Publié le 29 mai 2010 à 05h00 | Mis à jour à 05h00
Le mouvement pro-vie gagne du terrain
Daphnée Dion-Viens
Le Soleil
(Québec) Depuis quelques années, le mouvement pro-vie est de plus en plus présent au Canada, et le Québec n'y échappe pas. À l'ombre des déclarations controversées du cardinal Marc Ouellet, les centres de soutien à la grossesse se multiplient, mais plusieurs entretiennent l'ambiguïté sur leur penchant pro-vie ou religieux. Ce qui ne les empêche toutefois pas de colporter des mythes sur l'avortement.
Cette semaine, en point de presse, le cardinal Marc Ouellet a ravivé une controverse qu'il a lui-même allumée. En plus de qualifier l'avortement de «désordre moral», il a réclamé davantage de services pour aider les femmes qui vivent une grossesse non désirée, espérant ainsi réduire le nombre d'avortements de moitié.
Or, depuis quelques années, les centres d'aide pro-vie se multiplient aux quatre coins du pays. Lors d'une recherche menée cet hiver, l'Association canadienne pour la liberté de choix (ACLC) en a recensé au moins 170 au Canada. Au Québec seulement, sa présidente, Patricia LaRue, en a compté 22. Il y a trois ans, une recherche similaire lui avait permis d'en identifier seulement 13 dans la province. On en trouve à Montréal et à Québec, mais aussi à Amos, à Drummondville, à Gatineau, à Trois-Rivières, à Granby...
«J'ai cherché sur Internet, comme le ferait n'importe quelle femme enceinte, quels sont les services offerts, et c'est ce que j'ai trouvé, explique Mme LaRue. Peut-être que parmi les 22 centres qui existent maintenant au Québec, certains existaient il y a trois ans, mais n'avaient pas pu être recensés. Une chose est sûre, ces centres sont beaucoup plus faciles à trouver maintenant et s'affichent davantage sur Internet.»
informations erronées
Dans cette liste, on trouve des centres qui révèlent leur position anti-choix et refusent de parler d'avortement, d'autres qui se disent ouvertement pro-vie en offrant de l'information erronée sur l'interruption de grossesse et d'autres organismes qui affirment être neutres, mais donnent tout de même de fausses informations à propos de l'avortement, explique Mme LaRue.
«Il y a des centres où on dit aux femmes que l'avortement rend stérile alors que c'est tout à fait faux. À l'Association, c'est une des préoccupations les plus grandes qu'ont les femmes qui nous contactent. C'est ce qu'elles se sont fait dire ou ce qu'elles ont lu sur Internet», ajoute la présidente de l'ACLC.
Depuis quelques années, il est par ailleurs de plus en plus difficile d'identifier les groupes anti-choix, ajoute Mme LaRue. Une autre recherche menée par l'Association a permis de constater que certains hôpitaux publics en Ontario et en Colombie-Britannique dirigent les femmes enceintes vers des centres d'aide à la grossesse pro-vie. «On ne sait pas si les hôpitaux le font en sachant qu'il s'agit bel et bien d'un centre anti-choix. Ce n'est souvent pas très clair si on se fie uniquement à leur site Internet», dit-elle.
C'est notamment le cas d'Options grossesse, qui a pignon sur rue à Sainte-Foy depuis un an. Sur le site Internet de l'organisme, on affirme offrir «des informations vraies et complètes» sur les trois options qui s'offrent à la femme enceinte - poursuivre la grossesse, l'adoption ou l'avortement - afin qu'elle fasse un choix avec lequel elle pourra «bien vivre». En réalité, les informations présentées sont clairement orientées contre l'avortement (voir l'autre texte). Contrairement à l'organisme S.O.S. Grossesse, qui a aussi pignon sur rue à Québec, Options grossesse n'est pas financé par le réseau public. «On n'a jamais entendu parler de cet organisme», affirme Pierre Lafleur, porte-parole de l'Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale.
Options grossesse est l'un des deux centres québécois affiliés à l'Association canadienne des services et du soutien pendant la grossesse - mieux connue sous l'acronyme CAPSS au Canada anglais -, une organisation chrétienne formée en 1997 qui a pour principe «la sainteté et la dignité de tout être humain, de sa conception à sa vieillesse», sans toutefois juger la femme qui opte pour l'avortement, peut-on lire sur son site Internet. Des membres de son conseil d'administration sont impliqués dans des églises évangéliques aux quatre coins du pays.
CAPSS, qui est basé à Red Deer en Alberta, compte 71 centres affiliés et a entrepris des démarches pour en ouvrir neuf autres, toujours selon son site Internet. Malgré plusieurs tentatives, Le Soleil a été incapable de parler à un de ses représentants au cours des derniers jours.
À Québec, l'organisme Options grossesse ne mentionne à aucun endroit dans son site Internet son affiliation avec CAPSS. On peut toutefois y lire, en bas d'une page, que le centre ne dirige pas ses clientes vers les cliniques d'avortement. Mais aucune référence au volet religieux de l'organisme ne s'y trouve.
En entrevue, la responsable d'Options grossesse, Marie-Ève Vaillant, admet ne pas parler ouvertement du volet religieux de son organisation pour ne pas faire peur aux gens : «La foi n'est pas nécessairement abordée, dit-elle. C'est personnel à chacun. Je pense que si je leur disais, ça pourrait peut-être en apeurer, certaines viendraient peut-être à reculons.»
De plus en plus visible
En plus d'être de plus en plus présent par le biais des centres d'aide à la grossesse, le mouvement pro-vie se fait aussi de plus en plus visible. Les militants de l'organisme Campagne Québec-Vie, qui ont organisé il y a deux semaines leur congrès à Québec, ont commencé à être actifs à l'extérieur de la métropole. «On a commencé à organiser davantage d'activités en région parce qu'on voit de plus en plus d'intérêt quand on sort de la métropole. On voit plus de gens qui s'inscrivent à notre bulletin d'information et souvent, ce sont des gens plus jeunes qui appartiennent à une nouvelle génération», affirme George Buscemi, président de Campagne Québec-Vie.
Depuis février 2009, son organisme organise une vigie qui se déroule pendant 40 jours devant la clinique Morgentaler à Montréal, en écho à la campagne 40 Days for Life, qui a pris naissance aux États-Unis. «On espère organiser aussi une vigie à Québec l'automne prochain», affirme M. Buscemi.
En plus de la multiplication des centres d'aide à la grossesse, des militants pro-vie ont aussi radicalisé leur action au cours des dernières années, constate Patricia LaRue. «À Toronto, c'est maintenant assez fréquent que des manifestants s'introduisent dans les cliniques d'avortement. On ne voyait pas ça avant», dit-elle.
À Fredericton, au Nouveau-Brunswick, un groupe pro-vie est installé juste à côté de la clinique d'avortement Morgentaler. Les militants ne se gênent pas pour intercepter les femmes qui visitent la clinique, où un service d'escorte a d'ailleurs été mis sur pied pour éviter que les clientes ne se fassent importuner, explique Judy Burwell, directrice de la clinique. «Nous avons dû apprendre à vivre avec eux», dit-elle.
Selon M. Buscemi, le second souffle du mouvement pro-vie s'explique par «le poids de plusieurs années d'avortement» et par la présence du gouvernement conservateur à Ottawa, qui a récemment décidé de ne plus financer l'avortement dans les pays en développement. «Stephen Harper nous donne un peu d'oxygène», lance-t-il.
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