Chronique
Les oiseaux ne se cachent plus pour mourir: la crise d’extinction se poursuit
Agence QMI
David Suzuki et Faisal Moola
28/01/2011 17h09
La veille du Jour de l’An, 5000 carouges à épaulettes sont tombées du ciel à Beebe, en Arkansas. Les autopsies n’ont pas permis de confirmer l’hypothèse d’un empoisonnement, mais ont toutefois indiqué que les oiseaux avaient subi un traumatisme interne sévère. Des jours plus tard, des pêcheurs ont observé des poisons qui flottaient à la surface de l’eau dans la baie de Chesapeake. En Angleterre, des dizaines de milliers de crabes morts se sont échoués sur les plages locales, et on recense presque quotidiennement des pingouins, des tortues et même des dauphins retrouvés morts dans leur milieu naturel. Y a-t-il lieu de considérer ces événements comme des signes d’une véritable «hécatombe», comme les médias ont appelé la récente vague de mortalités animales? La réponse est oui… et non.
Notre amour et notre respect de la nature nous pousse à réagir lorsque des animaux meurent en grand nombre, mais le phénomène de mortalité massive ne serait en fait pas si inhabituel. Des observations datant d’il y a plus d’un siècle en font mention. Souvent, les causes sont d’origine naturelle: météo défavorable, maladies, ou encore le stress lié aux grandes distances parcourues lors des migrations.
En analysant des décomptes d’oiseaux, des entrées de journaux et d’autres observations datant de la fin du 19e siècle, des chercheurs européens ont observé des rapports fréquents de la mort de centaines, voire de milliers d’oiseaux. Une mortalité massive a eu lieu au printemps 1964, lorsqu’environ 100 000 eiders à tête grise, représentant près d’un dixième de toutes les espèces de l’Ouest du Canada, ont péri dans la mer de Beaufort. Ces superbes et grands canards sont morts de faim lorsque des bassins d’eau libre parmi la mer glacée ont soudainement gelé de nouveau, les empêchant de recueillir leur nourriture sous l’eau. Plus récemment, environ 40 000 oiseaux provenant de 45 espèces ont été tués le 8 avril 1993, alors qu’une tornade croisait leur route migratoire le long des côtes de la Louisiane.
Bien que la mort soudaine de la faune soit alarmante, le dénouement de chaînes alimentaires complètes se déroule autour de nous chaque jour, mais de façon moins frappante. Avec chaque pan de forêt qui est coupé, chaque marais drainé ou champ asphalté, nous poursuivons notre destruction de l’habitat de la faune, qui mène au déclin de populations et même à l’extinction de certaines espèces.
Selon les experts, plus de 17 000 plantes et animaux sont menacés d’extinction en raison de l’activité humaine, se traduisant principalement par une perte de l’habitat. Cela inclut 12 pour cent de tous les oiseaux, près d’un quart des mammifères connus et un tiers des amphibiens connus. On s’attend à ce que le changement climatique augmente de façon significative le risque que la génération de nos enfants soit témoin de l’extinction de certaines espèces. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 20 à 30 pour cent des espèces de plantes et d’animaux qui ont été étudiées risquent de s’éteindre si les températures mondiales moyennes et les émissions de carbone continuent de grimper.
Cette crise de la faune a été décrite comme une épidémie silencieuse par des scientifiques comme l’éminent entomologiste de Harvard E.O. Wilson, en raison du peu d’attention qu’elle reçoit de la part des gouvernements. La Fondation David Suzuki a récemment publié une étude sur les dossiers gouvernementaux révélant que près de la moitié des espèces naturelles connues en Colombie-Britannique sont en danger. Dans cette liste on retrouve grizzlis, caribous, et épaulards. Pourtant, la Colombie-Britannique ne compte aucune loi visant à protéger les espèces en voie de disparition ainsi que leur habitat de la coupe forestière, de l’exploitation minière, de l’étalement urbain, et de toute autre activité humaine.
Le Canada a bien des lois fédérales au sujet des espèces en voie de disparition, mais le gouvernement traîne les pieds quant vient le temps de les appliquer concrètement. C’est ainsi que certaines populations fauniques, comme la chouette tachetée du Nord, dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique, ont connu un déclin soudain, sous les yeux de nos politiciens, et sont sur le point d’être complètement disparues au Canada.
Les événements troublants des dernières semaines révèlent la fragilité de notre faune, au point de voir ses populations décliner de façon dramatique, souvent en raison de causes naturelles. Le monde naturel a déjà assez de défis à relever dans ce monde chaotique - pourquoi en rajouter? Nous devons plutôt réduire les éléments de stress environnemental imposés à la faune par l’humain. Bannir les pesticides dangereux et autres produits toxiques, assurer la protection de l’habitat des plantes et des animaux en danger come le caribou, et prendre le changement climatique au sérieux.
Le fait que les gens s’inquiètent des récentes mortalités massives chez les animaux est bien sûr rassurant, mais ce qui compte vraiment, c’est l’avenir de la faune. Nous devons commencer à nous pencher davantage sur le rôle que nous jouons dans la crise de l’extinction. Et empresser nos dirigeants élus d’appliquer des mesures concrètes pour protéger la biodiversité qui fait la richesse de notre planète.
Plus de détails à
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Liens:
Lieux où on a observé la plus importante mortalité faunique au cours des dernières semaines.
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Description de la mortalité massive de carouges à épaulettes à Beebe, en Arkansas.
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Étude des événements de mortalité massive au sein des populations d’oiseaux
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Étude de l’IUCN sur l’extinction planétaire
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Rapport de la Fondation David Suzuki sur la faune en voie de disparition en Colombie-Britannique
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