Strophe a écritEt un dernier article, vraiment très intéressant.
Des pédophiles parlent… Voulons-nous les entendre?
Comprendre la pédophilie, est-ce possible? Il le faudra bien pourtant, si on veut vraiment protéger les enfants.
Par Marie-Andrée Lamontagne
Des pédophiles parlent
Pédophilie. Dès le premier mot de cet article, vous aurez réagi avec émotion. Quoi? La pédophilie! Aussitôt, l'image d'un enfant à l'innocence blessée se superpose à celle d'un adulte menaçant, d'un prédateur sexuel, aussi bien dire d'un monstre à mettre hors d'état de nuire. Du reste, l'actualité rapporte régulièrement de choquantes histoires de jeunes, victimes d'attouchements ou transformés en jouets sexuels sur des sites pornographiques illégaux; d'enfants kidnappés, violés, tués parfois.
Tout cela vous horrifie. Vous tremblez pour vos propres petits. Très tôt, vous les mettez en garde: «Surtout, ne parle pas aux étrangers qui rôdent près de la cour de l'école ou au parc!» Quant aux monstres pris sur le fait, qu'on les jette en prison, vous dites-vous, et qu'ils y restent le plus longtemps possible! Vous avez raison sur un point: il faut d'abord protéger les enfants. Cependant, faut-il pour cela mettre tout le monde dans le même sac? Voir le mal partout? Non, bien sûr.
Entre adultes et enfants, les gestes d'affection sont sains et nécessaires. Mais où s'arrêtent les gestes normaux et où commencent les gestes déplacés? N'est-ce pas d'abord dans la tête de l'adulte que la distorsion se produit? Et que faire quand des adultes sexuellement fragilisés s'en prennent à plus fragiles qu'eux? Jamais, dans nos sociétés, n'a-t-on autant parlé de pédophilie, et c'est souvent sur un ton indigné, voire hystérique, qu'on le fait. Du coup, la méfiance devient générale. Et voilà qu'on soupçonne l'entraîneur de hockey refermant derrière lui la porte du vestiaire, le professeur attentionné...
Un peu de recul est donc nécessaire. Mais comment garder la tête froide quand il en va de l'équilibre des enfants? Et que peut-on faire par rapport à la pédophilie, sinon la combattre? Précisément. Pour mieux la combattre, il faut la comprendre davantage. Et pour cela, des nuances s'imposent.
Ainsi, la pédophilie – étymologiquement, le terme veut dire «aimer les enfants» –, revêt au moins deux formes. Il existe des pédophiles actifs (ou «pédosexuels»), dont certains, mais pas tous, finissent par être arrêtés et condamnés par les tribunaux; et d'autres, passifs (qu'on qualifie aussi d'«abstinents»). Auprès des uns comme des autres, la prévention est indispensable. Chez les premiers, elle a pour but d'empêcher la récidive; chez les seconds, elle vise à éviter le passage à l'acte, la fameuse «première fois».
Voilà donc un sujet d'étonnement: tous les pédophiles ne sont pas sexuellement actifs. Si tous sont attirés par les enfants, plusieurs essaient de se dominer, par crainte de la loi, bien sûr, mais aussi, pour certains d'entre eux, par respect pour ces enfants. Enfermés dans une immaturité sexuelle héritée de leur histoire personnelle, ils se contentent d'«aimer» en secret les enfants. Maladroitement, il est vrai. Dans la souffrance et dans la honte. Car ils n'ont pas choisi d'être attirés par les enfants et ils ne se reconnaissent pas dans le reflet monstrueux que leur renvoie la société. Et si on écoutait ce que les pédophiles abstinents ont à dire?
Entendre les propos tenus, sous couvert de l'anonymat, par quelques-uns d'entre eux est une démarche éprouvante. Cependant, elle est aussi instructive. Sans rien changer sur le fond (la pédophilie est condamnable), elle oblige à revoir les idées reçues pour mieux cerner une réalité aussi complexe que le coeur humain.
