN LELOUP-LECLERC: « Je ne pourrai jamais nier que Leloup - Leclerc, maintenant (rires) - a été pour moi un éveil. J'ai appris à jouer de la guitare sur ses chansons... »
CE QUE JE SUIS
Sur le tout récent - et excellent - album de Michel Faubert, La fin du monde, se trouve la chanson Eukuan etnitakushian (qui signifie « ce que je suis), texte de Michel X. Côté et musique de Dumas. Cela donne une mélodie incroyablement accrocheuse, qui n'est pas sans évoquer... Kashtin! «C'est dû à une raison, explique en souriant Dumas. Ça fait longtemps que cette chanson existe. Avant de travailler avec Jérôme Minière (qui a réalisé La fin du monde), Michel Faubert a commencé à travailler avec moi. Mais finalement, j'étais trop occupé avec mon propre disque. Je n'ai composé que cette mélodie, que j'ai faite dans mon ancien appartement, mon tout premier appartement à Montréal, qui était auparavant... l'appartement de Florent Vollant (ex-Kashtin). J'aime beaucoup Florent et le genre de folk particulier qu'il fait, c'est sans doute ce qui m'a inspiré. Le plus drôle, c'est que Michel part avec la mélodie, que j'oublie complètement. Je l'ai finalement entendue quelque temps avant le lancement son disque! Ça m'a fait du bien, travailler une musique sans avoir travaillé le texte. Et c'était la première fois que quelqu'un interprétait une de mes musiques. »
FIXER LE TEMPS SUR SCÈNE
C'est certainement une des choses que Dumas fait le mieux et avec manifestement le plus de plaisir : des spectacles. Son nouvel album n'est pas encore dans les bacs qu'on annonce déjà une tournée qui débutera à Sherbrooke le 8 décembre. Ça tombe bien, à l'écoute de Fixer le temps, un constat : ce disque est fait pour être porté à la scène. Outre des mélodies fortes, la plupart des chansons comportent des choeurs et des claps, exactement ce qu'il faut pour qu'une foule participe activement. Après Québec et Saint-André, le spectacle s'arrêtera à Montréal, au National du 28 au 31 décembre, puis du 23 au 27 janvier, enfin du 6 au 10 février. Châteauguay, Trois-Rivières, Jonquière, Rimouski, Baie-Comeau et plein d'autres villes sont également au programme. Pour connaître les détails:
www.dumasmusique.com.Pour l'occasion, Dumas sera accompagné de Marc-André Laroque à la batterie, François Plante à la basse et Jocelyn Tellier à la guitare : «Ça fait huit mois que je n'ai pas donné de spectacle, explique un Dumas piaffant. Il me semble que je ne me rappelle plus rien, j'ai peur d'avoir tout oublié... » Disons que, de notre côté, on est très confiant.
Dumas en cinq disques
2001 - Dumas
2003 - Le cours des jours
2004 - Ferme la radio (mini-album vendu uniquement pendant les spectacles et sur Internet)
2004 - Bande sonore du film Les Aimants (réalisé et composé avec Carl Bastien)
2006 - Fixer le