Publié : mar. févr. 15, 2005 12:40 pm
Le Wal-Mart de Jonquière: une goutte d'eau
Gaétan Frigon, OPINION
Ça va prendre plus que les événements de Jonquière pour faire fléchir la plus grosse entreprise de la planète.
Penser une seule minute que Wal-Mart (WMT) allait laisser Jonquière lui dicter sa ligne de conduite en matière de relations de travail tient de l'illusion. Wal-Mart en a vu bien d'autres et est loin d'en être à ses premières batailles. Ça va prendre plus que les événements de Jonquière pour faire fléchir la plus grosse entreprise de la planète.
Dans le passé, on a vu nombre d'autres grandes entreprises de commerce de détail disparaître. Mais c'était presque toujours parce que ces entreprises n'avaient pas adopté assez rapidement le virage technologique, avaient oublié le consommateur dans leurs stratégies ou, encore, s'étaient lancées dans des projets de diversification mal avisés. Dans le cas de Wal-Mart, il faudra chercher ailleurs les causes d'un déclin éventuel.
D'une part, Wal-Mart est et a toujours été à la fine pointe de la technologie et a toujours considéré le consommateur comme sa seule priorité. D'autre part, son expansion sans fin se fait uniquement dans un domaine qu'elle maîtrise parfaitement: le commerce de détail à escompte. En fait, si déclin il y a, il viendra de la révolte des consommateurs, ceux-la même qui bénéficient de ses bas prix, de la révolte des fournisseurs, qui en ont assez de devoir vendre à perte à Wal-Mart, et de la révolte des employés, pour qui être " associés " n'apporte finalement rien de bon.
La base de la culture Wal-Mart est implacable. On peut la résumer par l'expression " le meilleur prix à tout prix, quelles qu'en soient les conséquences ". Que l'application de cette politique se fasse au détriment des employés ou des fournisseurs n'a aucune importance parce que la fin justifie les moyens. Wal-Mart maîtrise parfaitement sa gigantesque chaîne d'approvisionnement et utilise tout son poids pour forcer les fournisseurs à baisser leurs prix. Si, en retour, ces derniers font faillite, alors tant pis!
D'ailleurs, Wal-Mart a été la première entreprise à acheter massivement des produits fabriqués en Chine et sa politique de prix a obligé beaucoup de ses fournisseurs à faire de même. Aujourd'hui, près de 80 % de ses 6000 fournisseurs ont des rapports avec la Chine. Et, conséquemment, on ne compte plus aux États-Unis le nombre d'entreprises qui ont fermé leurs portes à cause de Wal-Mart. Même au Québec, de nombreux fournisseurs ont vécu des expériences malheureuses avec Wal-Mart.
Politiques antisyndicales
Nous connaissons tous les politiques antisyndicales de Wal-Mart et leur hantise vis-à-vis toute possibilité de syndicalisation. Pour eux, le syndicalisme va à l'encontre de leur concept " d'associés ", qui part du PDG et qui va jusqu'aux balayeurs de plancher. Wal-Mart ne veut d'aucune façon avoir à négocier avec qui que ce soit l'organisation du travail en magasin. Et la politique salariale de Wal-Mart, avec des salaires souvent jusqu'à 40 % plus bas que ceux payés par ses concurrents, fait en sorte qu'on est en train de niveler par le bas.
Cette politique donne à Wal-Mart un avantage indéniable même si tous admettent que c'est contraire à l'éthique. D'ailleurs, l'impact de cette politique salariale est immense parce que Wal-Mart n'est plus seulement la plus importante chaîne de magasins aux États-Unis, mais aussi le numéro un en alimentation et le numéro trois en pharmacie. On ne compte plus le nombre de compétiteurs qui ont dû obtenir des concessions salariales de leurs employés simplement pour survivre face à la concurrence implacable de Wal-Mart.
On peut s'attendre à ce que les politiques antisyndicales rattrapent Wal-Mart un jour. Il y a présentement trop de forces qui convergent pour que ça n'arrive pas dans un avenir plus ou moins rapproché. Mais dans cette partie de bras de fer, le magasin de Jonquière n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan. Sa fermeture ne changera pas grand-chose au bilan financier de Wal-Mart, mais le message est clair: pas de syndicat chez nous.
Et le syndicat a, jusqu'à un certain point, joué le jeu de Wal-Mart en demandant des changements majeurs dans l'organisation du travail dès la première convention collective, donnant ainsi à Wal-Mart les arguments économiques dont elle avait besoin pour annoncer la fermeture du magasin. Il aurait certes été plus prudent, connaissant les positions de Wal-Mart, de signer une première convention collective avec sensiblement les mêmes conditions de travail et d'attendre que plusieurs magasins aient leur accréditation syndicale avant d'exiger des changements plus fondamentaux.
Fermer un magasin est facile, mais en fermer 15 est beaucoup plus difficile. Cela étant dit, je demeure convaincu que tout mouvement valable de syndicalisation de Wal-Mart va devoir réussir aux États-Unis avant de réussir au Canada. Sur les quelques 5000 magasins que Wal-Mart possède un peu partout dans le monde, il n'y en a que 235 au Canada, moins de 5 % du total. Dans ce contexte, pourquoi Wal-Mart laisserait-elle ses magasins du Québec ou du Canada se syndiquer et ainsi risquer que le mouvement traverse la frontière? (...)
Ayant occupé différents postes de direction dans le commerce de détail pendant près de 40 ans notamment à la SAQ l'auteur est aujourd'hui copropriétaire de plusieurs entreprises dont Publipage Inc. Nous publions en deux parties aujourd'hui et demain le texte d'opinion sur Wal-Mart qu'il nous a fait parvenir.
