Slenderframe a écritInterview / André Manoukian, compositeur
« Pirater, c'est irresponsable »
Au lendemain du vote par l'Assemblée nationale du projet de loi réglementant les droits d'auteur sur le net, le compositeur André Manoukian applaudit les mesures de protection des artistes.
André Manoukian : « La crise est extrêmement sévère. »
(Photo Pascalito)
- Trouvez-vous que le malaise du monde de la musique est aussi profond qu'on le dit ?
- Oui. Des majors (grandes maisons de disques) il y en a de moins en moins en France - elles étaient une vingtaine, il y a vingt ans, seulement trois ou quatre aujourd'hui - et elles fusionnent toutes ! Souvent, les directeurs artistiques semblent plus préoccupés de savoir s'ils seront encore là dans trois semaines que concentrés sur le projet qu'on leur présente... La crise est extrêmement sévère. Du temps des fastes - car ce milieu était une véritable vache à lait - personne n'a anticipé sur l'irruption d'Internet ! Personne !
- Cette imprévoyance semble incroyable... Comment l'expliquez-vous ?
- Ces maisons étaient bercées par le confort d'une période tellement facile... Avec des marges énormes, des artistes qui vendaient plus de 500 000 albums, et des fonds de catalogues qui étaient de véritable rentes, elles ont cru que la prospérité durerait toujours. Elles n'ont rien vu venir... Et puis, comme pour un tsunami, quand elles ont vu arriver la vague, il était déjà trop tard. En plus, la France était déjà très en retard. Nous avons presque été les derniers à nous adapter à Internet dans la musique, alors qu'aux États-Unis, influencés par la mythologie des hackers, les mômes se sont mis à bidouiller très tôt. Et c'est aux États-Unis, d'ailleurs, que l'industrie du disque a commencé à réagir le plus fermement : des gamins pris en flagrant délit de piratage ont été envoyés en prison. C'est très violent, bien entendu, mais efficace : l'industrie du disque est repartie...
- En France, la loi votée dans la nuit de jeudi à vendredi prévoit désormais des sanctions pour le téléchargement sauvage, vous y êtes favorable ?
- Oui. Il faut être extrêmement sévère avec les pros du piratage. Plus qu'avec les gosses, c'est évident. Mais ces derniers doivent aussi comprendre qu'en piratant ils tuent le métier. Franchement, le téléchargement légal, c'est très bien : on peut écouter tous les morceaux qu'on veut pendant 30 secondes et si on veut la suite, ça ne coûte que 90 centimes d'euros. Autrement dit, on se promène librement dans une véritable encyclopédie musicale où on peut faire son marché pour pas cher. Ça me semble un compromis raisonnable.
«On revient à l'essentiel, aux fondamentaux»
- Mais certains artistes prétendent que seule la liberté totale sur le net peut permettre à de jeunes talents de s'épanouir...
- Pour un jeune artiste, la difficulté c'est de signer dans une maison de disques... Mais ça lui sert à quoi d'être diffusé gratuitement sur le net ? Le discours qui dénonce une loi liberticide parce qu'elle combat le piratage est un discours de beauf, démagogique et irresponsable. C'est scier la branche sur laquelle la musique est assise. La liberté de pirater à l'aise, c'est une liberté à deux balles. Si les mômes aiment la musique, on ne me fera pas croire qu'ils ne peuvent pas payer 90 centimes d'euros : ce n'est pas ça qui bridera leur curiosité ! Quand Jack Lang a sauvé la musique et le cinéma français, ce n'était pas avec de la gratuité mais avec des taxes sur la copie privée...
- Pour les jeunes artistes, ça n'a jamais été aussi difficile de percer ? Ou de se faire remarquer en tout cas...
- Ça n'a jamais été aussi facile de se faire connaître, au contraire. Avec la démocratisation des moyens de production, beaucoup d'amateurs peuvent aller jusqu'au bout du processus de fabrication qui, il n'y a pas si longtemps, nécessitait plusieurs jours de studio... Avec ça, ils peuvent aller voir les maisons de disques avec des maquettes sérieuses, montrer ce qu'ils savent faire...
- Est-ce que l'originalité est au rendez-vous pour autant ?
- Il y a un son assez formaté, c'est vrai, qui se dégage de 90 % de cette production prolifique. Mais, du coup, les maisons de disques ont tendance à faire signer les artistes qui proposent un son original. On revient à l'essentiel, aux fondamentaux : la qualité de la voix, la qualité de la musique, la qualité des textes. Et c'est très bien ! Les majors sont attirés par des gens qui viennent du vivier de la scène, et qui ont un monde... Regardez Anaïs avec sa simple guitare et sa pédale, elle a tapé dans l'oeil du public... et de tous les professionnels...
