Publié : mer. avr. 20, 2005 3:57 am
CONTRATS À LA FIRME EARNSCLIFFE
Pressions du bureau de Martin sur Dingwall
Gilles Toupin et Joël-Denis Bellavance
La Presse
Ottawa
Le bureau de Paul Martin aurait exercé des pressions sur le président de la Monnaie royale canadienne, David Dingwall, pour qu'il contredise le témoignage explosif de Warren Kinsella au comité des comptes publics des Communes lundi, a appris La Presse hier.
Dans son témoignage, M. Kinsella, ancien adjoint exécutif de M. Dingwall au moment où ce dernier était ministre des Travaux publics, entre 1993 et 1995, a affirmé sous serment que M. Martin est intervenu, lorsqu'il était ministre des Finances, pour favoriser l'octroi de contrats à la firme de communications Earnscliffe, d'Ottawa.
Plusieurs proches collaborateurs de Paul Martin ont travaillé pour cette firme au moment où il mettait sur pied une organisation pour forcer l'ancien premier ministre Jean Chrétien à tirer sa révérence dans les années 90. Parmi eux, on dénombre David Herle, conjoint de Terrie O'Leary, qui était chef de cabinet de M. Martin aux Finances, ainsi que Scott Reid, actuel directeur des communications du premier ministre.
M. Herle est d'ailleurs toujours au service de M. Martin puisqu'il coprésidera à nouveau la campagne nationale du Parti libéral aux prochaines élections.
«Le bureau du premier ministre a exercé des pressions sur M. Dingwall pour qu'il répudie le témoignage (de M. Kinsella)», a déclaré une source libérale digne de foi sous le couvert de l'anonymat.
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Au cours de son témoignage devant le comité des comptes publics, M. Kinsella a révélé qu'un peu avant sa comparution, il avait reçu une mise en garde. «Il y a visiblement des gens un peu nerveux, puisque j'ai reçu un appel me prévenant que tout ce que j'allais dire serait contredit par M. Dingwall, mon ancien ministre. J'ai trouvé cela déplacé, c'est de l'intimidation», a lancé Warren Kinsella devant les députés estomaqués.
Hier, M. Kinsella affirmait sur son blogue qu'un employé de l'édifice Langevin, où se trouve les bureaux du premier ministre, avait entrepris de faire pression sur un employé de l'État pour qu'il répudie publiquement son témoignage.
Depuis quelques années, M. Kinsella, allié indéfectible de Jean Chrétien, ne cache pas son inimitié face à Paul Martin et ses proches collaborateurs.
Selon des informations obtenues hier par La Presse, M. Kinsella a été averti que le bureau du premier ministre exerçait des pressions sur M. Dingwall par Frank Schiller, ami des deux hommes. Ce dernier a envoyé un courriel à M. Kinsella environ une demi-heure avant son témoignage pour l'informer de la situation.
Finalement, M. Dingwall, qui empoche un salaire annuel d'environ 250 000 $, semble avoir résisté jusqu'ici aux pressions, n'ayant exprimé aucun commentaire contredisant son ancien adjoint. Il a été impossible de joindre M. Dingwall, hier.
Interrogé à ce sujet, hier soir, le bureau du premier ministre a nié avec véhémence avoir tenté d'intimider M. Kinsella. «Le bureau du premier ministre n'a pas parlé directement ou indirectement à M. Kinsella. Commenter davantage sur ce dossier serait faire ce que veut M. Kinsella, c'est-à-dire lui accorder de l'attention», a déclaré Marc Roy, porte-parole du premier ministre.
Les allégations de M. Kinsella ont eu un grand retentissement aux Communes hier, d'autant plus que Paul Martin, au grand dam de l'opposition, ne s'est pas présenté pour la deuxième journée consécutive pour répondre aux questions. M. Martin a en effet passé une partie de la journée à rencontrer des ambassadeurs pour leur expliquer la nouvelle politique de son gouvernement en matière d'affaires étrangères, rendue publique hier.
«Compte tenu que le premier ministre est empêtré dans le plus grand scandale de l'histoire du pays, ne devrait-il pas être ici sur le parquet de la Chambre pour répondre aux questions?» a tonné le chef du Parti conservateur, Stephen Harper.
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a aussi attaqué la crédibilité du premier ministre en utilisant le témoignage de M. Kinsella. Selon M. Duceppe, les propos de ce dernier démontrent que Paul Martin a favorisé une firme appuyant sa campagne au leadership.
