Publié : ven. sept. 09, 2005 2:56 am
Bras de fer politique autour de Katrina
Le Devoir
Édition du vendredi 9 septembre 2005
L'administration Bush a continué d'être assaillie de critiques hier pour la lenteur des secours après le passage de l'ouragan Katrina. La grave crise humanitaire qui secoue le pays se double d'un bras de fer politique alors que les démocrates ont annoncé hier qu'ils boycotteront la commission d'enquête spéciale du Congrès, jugée trop partiale.
Pour ajouter au cauchemar de George W. Bush, les deux responsables de la Commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, dont le rapport est devenu un véritable best-seller, ont ajouté leur voix à ceux qui dénoncent les défaillances des secours d'urgence. «Les mêmes erreurs que celles commises le 11 septembre 2001 ont été répétées, en pire dans certains cas. Il s'agit de défauts structurels qui peuvent être résolus et qui auraient dû l'être», a déclaré le responsable de la commission, Thomas Kean, d'allégeance républicaine. Les commissaires ont évoqué l'absence de responsable chargé de superviser les opérations, les lacunes dans les communications d'urgence et l'incapacité de fournir une aide ciblée aux catégories de population les plus exposées.
L'ex-secrétaire d'État Colin Powell a lui aussi critiqué la gestion de la catastrophe sur les ondes de CNN en affirmant qu'il y avait eu des «échecs» à tous les niveaux de décision. «Il y avait eu plus d'avertissements qu'il n'en fallait au cours du temps sur les dangers que courait La Nouvelle-Orléans. Trop peu a été fait. Je ne pense pas qu'on ait mis à profit le temps qui était disponible, je ne sais pas pourquoi», a dit M. Powell.
C'est très certainement la question que se sont posée des millions d'Américains, ébahis de voir des scènes rappelant les pays du Tiers-Monde diffusées jour et nuit sur les chaînes d'information depuis près de dix jours. Plus des deux tiers des Américains (67 %) estiment que le président américain «aurait pu en faire plus» pour parer la catastrophe. La cote de popularité de celui-ci est à son plus bas, avec seulement 40 % d'opinion favorable, selon un sondage de l'Institut Pew rendu public hier. Pour la première fois depuis les attentats du 11 septembre 2001, les personnes interrogées considèrent que les problèmes intérieurs sont prioritaires face à la guerre contre le terrorisme.
Les tentatives de redorer l'image de l'administration ne semblent pas porter leurs fruits. Pendant que des sinistrés manifestaient devant la Maison-Blanche à Washington, le vice-président Dick Cheney se faisait vertement apostropher par des citoyens en colère lors de sa visite des zones dévastées. M. Cheney a néanmoins affirmé que son administration «faisait des progrès significatifs».
Le président Bush a quant à lui promis d'accélérer les mesures d'aide aux centaines de milliers de sinistrés de la Louisiane et du Mississippi. «Nous avons encore beaucoup de travail à faire», a-t-il déclaré quelques heures avant que le Congrès ne vote un budget supplémentaire de 51,8 milliards pour faire face à la crise, qui s'ajoute aux 10,5 milliards déjà octroyés.
Nombre de réfugiés, notamment à l'Astrodome de Houston, se plaignent de la longueur des files d'attente et de la désorganisation de l'aide. Ils attendent toujours les cartes de débit de 2000 $ promises par l'agence fédérale chargée des situations d'urgence, pour un montant total de 100 millions de dollars.
Deux sénateurs républicains ont demandé à George Bush de désigner un responsable chargé de superviser les opérations de secours au cours des prochains mois. Les noms de l'ancien secrétaire d'État Colin Powell, de l'ancien maire de New York Rudolph Giuliani et de l'ancien chef d'état-major Tommy Franks ont été avancés.
Bras de fer politique
Désireuse de tirer parti des difficultés infligées aux autorités par le désastre Katrina, l'opposition américaine lance une bataille politique pour exiger une commission d'enquête indépendante, seule à même, selon elle, de livrer toute la vérité sur les erreurs commises.
Les démocrates du Congrès ont refusé hier de participer à une commission d'enquête spéciale du Congrès, annoncée la veille par l'état-major républicain et censée associer la majorité et l'opposition du Sénat et de la Chambre des représentants.
«La seule façon de demander des comptes à tous les niveaux de gouvernement, c'est de retirer ce processus des mains des politiciens ayant un intérêt direct dans l'issue» de l'enquête, a plaidé le chef de file des sénateurs démocrates, Harry Reid, tandis que sa collègue à la Chambre Nancy Pelosi qualifiait l'idée d'«imposture».