Comprendre l'incompréhensible
Comprendre l'incompréhensible
Benjamin (le prénom a été changé), la trentaine, manifestement instruit, est exclusivement attiré par les jeunes garçons et se dit abstinent, même s'il lui en coûte. Avec franchise, il a répondu par courriel à nos questions. «Beaucoup de pédophiles sous-estiment en toute bonne foi les perturbations que peuvent entraîner certains gestes, écrit-il. Je ne parle certes pas des sadiques et des violeurs compulsifs, qui sont largement minoritaires. Je crois que beaucoup de pédosexuels font du mal par maladresse ou par aveuglement, pas par sadisme. Et s'ils persistent dans leurs gestes, c'est, dans de nombreux cas, parce qu'ils estiment, même à tort, n'avoir pas fait de mal à celui ou à celle qui néanmoins se sent leur victime.»
Ce qui nous amène à envisager la question du point de vue des pédophiles. D'où leur vient cette attirance pour les enfants? À quoi pensent-ils (ou ne pensent-ils pas) au moment de passer à l'acte? Peuvent-ils changer et avoir une sexualité normale? Xavier (là aussi, le prénom a été changé), 38 ans, intelligent, a des manières affables, une grande douceur dans le regard et aussi quelque douleur secrète qui affleure durant l'entrevue réalisée chez lui, en tête-à-tête.
En 2002, il a été arrêté pour contacts sexuels avec une fillette de six ans dans un parc. «Ça n'a duré que cinq minutes, et il n'y a pas eu de violence, je vous rassure. Je refuse toute espèce de violence. Il n'y a eu que des câlins, des tapotements sur les fesses. Elle a eu l'air étonnée, tout au plus.» Disons que le père, accouru dans l'intervalle, a réagi plus vivement. Comme l'offense était malgré tout «légère» par rapport à d'autres causes liées à la pédophilie, Xavier a été condamné à deux ans d'emprisonnement. Il a passé cinq mois derrière les barreaux et obtenu un sursis quant au reste de la sentence.
C'était la troisième fois en deux mois que Xavier s'en prenait sexuellement à une fillette. À cette époque-là, il allait très mal. Il était déprimé. Quelque temps plus tôt, sa compagne avait décidé de rompre. Le couple a deux petites filles. L'un des motifs de la séparation: attouchements sexuels sur l'aînée, alors âgée de quatre ans. Pourquoi? «Je pourrais vous donner mille raisons pour expliquer mon penchant pour les fillettes mais, quand j'y repense, je me dis que ces raisons sont aussi mille prétextes.»
Xavier a beaucoup réfléchi et a suivi plusieurs thérapies pendant deux ans afin de mieux contrôler ses fantasmes pédophiles. Ce n'est que ces derniers mois, dit-il, qu'il a vraiment pris du recul par rapport aux gestes commis et qu'il a surmonté sa honte, sa colère et son ressentiment.
«Je suis hétérosexuel, j'aime les femmes et, jusqu'à 25 ans, je ne me voyais surtout pas comme un pédophile. Mais un jour, dans une pharmacie, je suis tombé en admiration devant une jolie petite fille qui devait avoir 12 ans et qui cherchait de la crème solaire. À l'époque, je gagnais très bien ma vie, j'avais beaucoup d'argent, mais je prenais de la cocaïne. J'étais sur un trip de facilité. Mes fantasmes ont commencé là. J'ai eu envie d'explorer cette forme de sexualité. Je me suis mis à “zyeuter” des adolescentes de 13, 14 ans. Et puis j'ai basculé dans les préadolescentes: pas de poils, pas de seins, l'innocence, quoi!»
Selon plusieurs spécialistes de la délinquance sexuelle, la pédophilie vient d'une crainte de l'adulte. Sans être un expert, Pierre-Hugues (le prénom a été changé), thérapeute, intervient auprès de cette clientèle. Il explique: «Presque tous les pédophiles attirés exclusivement par les enfants ont peur ou sont dégoûtés de certains traits qu'ils associent à la femme adulte: grande taille, surplus de poids, confiance en soi, agressivité, etc. Ils se réfugient dans le sentiment de sécurité que leur procurent certains traits infantiles.»
