© AP/Stefan Rousseau
Jade Goody, en février dernier.
JADE GOODY
Une sainte ou une folle?
Guy Fournier
28-03-2009 | 04h00
Combien de temps encore va-t-on décrier la télé-réalité?
Il y a une dizaine de jours, je participais à l’émission Ici et là du canal VOX, où Nelly Arcan, Évelyne Côté et Claude André disaient pis que pendre de la télé-réalité, tout comme Benoît Dutrizac au 98,5, lundi dernier.
Les premiers s’en prenaient à Loft Story et à Occupation double, tandis que Benoît s’indignait, quoique gentiment, de la place que venait de prendre à Channel Four, en Angleterre, une télé-réalité très spéciale: la lente agonie et la mort de Jade Goody, une jeune maman de 27 ans, vedette elle-même de Big Brother, une télé-réalité de la firme Endemol, qui fait recette à travers le monde depuis 1999.
Jade Goody est morte dimanche dernier à Waltham Abbey, près de Londres. C’était une vraie «bête de télévision» et elle a «vécu sa mort», si je puis dire, comme le héros qu’incarnait Jim Carrey dans The Truman Show, c’est-à-dire devant les caméras de télévision.
Si quelqu’un «était né pour un petit pain», c’est bien elle. Sa mère Jackiey est héroïnomane et son père Andrew, héroïnomane lui aussi et petit gangster minable, est mort d’une surdose dans les toilettes d’un Kentucky Fried Chicken en 2005. Histoire de l’habituer jeune à la drogue, quand Jade a eu 5 ans, sa mère l’a photographiée avec un joint à la bouche!
Sans instruction et sans éducation, Jade s’inscrivit en 2002 au show de télé-réalité Big Brother où elle fit sensation par son ignorance crasse. Elle pensait, par exemple, que Saddam Hussein était un boxeur, que mère Teresa était parente avec Albert Einstein et que Rio de Janeiro était un chanteur!
Mais les téléspectateurs anglais la prirent en pitié et elle sortit victorieuse de la série. D’un coup, elle lança sa biographie, une ligne de parfum et de produits de beauté, amassant une fortune d’environ 12 millions $.
INJURES RACISTES
En 2007, elle fit l’erreur de participer de nouveau à la même télé-réalité. Lors d’une émission, elle lança des injures racistes à Shilpa Shetty, une star du cinéma indien.
D’un coup, toute l’Angleterre se tourna contre elle, y compris le Premier ministre Brown qui s’excusa auprès des immigrants d’origine indienne. Parfum et produits de beauté furent retirés des étalages et télévision, journaux et magazines firent le silence sur elle. Jade n’existait plus! Elle perdit tout.
L’an dernier, elle eut une idée de génie: participer à une télé-réalité en Inde avec Shilpa Shetty, celle-là même qu’elle avait insultée. Le visage ravagé de larmes, elle y fit ses excuses à la star indienne et quelques jours après, au cours d’une émission, elle apprit en direct par un téléphone de son médecin qu’elle souffrait d’un cancer du col. Un cancer si avancé qu’il était incurable.
© AP/Chris Radburn/PA Wire
Jade Goody et son mari, Jack Tweed
Encore une fois, l’Angleterre chavire pour elle. Consciente qu’elle n’en avait pas pour longtemps à vivre, désireuse de mettre Bobby et Freddy, ses deux enfants de 5 et 4 ans, à l’abri du besoin, elle offrit à Channel Four de vivre sa maladie et ses derniers moments devant les caméras.
Comme Benoît Dutrizac et la plupart des critiques de télévision, des millions d’Anglais jetèrent les hauts cris. La mort n’est-elle pas un moment sacré? Comment la télévision pouvait-elle descendre aussi bas? Jusqu’où pousserait-elle le voyeurisme?
TÉLÉ-RÉALITÉ HORS DU COMMUN
Intrigué, j’ai suivi toute cette affaire. Dans les quotidiens anglais tout d’abord, puis à la télévision. C’était fascinant et bouleversant tout à la fois. Une télé-réalité hors du commun qui a fini par émouvoir toute l’Angleterre. La télé-réalité brasse la cage et c’est de loin son principal mérite. Elle brasse aussi la société, comme vient de le démontrer cette extraordinaire aventure télévisuelle.
Depuis sa mort, le nombre de Britanniques qui se présentent pour des tests de Pap, destinés à déceler le cancer du col, a augmenté de 20 pour cent et la Société du Cancer n’en finit plus de remercier Jade.
Une fois de plus, le Premier ministre Gordon Brown a parlé d’elle, cette fois pour louer son courage dans la vie comme dans la mort: «On se souviendra d’elle comme une femme courageuse que tout le pays admirait!» Lui rendant hommage, l’archevêque de Canterbury (eh! oui...) a dit que sa vie et sa mort auront fait réfléchir tout le monde sur les vraies valeurs de la société.
Quant au révérend Jonathan Blake, qui a célébré le mariage de Jade devant les caméras, quelques jours avant sa mort, il est allé encore plus loin en déclarant «qu’elle était la sainte d’Upshire», un canton de l’Essex!
Je l’attends, le prochain qui voudra dénigrer devant moi la téléréalité...
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Un geste semblable à notre télévision
Il y a presque 20 ans jour pour jour, mon ami Fernand Seguin, le plus grand vulgarisateur que notre télévision ait connu avec René Lévesque, avait posé un geste presque semblable à celui de la jeune anglaise Jane Goody.
Fernand était un scientifique, mais c’est la télévision qui en fit une grande vedette. C’est à cause d’elle qu’il remporta le prix Kalinga de l’UNESCO, l’équivalent du prix Nobel en matière de vulgarisation scientifique.
À l’automne 1987, on diagnostiqua à Fernand Seguin un cancer qu’il n’avait à peu près aucune chance de vaincre. Quelques mois plus tard, se sachant décompté, Fernand accepta d’enregistrer à l’intention des jeunes un message publicitaire commandité par la CEQ.
Décharné, hésitant, les yeux creux et cernés, il livrait son message sans vraiment faire allusion à sa maladie. Plusieurs bien-pensants s’indignèrent. Quelle pitié qu’un homme aussi réfléchi, aussi savant et si connu donne ainsi sa maladie terminale en spectacle!
Comme dans le cas de Jade Goody, je suis sûr que le geste courageux de Seguin fut une étape importante dans le dépistage et la prévention du cancer.
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