Interrogé sur le refus démocrate de participer à la commission parlementaire spéciale, le vice-président Dick Cheney a affiché sa tranquillité. «Il n'y a aucune raison pour que [cette commission] ne puisse pas faire un bon travail de contrôle [de l'action gouvernementale] et passer en revue ce qui s'est passé, nous sommes tous d'accord que c'est nécessaire et important», a soutenu M. Cheney au cours de sa mission à La Nouvelle-Orléans, dont le but était précisément de faire rapport au président sur l'état des secours.
Ce boycottage démocrate, s'il se prolonge, ne peut que tuer dans l'oeuf l'initiative des républicains, qui espéraient avoir trouvé une parade aux appels à la création d'une commission indépendante, sur le modèle de celle qui, pendant deux ans, a enquêté sur les défaillances du pouvoir avant les attentats du 11 septembre 2001.
Les experts soulignent que l'administration du républicain George W. Bush, au pouvoir depuis plus de quatre ans, a désormais tout à craindre d'une enquête indépendante sur Katrina, qu'Hillary Clinton, candidate potentielle à la présidentielle de 2008, a été la première à réclamer.
«On se dirige vers une enquête de très grande ampleur, et cela va être très déplaisant» pour les pouvoirs en place, a estimé le politologue Larry Sabato, professeur à l'université de la Virginie, certain que, tout comme après les attentats de 2001, l'administration ne pourra que céder et charger des experts d'analyser l'avant et l'après-Katrina.
L'enquête «se passera certainement en 2006, et ça favorisera les démocrates», a encore prédit M. Sabato, interrogé cette semaine par l'AFP, en rappelant que les prochaines législatives auront lieu dans à peine plus d'un an.
Certains observateurs estiment cependant que l'administration pourrait réussir à résister aux appels à une commission indépendante. «Les familles défavorisées [du sud des États-Unis] n'ont pas la même puissance d'influence à Washington que les familles du 11 septembre et ne pourront donc pas forcer une enquête indépendante», prédisaient hier les responsables du service politique de la chaîne de télévision ABC.
25 000 sacs mortuaires
Dans la ville en partie immergée de La Nouvelle-Orléans, l'heure était hier à la sécurisation tandis que des craintes se faisaient jour sur la toxicité des eaux stagnantes. Tout en recherchant les corps parmi les décombres envahis par les eaux, les secouristes s'employaient à persuader les derniers habitants encore présents à quitter les lieux d'urgence. «À l'heure d'aujourd'hui, la vie est notre priorité, alors nous concentrons toute notre énergie sur l'évacuation des personnes qui souhaitent s'en aller», a déclaré hier le chef de la police locale, Eddie Compass, sur NBC. Il n'est plus question de coercition dans l'immédiat.
De l'avis du vice-amiral Thad Allen, tout juste nommé numéro deux de la Federal Emergency Management Agency (FEMA), l'agence américaine chargée de gérer les situations d'urgence, il est désormais dangereux de vivre à La Nouvelle-Orléans. «Nous commençons aujourd'hui une opération qui nous conduira de pâté de maisons en pâté de maisons pour demander aux gens de partir», a-t-il dit sur CBS.
Les tests gouvernementaux ont confirmé que les eaux recouvrant la cité étaient infectées par des bactéries provenant des égouts, dont la concentration est au moins dix fois supérieure aux normes. On y trouverait notamment la redoutable bactérie E. coli, certains virus et un vecteur du choléra.
«Si vous n'avez pas encore quitté la ville, faites-le !», a lancé le Dr Julie Gerberding, directrice des Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC), invitant toute personne étant entrée en contact avec cette eau à se laver au savon.
La police locale a observé que certains sinistrés encore présents dans le quartier Saint Bernard, situé en banlieue, présentent «des cloques, et la couleur de leur peau est en train de changer».
La recherche des survivants, rendue urgente par le risque d'épidémie, s'ajoute au lent décompte de cadavres difficilement identifiables après leur séjour dans l'eau. Le bilan humain pourrait se chiffrer en milliers de morts et les autorités ont acheminé 25 000 sacs mortuaires.
Selon le maire de La Nouvelle-Orléans, Ray Nagin, le nombre de morts dans la ville pourrait atteindre les 10 000. Une morgue temporaire installée dans un entrepôt du quartier Saint Gabriel devait initialement accueillir 1000 corps. Elle a dû être agrandie pour en recevoir cinq fois plus.
Parallèlement, dans le Mississippi voisin, le bilan officiel dépasse à présent les 200 morts, plus de 1000 personnes restant portées disparues. Seul point positif, les efforts déployés pour rétablir le courant le long du littoral dévasté progressent favorablement. Le gouverneur Haley Barbour a estimé que cette opération pourrait prendre fin dès dimanche pour les habitations et les entreprises encore debout.
