L'illégalité fait école
Une enquête permet au Devoir de découvrir l'existence de deux écoles et trois garderies clandestines
Lisa-Marie Gervais 27 mars 2010 Éducation
Le ministère de l'Éducation du Québec peine à faire respecter ses règles. Le Devoir a découvert l'existence d'écoles privées fonctionnant sans permis ainsi que d'autres, avec permis, qui ne respectent pas la Loi sur l'enseignement privé. Et si certaines d'entre elles bénéficient d'une tolérance de la part du gouvernement, celle-ci semble parfois sans limites.
Cours d'éthique et de culture religieuse absent du cursus, enseignement du créationnisme, non-respect du régime pédagogique, bulletins non conformes, matériel didactique non approuvé par le ministère, professeurs sans autorisation légale pour enseigner... Les écoles privées cumulant les irrégularités abondent. D'autres sont carrément illégales, comme a pu le constater Le Devoir. C'est le cas du Centre d'éducation alternative Interact, qui offre des services éducatifs à huit enfants dans un local situé au-dessus d'un garage à Notre-Dame-de-Grâce, et de l'École préparatoire Childtime, à Sainte-Adèle, qui enseigne à des enfants du premier cycle du primaire alors qu'elle n'a pas de permis. L'organisme accueille également des enfants de trois ans et plus, mais demeure introuvable dans la liste des garderies avec permis sur le site du ministère de la Famille et des Aînés (voir autre texte en page A 10).
Après un survol de la situation des établissements d'enseignement privés, subventionnés ou non, dont le permis arrivait à terme en 2008 ou 209, Le Devoir a constaté que pl
usieurs d'entre eux se voyaient renouveler leur droit de cité, et ce, malgré le fait qu'ils présentaient des lacunes et ne respectaient pas le Régime pédagogique, le Programme de formation de l'école québécoise (PFEQ) et, dans certains cas, la Charte de la langue française.
Pourtant, bien que ces manquements aient parfois été signalés jusqu'à dix ans auparavant, le ministère a accepté au fil des ans de renouveler le permis de certains de ces établissements fautifs sans que ceux-ci aient régularisé leur situation.
Pour l'année scolaire en cours, plusieurs écoles privées subventionnées dérogent à l'article 93 de la Loi en faisant payer aux parents un montant trop élevé pour les droits de scolarité visant les services éducatifs obligatoires. Au fil de ses recherches, Le Devoir a également découvert que des établissements abritent des garderies clandestines, qui n'ont pas de permis du ministère de la Famille et des Aînés.
Certains établissements non conformes sont confessionnels, mais les dérapages qu'ils commettent ne sauraient être l'apanage de ces écoles appartenant à des groupes religieux. D'autres établissements, comme certaines écoles alternatives et même des écoles privées respectées, ne seraient pas conformes aux normes du ministère de l'Éducation. Ce dernier a affirmé que les écoles problématiques étaient systématiquement avisées et qu'elles devaient se conformer dans un certain délai.
Le gouvernement a rappelé que la situation des écoles illégales n'est pas prise à la légère. «Dès qu'on le sait, on envoie des inspecteurs. Si la situation a changé, on ne tardera pas à renvoyer un inspecteur», a dit Tamara Davis, attachée de presse de la ministre de l'Éducation.
Écoles non conformes
À Auteuil, l'Académie lavalloise, une école privée non subventionnée de niveaux primaire et préscolaire, ne respecte pas de nombreuses exigences de la Loi. Dans son dernier rapport annuel rendu public en février dernier, la Commission consultative de l'enseignement privé allait même jusqu'à recommander à la ministre de ne pas reconduire le permis de cet établissement qui depuis 2001 se voyait renouveler ce privilège, sous conditions, toujours pour de courtes périodes d'un an ou deux. «Il appert que l'établissement, malgré la gravité de sa situation lors du dernier renouvellement où le ministère [de l'Éducation] ne lui accordait qu'un permis d'un an sous conditions, n'a pas démontré la volonté d'effectuer les redressements qui s'imposaient», peut-on lire dans le rapport 2008-09.
La Commission a constaté que plusieurs conditions au renouvellement du permis posées en 2008 n'étaient toujours pas respectées. Elle note, entre autres, qu'au moment où elle a fait ses observations, l'Académie lavalloise n'offrait pas le cours Éthique et culture religieuse. L'enseignement au préscolaire ne respectait pas non plus l'esprit du PFEQ puisque l'approche y est disciplinaire et qu'on y enseigne l'anglais comme une matière. Le calendrier scolaire ne prévoit pas de journées pédagogiques.
Vérification faite, l'école de 300 élèves est toujours fautive sur tous ces points, sauf pour le cours Éthique et culture religieuse qu'elle donne maintenant à toutes les années du primaire. En outre, lors d'une visite incognito, Le Devoir a aussi découvert que l'établissement loue ses locaux à une garderie d'une trentaine d'enfants, qui n'est pas titulaire d'un permis du ministère de la Famille et des Aînés. Le directeur de l'école, David Zakaïb, insiste sur le caractère traditionnel de l'école. «C'est bien la créativité, mais ça n'a pas sa place dans un projet pédagogique. Les enfants ont besoin de discipline, d'apprendre le respect et d'apprendre à être responsables», a-t-il dit. L'école n'est pas subventionnée mais contrevient à la Loi sur l'enseignement privé, car elle demande aux parents de verser 250 $ pour l'inscription, soit 50 $ au-dessus du montant autorisé. «On n'est pas subventionné, car on ne veut pas être les putes du gouvernement. On chargerait même plus si on pouvait», a dit M. Zakaïb.