«Warren Kinsella témoignait sous serment, preuves à l'appui. Il ne faut pas seulement qu'il n'y ait pas conflit d'intérêts, il faut qu'il n'y ait pas apparence de conflit d'intérêts. Or, voilà la chef de cabinet du ministre des Finances de l'époque, aujourd'hui premier ministre, s'adonne à être l'épouse d'une personne qui travaille à la firme Earnscliffe et que le contrat est accordé à Earnscliffe. Est-ce qu'il n'y a pas là un conflit d'intérêts?» a demandé Gilles Duceppe.
Le ministre des Finances, Ralph Goodale, a balayé d'un revers de main les accusations de l'opposition, affirmant que la vérificatrice générale Sheila Fraser avait déjà enquêté sur cette affaire et qu'elle n'avait rien trouvé d'anormal.
Riposte de l'opposition
Parallèlement à ces attaques soutenues contre Paul Martin, hier, les trois partis de l'opposition ont préparé leur riposte à la décision controversée du gouvernement libéral de reporter les jours de séance aux Communes réservés à l'opposition, bloquant ainsi la possibilité d'élections printanières.
Hier, le Parti conservateur a contré cette manoeuvre unilatérale en déposant au comité de la procédure et des affaires de la Chambre une motion obligeant les libéraux à restituer une journée de l'opposition avant le 18 mai pour qu'un vote ait lieu au plus tard le 19 mai. Cette motion contraignante sera facilement adoptée par le comité, dominé par l'opposition, demain après-midi, et sera mise aux voix aux Communes le mardi 3 mai.
Résultat: le Parti conservateur pourra déposer une motion de blâme dans les jours suivants afin de forcer la tenue d'élections générales en juin. Les dates possibles du scrutin sont les 20 et 27 juin. D'ici à l'adoption de la fameuse motion, les trois partis de l'opposition ont promis de paralyser les travaux du Parlement.
EARNCLIFFE
Earnscliffe Strategy Group est une firme de communication d'Ottawa dont plusieurs dirigeants et employés ont travaillé à la course de Paul Martin à la direction du Parti libéral. David Herle, proche de Paul Martin qui l'a conseillé, fut l'un des dirigeants de Earnscliffe. Il est actuellement coprésident de la prochaine campagne électorale libérale, poste qu'il occupait aussi lors des élections de 2004.
Pressions du bureau de Martin sur Dingwall
Gilles Toupin et Joël-Denis Bellavance
La Presse
Ottawa
Le bureau de Paul Martin aurait exercé des pressions sur le président de la Monnaie royale canadienne, David Dingwall, pour qu'il contredise le témoignage explosif de Warren Kinsella au comité des comptes publics des Communes lundi, a appris La Presse hier.
Dans son témoignage, M. Kinsella, ancien adjoint exécutif de M. Dingwall au moment où ce dernier était ministre des Travaux publics, entre 1993 et 1995, a affirmé sous serment que M. Martin est intervenu, lorsqu'il était ministre des Finances, pour favoriser l'octroi de contrats à la firme de communications Earnscliffe, d'Ottawa.
Plusieurs proches collaborateurs de Paul Martin ont travaillé pour cette firme au moment où il mettait sur pied une organisation pour forcer l'ancien premier ministre Jean Chrétien à tirer sa révérence dans les années 90. Parmi eux, on dénombre David Herle, conjoint de Terrie O'Leary, qui était chef de cabinet de M. Martin aux Finances, ainsi que Scott Reid, actuel directeur des communications du premier ministre.
M. Herle est d'ailleurs toujours au service de M. Martin puisqu'il coprésidera à nouveau la campagne nationale du Parti libéral aux prochaines élections.
«Le bureau du premier ministre a exercé des pressions sur M. Dingwall pour qu'il répudie le témoignage (de M. Kinsella)», a déclaré une source libérale digne de foi sous le couvert de l'anonymat.
Publicité
Au cours de son témoignage devant le comité des comptes publics, M. Kinsella a révélé qu'un peu avant sa comparution, il avait reçu une mise en garde. «Il y a visiblement des gens un peu nerveux, puisque j'ai reçu un appel me prévenant que tout ce que j'allais dire serait contredit par M. Dingwall, mon ancien ministre. J'ai trouvé cela déplacé, c'est de l'intimidation», a lancé Warren Kinsella devant les députés estomaqués.
Hier, M. Kinsella affirmait sur son blogue qu'un employé de l'édifice Langevin, où se trouve les bureaux du premier ministre, avait entrepris de faire pression sur un employé de l'État pour qu'il répudie publiquement son témoignage.