Le Devoir
Édition du vendredi 9 septembre 2005
L'administration Bush a continué d'être assaillie de critiques hier pour la lenteur des secours après le passage de l'ouragan Katrina. La grave crise humanitaire qui secoue le pays se double d'un bras de fer politique alors que les démocrates ont annoncé hier qu'ils boycotteront la commission d'enquête spéciale du Congrès, jugée trop partiale.
Pour ajouter au cauchemar de George W. Bush, les deux responsables de la Commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, dont le rapport est devenu un véritable best-seller, ont ajouté leur voix à ceux qui dénoncent les défaillances des secours d'urgence. «Les mêmes erreurs que celles commises le 11 septembre 2001 ont été répétées, en pire dans certains cas. Il s'agit de défauts structurels qui peuvent être résolus et qui auraient dû l'être», a déclaré le responsable de la commission, Thomas Kean, d'allégeance républicaine. Les commissaires ont évoqué l'absence de responsable chargé de superviser les opérations, les lacunes dans les communications d'urgence et l'incapacité de fournir une aide ciblée aux catégories de population les plus exposées.
L'ex-secrétaire d'État Colin Powell a lui aussi critiqué la gestion de la catastrophe sur les ondes de CNN en affirmant qu'il y avait eu des «échecs» à tous les niveaux de décision. «Il y avait eu plus d'avertissements qu'il n'en fallait au cours du temps sur les dangers que courait La Nouvelle-Orléans. Trop peu a été fait. Je ne pense pas qu'on ait mis à profit le temps qui était disponible, je ne sais pas pourquoi», a dit M. Powell.
C'est très certainement la question que se sont posée des millions d'Américains, ébahis de voir des scènes rappelant les pays du Tiers-Monde diffusées jour et nuit sur les chaînes d'information depuis près de dix jours. Plus des deux tiers des Américains (67 %) estiment que le président américain «aurait pu en faire plus» pour parer la catastrophe. La cote de popularité de celui-ci est à son plus bas, avec seulement 40 % d'opinion favorable, selon un sondage de l'Institut Pew rendu public hier. Pour la première fois depuis les attentats du 11 septembre 2001, les personnes interrogées considèrent que les problèmes intérieurs sont prioritaires face à la guerre contre le terrorisme.
Les tentatives de redorer l'image de l'administration ne semblent pas porter leurs fruits. Pendant que des sinistrés manifestaient devant la Maison-Blanche à Washington, le vice-président Dick Cheney se faisait vertement apostropher par des citoyens en colère lors de sa visite des zones dévastées. M. Cheney a néanmoins affirmé que son administration «faisait des progrès significatifs».
Le président Bush a quant à lui promis d'accélérer les mesures d'aide aux centaines de milliers de sinistrés de la Louisiane et du Mississippi. «Nous avons encore beaucoup de travail à faire», a-t-il déclaré quelques heures avant que le Congrès ne vote un budget supplémentaire de 51,8 milliards pour faire face à la crise, qui s'ajoute aux 10,5 milliards déjà octroyés.
Nombre de réfugiés, notamment à l'Astrodome de Houston, se plaignent de la longueur des files d'attente et de la désorganisation de l'aide. Ils attendent toujours les cartes de débit de 2000 $ promises par l'agence fédérale chargée des situations d'urgence, pour un montant total de 100 millions de dollars.
Deux sénateurs républicains ont demandé à George Bush de désigner un responsable chargé de superviser les opérations de secours au cours des prochains mois. Les noms de l'ancien secrétaire d'État Colin Powell, de l'ancien maire de New York Rudolph Giuliani et de l'ancien chef d'état-major Tommy Franks ont été avancés.
Bras de fer politique
Désireuse de tirer parti des difficultés infligées aux autorités par le désastre Katrina, l'opposition américaine lance une bataille politique pour exiger une commission d'enquête indépendante, seule à même, selon elle, de livrer toute la vérité sur les erreurs commises.
Les démocrates du Congrès ont refusé hier de participer à une commission d'enquête spéciale du Congrès, annoncée la veille par l'état-major républicain et censée associer la majorité et l'opposition du Sénat et de la Chambre des représentants.
«La seule façon de demander des comptes à tous les niveaux de gouvernement, c'est de retirer ce processus des mains des politiciens ayant un intérêt direct dans l'issue» de l'enquête, a plaidé le chef de file des sénateurs démocrates, Harry Reid, tandis que sa collègue à la Chambre Nancy Pelosi qualifiait l'idée d'«imposture».
