Des devoirs pour le NPD
Gil Courtemanche 7 mai 2011 Élections 2011
Que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les vox pop à la télévision ou dans les lettres de lecteurs qui s'expriment sur le tsunami orange de lundi, on remarque que beaucoup de Québécois ont passé la journée de mardi à se pincer pour savoir s'ils étaient réveillés. Dans beaucoup de commentaires, particulièrement ceux provenant des circonscriptions de la Mauricie, on entend une sorte de «si j'aurais su, j'aurais pas venu». De toute évidence, des dizaines de milliers de Québécois ont voté avec une insouciance et une légèreté renversantes, comme s'ils participaient à une sorte de «guerre des boutons» pour adultes oisifs en mal de divertissement. Cela est particulièrement vrai dans le cas de Ruth Helen Brosseau. De tous les poteaux du NPD, c'est le seul qui avait fait l'objet d'un examen rigoureux et exhaustif de la part des médias. Toute la province savait qu'elle habitait Gatineau, qu'elle ne parlait pas très bien le français et qu'elle jouait dans les vidéopokers de Las Vegas. Il est un peu tard pour dire «si j'aurais su, j'aurais pas venu». Les électeurs de Berthier-Maskinongé savaient très bien qu'ils votaient pour un fantôme.
On a proposé aussi des explications en apparence rationnelles. On aurait assisté à un réalignement gauche-droite, à un vote agressivement anti-Harper (comme si voter pour le Bloc ne l'était pas autant) ou encore à un rejet réfléchi du Bloc indiquant que les Québécois avaient décidé de prendre à nouveau un «beau risque» avec le fédéralisme. On a évoqué l'effet rassurant et rafraîchissant du «bon Jack». Aucune de ces explications ne me convainc totalement.
Pour qu'on ait dans plusieurs endroits voté massivement pour des fantômes sans s'inquiéter semble-t-il des conséquences, il fallait certes de la légèreté et de l'insouciance, mais il fallait surtout une impression généralisée de désenchantement, de désillusion. Le sentiment d'évoluer dans une situation bloquée et sans issue autre qu'un grand bond, les yeux fermés, dans l'inconnu. Gouvernement corrompu à Québec, PQ sans âme, trou noir conservateur à Ottawa, Bloc en apparence figé dans une opposition historique mais redondante, municipalités faisant l'objet d'enquêtes, CHUM encore sur la planche à dessin, nids-de-poule en croissance, pétrolières milliardaires... Ce n'était pas la petite vie, c'était une sorte de grisaille qui refusait de faire place au printemps. Alors, les Québécois ont fait un peu comme les Arabes: ils se sont fermé les yeux et ont dit: «Un, deux, trois, soleil!» Et ils se sont donné un printemps en rejetant tout ce qui pouvait être lié au ciel noir du passé. Les grands bouleversements politiques tiennent plus aux coups de coeur qu'aux réflexions rationnelles. C'est après la révolte que la raison reprend sa place, pour mieux canaliser et organiser le changement. Voilà le dur travail qui attend le NPD.
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On a beaucoup parlé, généralement de manière dérisoire, de cette marée de néophytes qui constituera dorénavant la très grande majorité du caucus néodémocrate. Néophytes, certes, des règles et coutumes parlementaires, mais pas de la vie collective. Les nouveaux élus que j'ai entendus ont démontré une compétence citoyenne remarquable et nous sommes loin des improbables députés emportés dans la vague de Mulroney ou de l'ADQ, ou encore de l'actuelle députation conservatrice du Québec.
Le dilemme de Jack Layton et de son parti est complexe et en même temps emballant. Comment (à cause du nombre d'élus québécois) devenir à la fois la voix du Québec dans le fédéralisme et celle du Canada au Québec? Quatre ans pour refonder la dynamique interne de la fédération. C'est une occasion historique qui risque de ne pas se représenter.
Le premier obstacle est l'ambition de devenir dans quatre ans le prochain gouvernement, avec comme seule chance l'obligation de faire des gains importants en dehors du Québec puisqu'ici le plein est fait. La tentation sera grande de sacrifier un peu de Québec pour beaucoup d'Ontario ou de Nouvelle-Écosse.
En fait, le NPD a devant lui quatre ans pour apprendre le Québec et inscrire ses demandes dans un débat serein sur le fédéralisme canadien. Les sociaux-démocrates de tous les pays, y compris le PQ, ont été historiquement des centralisateurs. Cela est dû en bonne partie au fait qu'ils craignent que les particularismes régionaux ne battent en brèche les objectifs d'égalité et d'universalité qu'ils inscrivent dans les programmes sociaux.
Mais ce réflexe traditionnel des partis de gauche évolue de plus en plus vers une reconnaissance des bienfaits de la diversité affirmée dans la marche d'un pays. De plus en plus on reconnaît que la gouvernance de proximité est préférable à la politique du mur à mur. Le NPD a flirté parfois avec les voix de l'asymétrie fédéraliste: dans les années 1960 avec le fédéralisme coopératif et plus récemment avec le droit des provinces de se retirer d'un programme fédéral avec pleine compensation. Reste à développer autour de ces sujets une nouvelle approche globale qui ne soit pas perçue comme une menace à l'unité canadienne par le ROC, mais comme un progrès dans son fonctionnement harmonieux. Ce n'est pas une mince tâche, mais c'est un beau risque.
Au Québec enfin, le NPD doit transformer ce vote émotif en adhésion réfléchie. Cela requiert de la part des nouveaux élus une présence exceptionnelle dans leur circonscription et de la part du parti tout entier quatre années de pédagogie intensive pour transformer le vent de révolte en révolution tranquille. Sinon, le Bloc, tel un sphinx, renaîtra de ses cendres.
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