Publié le 18 avril 2011 à 14h34 | Mis à jour à 20h56
Affaire Cantat: cette controverse dont on entendra encore parler
Valérie Lessard
Le Droit
Pour Wajdi Mouawad, il n'était pas question d'annuler les représentations de son projet Des femmes au Centre national des arts (CNA) et au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) de Montréal, l'an prochain, ni de les présenter sans Bertrand Cantat « comme si de rien n'était ». L'homme de théâtre et l'équipe de création des trois pièces du Cycle de Sophocle ont donc l'intention, lorsqu'ils fouleront les planches du CNA et du TNM, en avril et mai 2012, de souligner « l'absence » du chanteur en réponse à l'ingérence politique des Conservateurs dans la sphère administrative. Ces derniers ont annoncé qu'ils n'accepteraient pas de laisser entrer Bertrand Cantat au pays, s'ils sont réélus.
Le spectacle que le public d'Ottawa et de Montréal verra fera entendre de manière très claire l'absence », a soutenu Wajdi Mouawad, lors du dévoilement de la programmation de sa quatrième et dernière saison à titre de directeur artistique au Théâtre français du CNA, hier.
Comment ? « On a des idées », a-t-il dit, sans élaborer plus avant, étant donné que « le spectacle n'est pas créé encore » et qu'il ne sera présenté ici que dans un an.
Une chose demeure claire : la réponse sera artistique et formulée de façon à ce que les gens se souviennent de la controverse des deux dernières semaines.
« On fera, par notre art, entendre à travers le spectacle lui-même l'absence, dans un désir de ramener, sans polémique violente, au contraire, les questions devant lesquelles nous sommes passés et qui sont fondamentales : qu'est-ce qu'un artiste, qu'est-ce que la justice en lien avec un symbole, qu'est-ce qu'une double peine, dans un rapport d'ouverture, pour que le public puisse y répondre en dialogue avec nous », a-t-il soutenu.
Peut-on dissocier l'homme de l'artiste, le bourreau du créateur ? Dans Temps, sa plus récente pièce présentée à Ottawa la semaine dernière, Wajdi Mouawad explorait déjà cette question par le biais de son personnage, fictif, de Napier, père incestueux et poète. Face à lui : sa fille et victime, Noëlla, qui veut tuer son oeuvre avec lui, et Blanche, la femme qui l'aime et aspire à faire rayonner ses textes malgré ce qu'elle sait de lui.
On peut alors penser que l'homme de théâtre a voulu pousser plus loin sa réflexion, ainsi que celle du public, grâce aux textes de Sophocle, et en incluant une personnalité publique dont tout le monde connaît l'histoire dans la distribution de Des femmes.
Il n'avait cependant pas prévu l'ampleur de la réaction populaire, médiatique et politique à la présence de Bertrand Cantat au sein du choeur des trois pièces (Les Trachiniennes, Antigone et Électre), a-t-il répété, hier. Il n'a cependant pas caché avoir espéré soulever un débat sur la question de la réconciliation, voire du pardon, en mettant en scène, « dans l'ombre » et dans une trilogie mettant en lumière la « tragédie de Bertrand », un homme ayant purgé quatre ans de prison pour l'homicide involontaire de sa conjointe Marie Trintignant, en 2003. « Les pièces de Sophocle sont construites sur le moment de révélation d'un héros qui, au pinacle de sa vie, découvre sa démesure et chute », a-t-il tenu à rappeler.
Débat interrompu
Ce débat « important pour notre société » a malheureusement tourné court, a-t-il regretté, à cause de l'intervention du Parti conservateur, qu'il n'a pas hésité à qualifier d'« opportuniste ». Dans les circonstances, il sera impossible de savoir si les spectateurs auraient été au rendez-vous, en présence de l'ex-leader de Noir Désir.
Mais est-ce que cela pourrait changer si les Conservateurs ne sont pas reportés au pouvoir, le 2 mai ? La question a semblé prendre Wajdi Mouawad au dépourvu. « Il faudrait que quelqu'un nous dise qu'il n'y aura pas de pression du politique sur l'administratif, mais les autres partis ne sont pas prononcés de façon claire sur la question, a-t-il répondu après quelques secondes d'hésitation. Je ne prends pas la réélection des Conservateurs pour acquise, mais face à leur déclaration, et devant un risque aussi grand, nous ne pouvions pas ne pas réagir. »
http://www.cyberpresse.ca/le-droit/arts ... ction_POS1" onclick="window.open(this.href);return false;