Comme la Commission agit à titre consultatif, il arrive que le ministère décide d'octroyer un permis à des écoles qui, selon la Commission, n'en méritaient pas. À Saint-Lazare, la Petite École Montessori inc. s'est vue attribuer un permis pour le primaire jusqu'en 2012 alors que la Commission n'en recommandait pas la délivrance. La démonstration n'avait pas été faite que l'établissement disposerait des ressources humaines et matérielles adéquates, comme l'exige l'article 12 de la Loi. «Est-ce qu'il y aura des enseignants dans certaines spécialités et, le cas échéant, lesquelles? Les arts, l'éducation physique, l'anglais?» se demandait-on.
Le Devoir a appris que depuis son ouverture à l'automne dernier, deux enseignantes sont responsables des 20 élèves de cette nouvelle école qui ne compte qu'une seule classe combinant la 1ere, la 2e et la 3e année. L'une d'elles se charge notamment de la danse et de la musique tandis que l'autre, qui occupe aussi les fonctions de directrice de l'école, supervise d'autres apprentissages en plus de «faire bouger les enfants en faisant des jeux», faute d'avoir un professeur d'éducation physique qui cadre avec l'approche Montessori.
ECR contre créationnisme
Dans d'autres écoles, le créationnisme est encore au coeur de l'enseignement. Sise au-dessus d'un Dollarama à Notre-Dame-de-Grâce, l'Académie chrétienne Logos, une école faisant partie de l'Association des églises-écoles évangélistes du Québec (AEEEQ), existe depuis quatre ans et est titulaire d'un permis pour le primaire depuis 2007 et pour le secondaire depuis 2008, après avoir essuyé plusieurs refus. Cette école privée non subventionnée a demandé le renouvellement de son permis pour les deux niveaux en 2009 et a été exaucée jusqu'en 2011.
Avant de rendre son avis, la Commission avait pourtant constaté que plusieurs membres du personnel enseignant n'étaient pas qualifiés au sens de la Loi. Pour l'enseignement de la langue seconde, des arts plastiques et de la science et technologie, les élèves utilisaient le matériel de l'Accelerated Christian Education (ACE), un programme d'études élaboré au Texas. Pour les cours Éthique et culture religieuse, Éducation à la citoyenneté et Éducation physique et à la santé, l'établissement n'utilisait que le Web. La Commission notait d'ailleurs que cet établissement connaissait «une progression plus lente que d'autres écoles de l'AEEEQ quant au respect et à l'appropriation des orientations du PFEQ», car les élèves travaillent de façon individuelle sous l'oeil de superviseurs, puisqu'il n'y a pas d'enseignants à proprement parler.
La journaliste du Devoir s'y est rendue incognito sous le prétexte d'y inscrire des enfants et a constaté que la situation n'avait guère changé. Pomela Thompson, la femme du révérend qui tient l'établissement, a avoué être en négociation constante avec le ministère. Si elle cède sur certains points, pas question d'enseigner le cours Éthique et culture religieuse en y faisant la promotion d'autre chose que la foi chrétienne. «Nous, on croit en la création de Dieu. L'évolution, ce n'est qu'une théorie et on ne l'enseigne pas au primaire ici», a-t-elle dit en anglais. Notons que Le Devoir a constaté qu'il y avait une garderie sur les lieux, appelée Logos Daycare. Vérification faite, cette garderie ne détient pas de permis du ministère de la Famille.
«C'est sûr que le créationnisme n'est pas approuvé. Notre travail, c'est de donner un avis éclairé et la ministre prend une décision, a indiqué Christine Charbonneau, secrétaire générale de la Commission consultative de l'enseignement privé. Il y a une volonté de garder les gens dans le système et on pourrait penser que c'est [la raison pour laquelle] il y a beaucoup de tolérance. Mais il y a aussi un suivi.»
Jusqu'où tolérer?
L'Académie Greaves de Saint-Georges de Beauce, chapeautée par la Greaves Adventist Academy de Montréal, privilégie une approche similaire pour le cours d'éducation religieuse, mais avec un peu plus d'ouverture. Dans cette école comptant à peine 11 enfants, installée dans le sous-sol de l'église Adventiste du 7e jour, le cours Éthique et culture religieuse est un «cours de bible» pour les tout-petits, tandis que les plus grands sont amenés à faire une recherche sur une autre religion. Une fois de plus, la Commission avait recommandé à la ministre de ne pas autoriser non plus l'ouverture de ce campus à Saint-Georges de Beauce, car elle n'était pas «convaincue que le local de classe à la disposition des élèves est adéquat dans le contexte où il est prévu qu'on y trouve jusqu'à 12 enfants [...] dans un espace relativement limité». La responsable de ce campus, Louise Brisebois, assure que le programme du ministère est respecté. Et pour le cours d'éducation physique? «Nous avons un grand terrain derrière l'école», a-t-elle noté.
La limite de la tolérance? À la Fédération des établissements d'enseignement privés, on croit qu'elle devrait se limiter «au niveau de la collaboration de l'établissement». «Tant et aussi longtemps que l'établissement collabore pour corriger sa situation, on tolère. Mais sinon, il faut arrêter, a dit le porte-parole Auguste Servant. Mais on veut que les écoles soient conformes. Il en va de la réputation du réseau privé.»
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