Incognito à l'école
Un coup de barre s'impose
Sébastien Ménard
Le Journal de Montréal
18/02/2010 04h21 - Mise à jour 18/02/2010 04h00
Les constats pour le moins troublants qu'a faits le représentant du Journal en se glissant dans la peau d'un enseignant et d'un directeur d'école font dire à d'éminents experts que notre système d'éducation a besoin d'un sérieux et urgent «coup de barre.»
Non seulement faut-il mieux préparer les profs et les parents à composer avec la réalité des adolescents d'aujourd'hui, mais il faut aussi diminuer la paperasse qui étrangle les directeurs d'école et leur donner davantage de pouvoir, en plus de repenser la fameuse «réforme scolaire.»
Ce sont là quelques-unes des opinions émises par trois professeurs d'université spécialisés en éducation qui ont lu attentivement la série de reportages publiée par le Journal, au cours des derniers jours.
«C'est un coup de sonde qui interpelle, avoue le professeur Gérald Boutin, de l'UQAM. Il ne faut pas non plus lancer la panique, mais ça donne l'illustration de ce qui peut se passer dans certaines écoles.»
Le professeur Denis Massé, de l'Université de Montréal, a été frappé par le manque d'autonomie des directeurs, ainsi que par les immenses défis auxquels sont confrontés chaque jour les enseignants du Québec. «La game, elle se joue dans la classe, dit-il. Et dans la classe, l'enseignant maîtrise de moins en moins les compétences pour faire face à la charge de travail qu'on lui assigne», analyse l'expert.
Michel St-Germain, de l'Université d'Ottawa, a été interpellé par «l'incivilité» démontrée par de nombreux ados. Il n'a pas été sur-pris par les constats du représentant du Journal, lorsqu'il s'est glissé dans la peau d'un «directeur d'école stagiaire.»
«C'est vrai que les directions n'ont pas de temps pour les vrais problèmes», dit-il.
Marge de manoeuvre
La Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement (FQDE), qui représente la vaste majorité des directeurs d'école de la province, espère que ces reportages «feront avancer les choses.»
«Le portrait qui a été fait est peut-être dur à prendre, mais il est réaliste», affirme la présidente de la FQDE, Chantal Longpré, en précisant que les écoles du Québec parviennent tout de même à faire réussir environ 70 % des élèves, chaque année.
«Ce qui nous intéresse, c'est le 30 % qui est négligé, dit-elle. Et c'est ce 30 % qui était décrit dans les reportages. C'est pour ce 30 % que toutes les écoles veulent obtenir une marge de manoeuvre», insiste Mme Longpré.
La présidente de la FQDE louange «le courage des directions d'école, des enseignants et de la commission scolaire» qui ont permis au Journal de présenter ainsi «les réalités de l'école.» «Il faut que le public comprenne les besoins de l'école», dit-elle.
Le silence des commissions scolaires
La Fédération des commissions scolaires a décliné notre demande d'entrevue. L'organisme juge que nos reportages «ne sont pas représentatifs de l'ensemble du réseau.»
«On ne veut pas commenter une situation générale que vous n'avez pas décrite», dit l'attachée de presse de la Fédération, Caroline Lemieux.
Ironiquement, l'actuelle présidente de la FCSQ, Josée Bouchard, avait accepté de commenter une enquête similaire du Journal, il y a six ans. À l'époque, une seule école avait été visitée, sur la Rive-Nord de Montréal.Cette fois, pourtant, deux établissements différents ont été visités afin de raconter à la fois la réalité des profs et celle des directeurs d'école.
Problèmes et pistes de solutions
Depuis lundi, l'expérience de notre journaliste a permis de mettre le doigt sur certains problèmes vécus quotidiennement dans les écoles du Québec. Le Journal a demandé à trois experts de se prononcer sur les quatre questions suivantes et de proposer, dans la mesure du possible, des solutions.
NOTRE PANEL D'EXPERTS
Denis Massé,
Ph. D.
Professeur associé à l'Université de Montréal
Michel St-Germain,
Ph. D.
Professeur émérite à l'Université d'Ottawa
Gérald Boutin,
Ph. D.
Professeur à l'Université du Québec à Montréal
Discipline, respect et comportement
# L'auteur de ces lignes a régulièrement fait face à des élèves qui l'envoyaient promener, qui blasphémaient ou qui refusaient de travailler, durant son reportage.
«Le cours d'éthique et culture religieuse, c'est bien. Mais ce serait pas mal de montrer aux adolescents à vivre en société. C'est très tôt qu'il faut intervenir. J'entends des enseignants dire qu'ils sont confrontés à des enfants avec un langage ordurier dès la première année... C'est à la maison que ça commence.»
-Gérald Boutin
«Est-ce qu'on veut permettre aux élèves de faire des apprentissages ou si on préfère mettre tout le monde dans la même classe ? Si on maintient l'intégration des élèves, on accepte que les apprentissages soient secondaires. »
-Denis Massé
La fameuse réforme scolaire
# Les élèves qui sont actuellement en 5e secondaire manquent bien souvent d'autonomie et de culture générale. Et, en 3e secondaire, ils commettent parfois des fautes d'orthographe à faire dresser les cheveux sur la tête, a constaté le Journal.
«En 2000, j'ai écrit avec une collègue un article qui avertissait qu'en mettant toute l'importance sur les compétences, on s'en allait dans le mur. C'est particulier qu'on fasse le même constat après tant d'années... Tout n'est pas mauvais avec la réforme. Ce sont les excès qui le sont. Aujourd'hui, il faudrait revenir vers des choses de base. On se rend compte que l'heure est au coup de barre.»
-Gérald Boutin
Manque d'autonomie des directeurs
# Les directeurs d'établissement sont souvent coincés avec des «enveloppes fermées » destinées à subventionner des services dont ils estiment ne pas avoir vraiment besoin.
«L'école n'a pas la marge de manoeuvre pour répondre aux besoins de ses élèves. Dans le fond, le message qui est envoyé c'est »vous êtes des professionnels, mais vous n'êtes pas en mesure de prendre des décisions seuls«. On est pris avec une structure qui fait que tout se décide ailleurs.»
-Denis Massé
«Fondamentalement, je pense que les enveloppes fermées sont intéressantes. Mais, une des choses qui manquent, ce sont des vraies rencontres de direction franches pour déterminer comment on s'y prend ensemble. »
-Michel St-Germain
Trop de bureaucratie
# Notre reporter a observé l'impressionnante quantité de paperasse que les patrons des écoles du Québec doivent remplir, chaque semaine. Une commission scolaire avait même confié à une fonctionnaire la tâche de «superviser» les formulaires remplis par les directeurs.
«On dit que le système scolaire est décentralisé, mais c'est faux. Le système passe plus de temps à contrôler qu'à agir. La seule façon de s'en sortir, c'est de donner plus de marge de manoeoeuvre aux directeurs d'école. Ce sont des professionnels, alors qu'on leur fasse confiance.»
-Denis Massé
On vit dans un monde qui est judiciable, c'est donc normal qu'il y ait de la paperasse. Mais, en Ontario, on a tenté l'expérience d'avoir des adjoints volants, qui se promènent d'une école à l'autre et qui font toute la comptabilité, le budget... Ç'avait été positif. Les directions s'étaient senties plus libres."
-Michel St-Germain
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