Depuis quelques années, M. Kinsella, allié indéfectible de Jean Chrétien, ne cache pas son inimitié face à Paul Martin et ses proches collaborateurs.
Selon des informations obtenues hier par La Presse, M. Kinsella a été averti que le bureau du premier ministre exerçait des pressions sur M. Dingwall par Frank Schiller, ami des deux hommes. Ce dernier a envoyé un courriel à M. Kinsella environ une demi-heure avant son témoignage pour l'informer de la situation.
Finalement, M. Dingwall, qui empoche un salaire annuel d'environ 250 000 $, semble avoir résisté jusqu'ici aux pressions, n'ayant exprimé aucun commentaire contredisant son ancien adjoint. Il a été impossible de joindre M. Dingwall, hier.
Interrogé à ce sujet, hier soir, le bureau du premier ministre a nié avec véhémence avoir tenté d'intimider M. Kinsella. «Le bureau du premier ministre n'a pas parlé directement ou indirectement à M. Kinsella. Commenter davantage sur ce dossier serait faire ce que veut M. Kinsella, c'est-à-dire lui accorder de l'attention», a déclaré Marc Roy, porte-parole du premier ministre.
Les allégations de M. Kinsella ont eu un grand retentissement aux Communes hier, d'autant plus que Paul Martin, au grand dam de l'opposition, ne s'est pas présenté pour la deuxième journée consécutive pour répondre aux questions. M. Martin a en effet passé une partie de la journée à rencontrer des ambassadeurs pour leur expliquer la nouvelle politique de son gouvernement en matière d'affaires étrangères, rendue publique hier.
«Compte tenu que le premier ministre est empêtré dans le plus grand scandale de l'histoire du pays, ne devrait-il pas être ici sur le parquet de la Chambre pour répondre aux questions?» a tonné le chef du Parti conservateur, Stephen Harper.
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a aussi attaqué la crédibilité du premier ministre en utilisant le témoignage de M. Kinsella. Selon M. Duceppe, les propos de ce dernier démontrent que Paul Martin a favorisé une firme appuyant sa campagne au leadership.
«Warren Kinsella témoignait sous serment, preuves à l'appui. Il ne faut pas seulement qu'il n'y ait pas conflit d'intérêts, il faut qu'il n'y ait pas apparence de conflit d'intérêts. Or, voilà la chef de cabinet du ministre des Finances de l'époque, aujourd'hui premier ministre, s'adonne à être l'épouse d'une personne qui travaille à la firme Earnscliffe et que le contrat est accordé à Earnscliffe. Est-ce qu'il n'y a pas là un conflit d'intérêts?» a demandé Gilles Duceppe.
Le ministre des Finances, Ralph Goodale, a balayé d'un revers de main les accusations de l'opposition, affirmant que la vérificatrice générale Sheila Fraser avait déjà enquêté sur cette affaire et qu'elle n'avait rien trouvé d'anormal.
Riposte de l'opposition
Parallèlement à ces attaques soutenues contre Paul Martin, hier, les trois partis de l'opposition ont préparé leur riposte à la décision controversée du gouvernement libéral de reporter les jours de séance aux Communes réservés à l'opposition, bloquant ainsi la possibilité d'élections printanières.
Hier, le Parti conservateur a contré cette manoeuvre unilatérale en déposant au comité de la procédure et des affaires de la Chambre une motion obligeant les libéraux à restituer une journée de l'opposition avant le 18 mai pour qu'un vote ait lieu au plus tard le 19 mai. Cette motion contraignante sera facilement adoptée par le comité, dominé par l'opposition, demain après-midi, et sera mise aux voix aux Communes le mardi 3 mai.
Résultat: le Parti conservateur pourra déposer une motion de blâme dans les jours suivants afin de forcer la tenue d'élections générales en juin. Les dates possibles du scrutin sont les 20 et 27 juin. D'ici à l'adoption de la fameuse motion, les trois partis de l'opposition ont promis de paralyser les travaux du Parlement.
EARNCLIFFE
Earnscliffe Strategy Group est une firme de communication d'Ottawa dont plusieurs dirigeants et employés ont travaillé à la course de Paul Martin à la direction du Parti libéral. David Herle, proche de Paul Martin qui l'a conseillé, fut l'un des dirigeants de Earnscliffe. Il est actuellement coprésident de la prochaine campagne électorale libérale, poste qu'il occupait aussi lors des élections de 2004.