- Les Victoires de la musique 2006 vous semblent représentatifs de cette tendance là ?
- Oui. Camille, par exemple, elle a inventé des sons. Elle part du principe qu'elle va utiliser toutes les possibilité de sa voix. Elle concentre toute sa créativité sur une palette très personnelle. Ça tranche avec l'« ordi » qui vous propose des milliards de sons dans lesquels on finit par se perdre.
«Ce que j'aime, c'est découvrir des voix»
- Et Raphaël... Que vous inspire cette génération d'artistes au répertoire intimiste - on pourrait citer aussi Vincent Delerm ou Olivia Ruiz - et qui cartonnent ?
- Ils sont représentatifs du succès de ce que j'appelle « le partage du moi ». C'est le même phénomène, au fond, que celui de la télé-réalité... Avant, la star c'était un personnage inaccessible, objet de désir et de fascination, maintenant c'est quelqu'un auquel on peut s'identifier : il raconte le même genre de vie que la mienne sans se la péter avec un sourire sympa. Si, en plus, il est beau et un peu timide, comme Raphaël, alors...
- Quel intérêt un musicien aussi exigeant que vous trouve-t-il dans la Nouvelle Star ?
- Ce que j'aime, c'est découvrir des voix. Dans des castings ouverts à tous comme ceux de la Nouvelle Star, c'est un vivier infini. Presque vertigineux. Et le plaisir est sans fin. Le but de ces émissions, c'est de révéler des interprètes, et elles le font : sans la Nouvelle Star, Amel serait toujours à la Courneuve... Elle avait - elle a - une technique extraordinaire alors qu'elle n'a pas pris un cours de chant ! Mais, c'est vrai, ce qu'on demande aux candidats dans l'émission est surhumain : ils doivent être eux-mêmes et chanter des chansons qui leur sont imposées. Parfois ils se perdent dans un univers qui n'est pas le leur et s'écroulent, c'est tout le sel et la cruauté de ce genre de confrontation...
- Trouvez-vous que les maisons de disques savent exploiter tout le potentiel des prodiges que vous révélez ?
- Dans l'ensemble oui. Amel est en train de s'imposer comme une chanteuse de soul et de R'nB, le registre où elle excelle. Et elle continue de progresser puisqu'elle participe à la construction des mélodies et des textes. Steeve Estatof, lui, a pu faire l'album qu'il voulait... Bien sûr, il faut que l'artiste apporte quelque chose : Myriam a une très belle voix elle aussi mais elle donne moins d'elle-même et le résultat est moins convaincant...
Propos recueillis par Olivier Picard
http://www.dna.fr/france/20060319_DNA008552.html
C'est bien beau, de dénoncer les "dérives" du Net, mais Monsieur, oublie de dire qu'il va à la pêche aux artistes avec son émission "Nouvelle Star" et que cela devrait être le métier des Majors de découvrir des nouveaux artistes (et non pas d'éditer des compiles à longueur d'année). C'est totalement ce qui se passe sur le Net, les clients vont à la pêche aux artistes et n'achètent plus que les galettes des artistes qu'ils affectionnent. Autrefois, oui, les majors vivaient bien car ils vendaient avec deux ou trois articles flatteurs les artistes qu'ils signaient et c'est le client qui découvrait, une fois acheté, le contenu insipide de la chose. Combien de fois il m'était arrivé d'apprécier 1 ou 2 titres seulement sur un album complet !!!
La grosse différence d'aujourd'hui, avec les nouvelles technologies, c'est que c'est le client qui décide d'acheter et les Majors qui subissent le marché. A eux de prouver qu'ils font un vrai métier.
Par ailleurs, les internautes, font ce que les Majors devraient faire. C'est à dire faire connaître leurs artistes et les promouvoir. Combien de sites d'artistes sont créés à la propre initiative des fans, combien de forums thématiques sur la musique permettent des discussions entre des internautes et par ricochet de déclencher des passions pour un artiste en particulier. Certains internautes vont même jusqu'à donner des dates de concert, des adresses où se produisent tel groupe et même s'y donner rendez-vous...
Alors Messieurs les Majors balayez devant votre porte avant d'exiger le retour à l'âge de pierre... --Message edité par kermit le 2006-03-20 12:13:51--