Gaétan Frigon, OPINION
Ça va prendre plus que les événements de Jonquière pour faire fléchir la plus grosse entreprise de la planète.
Penser une seule minute que Wal-Mart (WMT) allait laisser Jonquière lui dicter sa ligne de conduite en matière de relations de travail tient de l'illusion. Wal-Mart en a vu bien d'autres et est loin d'en être à ses premières batailles. Ça va prendre plus que les événements de Jonquière pour faire fléchir la plus grosse entreprise de la planète.
Dans le passé, on a vu nombre d'autres grandes entreprises de commerce de détail disparaître. Mais c'était presque toujours parce que ces entreprises n'avaient pas adopté assez rapidement le virage technologique, avaient oublié le consommateur dans leurs stratégies ou, encore, s'étaient lancées dans des projets de diversification mal avisés. Dans le cas de Wal-Mart, il faudra chercher ailleurs les causes d'un déclin éventuel.
D'une part, Wal-Mart est et a toujours été à la fine pointe de la technologie et a toujours considéré le consommateur comme sa seule priorité. D'autre part, son expansion sans fin se fait uniquement dans un domaine qu'elle maîtrise parfaitement: le commerce de détail à escompte. En fait, si déclin il y a, il viendra de la révolte des consommateurs, ceux-la même qui bénéficient de ses bas prix, de la révolte des fournisseurs, qui en ont assez de devoir vendre à perte à Wal-Mart, et de la révolte des employés, pour qui être " associés " n'apporte finalement rien de bon.
La base de la culture Wal-Mart est implacable. On peut la résumer par l'expression " le meilleur prix à tout prix, quelles qu'en soient les conséquences ". Que l'application de cette politique se fasse au détriment des employés ou des fournisseurs n'a aucune importance parce que la fin justifie les moyens. Wal-Mart maîtrise parfaitement sa gigantesque chaîne d'approvisionnement et utilise tout son poids pour forcer les fournisseurs à baisser leurs prix. Si, en retour, ces derniers font faillite, alors tant pis!
D'ailleurs, Wal-Mart a été la première entreprise à acheter massivement des produits fabriqués en Chine et sa politique de prix a obligé beaucoup de ses fournisseurs à faire de même. Aujourd'hui, près de 80 % de ses 6000 fournisseurs ont des rapports avec la Chine. Et, conséquemment, on ne compte plus aux États-Unis le nombre d'entreprises qui ont fermé leurs portes à cause de Wal-Mart. Même au Québec, de nombreux fournisseurs ont vécu des expériences malheureuses avec Wal-Mart.
Politiques antisyndicales
Nous connaissons tous les politiques antisyndicales de Wal-Mart et leur hantise vis-à-vis toute possibilité de syndicalisation. Pour eux, le syndicalisme va à l'encontre de leur concept " d'associés ", qui part du PDG et qui va jusqu'aux balayeurs de plancher. Wal-Mart ne veut d'aucune façon avoir à négocier avec qui que ce soit l'organisation du travail en magasin. Et la politique salariale de Wal-Mart, avec des salaires souvent jusqu'à 40 % plus bas que ceux payés par ses concurrents, fait en sorte qu'on est en train de niveler par le bas.
Cette politique donne à Wal-Mart un avantage indéniable même si tous admettent que c'est contraire à l'éthique. D'ailleurs, l'impact de cette politique salariale est immense parce que Wal-Mart n'est plus seulement la plus importante chaîne de magasins aux États-Unis, mais aussi le numéro un en alimentation et le numéro trois en pharmacie. On ne compte plus le nombre de compétiteurs qui ont dû obtenir des concessions salariales de leurs employés simplement pour survivre face à la concurrence implacable de Wal-Mart.
On peut s'attendre à ce que les politiques antisyndicales rattrapent Wal-Mart un jour. Il y a présentement trop de forces qui convergent pour que ça n'arrive pas dans un avenir plus ou moins rapproché. Mais dans cette partie de bras de fer, le magasin de Jonquière n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan. Sa fermeture ne changera pas grand-chose au bilan financier de Wal-Mart, mais le message est clair: pas de syndicat chez nous.
Et le syndicat a, jusqu'à un certain point, joué le jeu de Wal-Mart en demandant des changements majeurs dans l'organisation du travail dès la première convention collective, donnant ainsi à Wal-Mart les arguments économiques dont elle avait besoin pour annoncer la fermeture du magasin. Il aurait certes été plus prudent, connaissant les positions de Wal-Mart, de signer une première convention collective avec sensiblement les mêmes conditions de travail et d'attendre que plusieurs magasins aient leur accréditation syndicale avant d'exiger des changements plus fondamentaux.
Fermer un magasin est facile, mais en fermer 15 est beaucoup plus difficile. Cela étant dit, je demeure convaincu que tout mouvement valable de syndicalisation de Wal-Mart va devoir réussir aux États-Unis avant de réussir au Canada. Sur les quelques 5000 magasins que Wal-Mart possède un peu partout dans le monde, il n'y en a que 235 au Canada, moins de 5 % du total. Dans ce contexte, pourquoi Wal-Mart laisserait-elle ses magasins du Québec ou du Canada se syndiquer et ainsi risquer que le mouvement traverse la frontière? (...)
Ayant occupé différents postes de direction dans le commerce de détail pendant près de 40 ans notamment à la SAQ l'auteur est aujourd'hui copropriétaire de plusieurs entreprises dont Publipage Inc. Nous publions en deux parties aujourd'hui et demain le texte d'opinion sur Wal-Mart qu'il nous a fait parvenir.