Jusqu'en 2002, Xavier n'a pas touché aux fillettes qui le faisaient rêver. Que s'est-il passé pour qu'il franchisse le pas et se découvre – «effrayé», dit-il – criminel à 35 ans? «C'est très difficile à comprendre pour quelqu'un qui n'a jamais eu ce genre de contacts sexuels, mais il faut savoir que cela se passe souvent dans un climat de confiance, même si c'est considéré comme de l'abus. À cette époque-là, malgré mes fantasmes pour les petites filles, je ne perdais pas de vue l'enfant. Mais depuis, j'ai parlé avec d'autres pédophiles et j'ai constaté que le scénario est souvent le même: on “balance” avec soi-même, c'est oui, c'est non, c'est oui, c'est non. Alors, le silence est malsain, il corrompt l'esprit. Les fantasmes sont de plus en plus forts. On ne sait pas mettre en place un écran de protection dans nos relations avec les enfants. On commence à se faire de fausses idées. On se dit: “Si c'était fait comme ça, peut-être que...” On s'accorde une sorte de permission. Quand ça se produit... une heure avant, l'interdit était présent... et il revient cinq minutes après. Mais, sur le coup, tout disparaît. L'adulte perd la raison au moment du contact. Il n'y a plus un adulte avec un enfant, mais deux enfants réunis dans la proximité et la complicité.»
À l'écoute
À l'écoute «Le silence est malsain», dit Xavier. C'est précisément pour éviter que les pédophiles soient laissés à eux-mêmes, avec leur vulnérabilité et des pulsions qu'ils ne savent pas toujours contrôler, que Latifa Bennari a créé en France l'association L'Ange Bleu, qui se met à leur écoute dans le but de faire de la prévention. Cette femme qui a été victime d'un pédophile, ami de la famille quand elle était enfant, sait de quoi elle parle, comme en témoigne son livre L'Ange Bleu. Pédophilie: prévenir pour protéger.
Inlassablement, Latifa Bennari déploie une grande finesse psychologique pour aider les pédophiles à s'accepter, à comprendre leurs motivations, à atténuer leurs souffrances. Son but: éviter le PREMIER passage à l'acte, celui contre lequel la société ne fait rien, «trop occupée à punir», déplore- t-elle en entrevue. Latifa Bennari ne juge pas ceux qui se confient à elle. Elle refuse toutefois de se montrer complaisante. «Quand des gens me disent: “Je suis né pédophile, c'est ainsi, mais j'ai eu des jeux sexuels avec des enfants, et ça s'est très bien passé”, je réponds: “Comment peux-tu être sûr que ça s'est bien passé?”»
Pour Latifa Bennari, il faut que le pédophile prenne conscience de la gravité de ses actes passés ou qu'il soit détourné d'actes possibles grâce à un travail sur lui-même qui l'amène à dépasser sa souffrance. Car il est le premier malheureux de son état, affirme-t-elle. Benjamin confirme: «Je n'ai rien fait pour devenir pédophile, je ne l'ai pas voulu, mais je suis bien obligé de faire avec... Et je ne peux le dire à personne ou presque. Croyez-vous que mon employeur garderait un salarié pédophile? Et pourtant je ne travaille pas au contact d'enfants.»
Lucidement, à notre demande, Benjamin poursuit la liste de ce qui l'afflige: «Je souffre également d'être un suspect potentiel: si qui que ce soit savait quels sont mes désirs, nul doute que je serais soupçonné à chaque enquête pour affaire de moeurs dans le secteur où j'habite.»
À quoi s'ajoute sa frustration permanente: «Certes, je préfère être sexuellement frustré que de causer du tort à un enfant, mais ce n'est pas pour autant toujours simple à vivre.»