Interrogé sur le refus démocrate de participer à la commission parlementaire spéciale, le vice-président Dick Cheney a affiché sa tranquillité. «Il n'y a aucune raison pour que [cette commission] ne puisse pas faire un bon travail de contrôle [de l'action gouvernementale] et passer en revue ce qui s'est passé, nous sommes tous d'accord que c'est nécessaire et important», a soutenu M. Cheney au cours de sa mission à La Nouvelle-Orléans, dont le but était précisément de faire rapport au président sur l'état des secours.
Ce boycottage démocrate, s'il se prolonge, ne peut que tuer dans l'oeuf l'initiative des républicains, qui espéraient avoir trouvé une parade aux appels à la création d'une commission indépendante, sur le modèle de celle qui, pendant deux ans, a enquêté sur les défaillances du pouvoir avant les attentats du 11 septembre 2001.
Les experts soulignent que l'administration du républicain George W. Bush, au pouvoir depuis plus de quatre ans, a désormais tout à craindre d'une enquête indépendante sur Katrina, qu'Hillary Clinton, candidate potentielle à la présidentielle de 2008, a été la première à réclamer.
«On se dirige vers une enquête de très grande ampleur, et cela va être très déplaisant» pour les pouvoirs en place, a estimé le politologue Larry Sabato, professeur à l'université de la Virginie, certain que, tout comme après les attentats de 2001, l'administration ne pourra que céder et charger des experts d'analyser l'avant et l'après-Katrina.
L'enquête «se passera certainement en 2006, et ça favorisera les démocrates», a encore prédit M. Sabato, interrogé cette semaine par l'AFP, en rappelant que les prochaines législatives auront lieu dans à peine plus d'un an.
Certains observateurs estiment cependant que l'administration pourrait réussir à résister aux appels à une commission indépendante. «Les familles défavorisées [du sud des États-Unis] n'ont pas la même puissance d'influence à Washington que les familles du 11 septembre et ne pourront donc pas forcer une enquête indépendante», prédisaient hier les responsables du service politique de la chaîne de télévision ABC.
25 000 sacs mortuaires
Dans la ville en partie immergée de La Nouvelle-Orléans, l'heure était hier à la sécurisation tandis que des craintes se faisaient jour sur la toxicité des eaux stagnantes. Tout en recherchant les corps parmi les décombres envahis par les eaux, les secouristes s'employaient à persuader les derniers habitants encore présents à quitter les lieux d'urgence. «À l'heure d'aujourd'hui, la vie est notre priorité, alors nous concentrons toute notre énergie sur l'évacuation des personnes qui souhaitent s'en aller», a déclaré hier le chef de la police locale, Eddie Compass, sur NBC. Il n'est plus question de coercition dans l'immédiat.
De l'avis du vice-amiral Thad Allen, tout juste nommé numéro deux de la Federal Emergency Management Agency (FEMA), l'agence américaine chargée de gérer les situations d'urgence, il est désormais dangereux de vivre à La Nouvelle-Orléans. «Nous commençons aujourd'hui une opération qui nous conduira de pâté de maisons en pâté de maisons pour demander aux gens de partir», a-t-il dit sur CBS.
Les tests gouvernementaux ont confirmé que les eaux recouvrant la cité étaient infectées par des bactéries provenant des égouts, dont la concentration est au moins dix fois supérieure aux normes. On y trouverait notamment la redoutable bactérie E. coli, certains virus et un vecteur du choléra.
«Si vous n'avez pas encore quitté la ville, faites-le !», a lancé le Dr Julie Gerberding, directrice des Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC), invitant toute personne étant entrée en contact avec cette eau à se laver au savon.
La police locale a observé que certains sinistrés encore présents dans le quartier Saint Bernard, situé en banlieue, présentent «des cloques, et la couleur de leur peau est en train de changer».
La recherche des survivants, rendue urgente par le risque d'épidémie, s'ajoute au lent décompte de cadavres difficilement identifiables après leur séjour dans l'eau. Le bilan humain pourrait se chiffrer en milliers de morts et les autorités ont acheminé 25 000 sacs mortuaires.
Selon le maire de La Nouvelle-Orléans, Ray Nagin, le nombre de morts dans la ville pourrait atteindre les 10 000. Une morgue temporaire installée dans un entrepôt du quartier Saint Gabriel devait initialement accueillir 1000 corps. Elle a dû être agrandie pour en recevoir cinq fois plus.
Parallèlement, dans le Mississippi voisin, le bilan officiel dépasse à présent les 200 morts, plus de 1000 personnes restant portées disparues. Seul point positif, les efforts déployés pour rétablir le courant le long du littoral dévasté progressent favorablement. Le gouverneur Haley Barbour a estimé que cette opération pourrait prendre fin dès dimanche pour les habitations et les entreprises encore debout.