Il y a aussi la peur de la société qui rejaillit sur le pédophile abstinent: «Tant de monde présentent les pédophiles comme incapables de se retenir que je finis parfois par douter de moi. Et si un jour je craquais? Si je me trouvais dans une situation qui me fasse franchir ces barrières que j'ai pourtant participé moi-même à établir? J'ai la sensation d'être aussi capable de me retenir que n'importe qui mais, après tout, qui peut être sûr de lui à 100 %? Sans les excuser, je comprends ceux qui finissent par endosser le rôle de monstre que tout le monde veut nous faire porter: à force de vous entendre dire que vous êtes un monstre, vous risquez de le devenir.»
Une origine commune
Une origine commune
Sans vouloir mettre tous les pédophiles dans le même sac, on peut se demander si, au-delà de l'histoire de chacun, il n'y a pas un dénominateur commun à l'origine de leurs désirs déviants.
Latifa Bennari répond sans hésitation: «La sexualité précoce. Contrairement à ce qu'on croit, ce ne sont pas tous les pédophiles qui ont eux- mêmes été victimes de pédophilie dans leur enfance. Cependant, la plupart d'entre eux ont été en contact avec la sexualité alors qu'ils étaient très jeunes. En raison de la grande liberté accordée aujourd'hui aux enfants, l'esprit s'ouvre très tôt à toutes sortes de réalités, le corps fait des expériences, mais la maturité sexuelle ne suit pas. Vous savez, l'identité sexuelle, ça se programme comme une machine, et on doit faire très attention. On doit informer les enfants sur la sexualité, mais on ne doit pas les initier. Trop de parents ne savent pas tracer la frontière.»
Xavier ne mâche pas ses mots: «Une mère qui dit à sa fille de 11 ans, pour la rassurer sur son corps qui change: “Montre-les, tes cuisses, pendant qu'elles sont belles!” ou qui lui fait porter un top avec des bretelles spaghettis a tort. La publicité, l'industrie de la mode avec ses mannequins de 15 ans maquillées pour en paraître 20 – mais je sais les reconnaître, moi! –, ça ne va pas non plus. Tous ces gens nous mettent le steak sous les yeux!»
Par ailleurs, le thérapeute Pierre-Hugues précise: «La plupart des pédophiles ont une mauvaise relation avec leur mère, et les pédophiles homosexuels ont souvent une mauvaise relation avec leur père.» L'enfance, comme toujours, semble ici déterminante.
Pour le pédophile, une partie du travail sur soi consistera donc à comprendre ce qu'il lui est arrivé, à mettre des mots sur ses actions et ses réactions présentes, au lieu d'être soumis, comme jadis, à des pulsions néfastes aux causes plus anciennes.
«L'erreur, ajoute Latifa Bennari, c'est de penser que la pédophilie est une maladie et que, par conséquent, elle se soigne. C'est faux. On ne guérit pas de la pédophilie, puisque ce n'est pas une maladie, mais on peut la gérer. Le pédophile a besoin d'être respecté quand il ne touche pas à un enfant.»
Équilibre délicat: la société doit protéger ses enfants, mais elle ne peut pas le faire en condamnant avec virulence tous les pédophiles sans distinction. Car alors, explique la fondatrice de L'Ange Bleu, ceux qui sont abstinents, laissés à eux-mêmes avec une estime de soi réduite à néant, chercheront refuge auprès des enfants, contre les adultes, et pourront être tentés de passer à l'acte par désarroi ou par défi. Et la société se trouvera à encourager précisément ce qu'elle veut combattre.
Y a-t-il une solution? Pour Latifa Bennari, répression et prévention sont indissociables. Punir, oui, quand il le faut, mais surtout «aider les pédophiles à s'accepter, à s'intéresser à la vie et au monde adulte. À partir du moment où ils sont respectés, ils peuvent s'ouvrir à d'autres composantes de la sexualité. Cette ouverture vers une sexualité entre adultes n'est pas le résultat d'un conditionnement ou d'un redressage, mais la conséquence heureuse d'un nouvel état d'esprit».
Pour lire l'article directement, c'est ici :
http://www.ellequebec.com/ellequebec/cl ... ews=237765
Pour Laurry, les bouts en gras --Message edité par Strophe le 2007-09-09 12:51:30--