Anya a écrit : Eric, Lola et les pensions alimentaires aux ex-conjointes
Me Catherine Morissette, avocate en droit civil et corporatif et ex-députée à l'Assemblée nationale du Québec.
Plusieurs personnes m’ont demandé d’écrire un texte pour mieux expliquer le jugement qui a été rendu par la Cour d’Appel hier dans le dossier d’Éric contre Lola.
J’ai été très flattée de ces demandes, alors j’ai décidé de prendre le temps de rédiger un petit texte.
Mais je dois vous aviser que je ne pratique pas en droit familial, donc je ne pourrai pas aller en profondeur dans le sujet.
En résumé, Lola demandait, entre autre chose, à la Cour de rendre inconstitutionnel l’article 585 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit:
585. Les époux et conjoints unis civilement de même que les parents en ligne directe au premier degré se doivent des aliments.
Autrement dit, les conjoints non mariés ne peuvent se prévaloir de cet article et ne peuvent réclamer une pension alimentaire pour eux-mêmes.
Ce qui est exactement le cas de Lola, d’où son intérêt d’obtenir de la Cour d’Appel que cet article soit déclaré comme étant contraire à la Charte canadienne des droits de la personne.
Vous trouverez quelques détails ici et ici.
http://www.radio-canada.ca/regions/Mont ... oint.shtml" onclick="window.open(this.href);return false;
http://www.cyberpresse.ca/le-nouvellist ... -appel.php" onclick="window.open(this.href);return false;
(Attention, il est important de faire la distinction entre une pension alimentaire versée pour les enfants et une pension alimentaire versée pour l’ex-conjoint).
Ainsi, la Cour d’Appel a donné raison à Lola sur ce point, en rendant cet article inconstitutionnel.
Mais la Cour a du même coup suspendu la déclaration d’inconstitutionnalité de cet article pour les douze prochains mois, pour permettre au législateur de réagir.
Donc, il n’est pas encore possible pour la dame de s’adresser à nouveau à la Cour supérieure pour tenter d’obtenir une pension alimentaire pour elle-même.
Lola demandait également un droit sur le patrimoine d’Éric accumulé pendant leur vie commune, bref, elle espérait que les règles du patrimoine familial s’appliquent même s’ils n’étaient pas mariés. Ce que la Cour n’a pas permis.
Ce qui m’a également décidé à écrire un texte sur ce sujet, ce sont les absurdités qu’on peut lire et entendre un peu partout depuis l’annonce de ce jugement.
Des phrases comme: « La Cour a marié tous les conjoints de fait », « Vous pourriez devoir payer une pension à toutes vos ex », « Vous pourriez devoir payer une pension à vos colocataires », « Vous pourriez devoir payer une pension à vie à votre ex » et ainsi de suite…
Je trouve qu’on nage en plein désinformation, soit dans le but de donner un bon « show » ou soit par incompréhension totale.
Quoiqu’il en soit, pour ceux que ça intéresse, voici quelques éléments d’informations.
En premier lieu, des cas de pensions alimentaires à l’ex-conjoint sont rarissimes. Je me suis amusée à faire une recherche sur le site du Centre d’accès à l’information juridique (CAIJ) et j’y ai trouvé très peu d’exemples.
En poussant ma recherche dans la doctrine,
j’ai retrouvé ce texte qui apparaît dans la Collection de droit de l’École du Barreau, qui relate l’historique et les critères d’obtention d’une pension alimentaire pour un ex-conjoint.
http://www.caij.qc.ca/doctrine/collecti ... index.html" onclick="window.open(this.href);return false;
Je vous reproduis les critères qui sont pris en considération par la Cour lorsque vient de le temps d’évaluer l’opportunité d’accorder ou non une pension alimentaire à un ex-conjoint:
1. son âge;
2. son état de santé en relation avec sa capacité de travailler;
3. son degré d’instruction;
4. sa capacité de travailler;
5. son statut et de ses charges familiales;
6. du temps qui lui est nécessaire pour acquérir l’autonomie financière.
Donc, si, par exemple, l’ex-conjointe travaille, donc est autonome financièrement, il y a peu de chances qu’elle puisse obtenir une pension alimentaire pour elle-même.
D’autres facteurs, établis par la
Loi sur le divorce sont également pris en considération, tel que le rôle de chacun des époux dans le mariage et les choix que le couple a fait pour leur projet de vie commune et familiale.
http://lois.justice.gc.ca/fra/AvisMiseJ ... mplet.html" onclick="window.open(this.href);return false;
Autrement dit, si le couple a pris la décision que madame resterait à la maison pour s’occuper des enfants pendant quelques années, mettant de côté sa profession, sa carrière; il y a de fortes chances qu’elle ait droit à une pension alimentaire pour elle-même, le temps qu’elle redevienne autonome, si une séparation survenait avant que madame ne soit retournée travailler.
Car, point très important du principe de la pension alimentaire: ELLE EST TEMPORAIRE!
587. Les aliments sont accordés en tenant compte des besoins et des facultés des parties, des circonstances dans lesquelles elles se trouvent et, s’il y a lieu, du temps nécessaire au créancier pour acquérir une autonomie suffisante.
Bien évidemment, si la séparation survient alors que madame a 58 ans, il y a de fortes chances qu’elle ne retrouve jamais une autonomie financière. Par contre, dès qu’elle touchera à ses prestations de la Régie des rentes et/ou sa pension de vieillesse, l’obligation alimentaire de monsieur sera réduite.
Dernier point que je trouve pertinent: messieurs, vous n’avez pas à craindre que vos ex viennent cogner à la porte pour réclamer une pension alimentaire, car elles ont un délai de trois (3) ans de la séparation pour le faire (art. 2925 C.c.Q.).
Évidemment, tout ce qui a été écrit jusqu’à maintenant sur le sujet concerne les couples mariés ou unis civilement. Dans l’éventualité où, suite à la décision obtenue par Lola, des demandes de pension pour ex-conjointe de fait soient adressées à la Cour, il appartiendrait aux juges d’appliquer ou non la jurisprudence développée pour les couples mariés.
Bref, il est faux et démagogique de dire que la Cour vient de marier tous les conjoints de fait, premièrement parce que ce jugement ne s’applique qu’aux cas (très rares) de pension alimentaire à l’ex-conjoint et deuxièmement, parce que la Cour d’Appel a suspendu la déclaration d’invalidité constitutionnelle pour une période de 12 mois à compter du jugement.
De plus, ce jugement touche uniquement les pensions alimentaires et ne touche pas au patrimoine familial (qui est souvent LA raison qui font craindre le mariage aux hommes, mais c’est une autre histoire).
Il est aussi faux de dire qu’elle est attribuée automatiquement ou même facilement, à l’ex-conjointe, car elle doit démontrer en quoi elle y a droit et rencontrer les critères exigés.
Il est aussi faux de dire qu’une pension pourrait être payée à vie, car elle a un caractère temporaire.
Et il est faux et ridicule de penser que toutes les ex-conjointes pourraient venir cogner à la porte de leur ex pour leur réclamer une pension alimentaire. Les colocataires encore moins.
Donc, messieurs, vous pouvez continuer de regarder votre conjointe amoureusement, sans avoir peur que la Cour vous ait mariés contre votre gré!
Par contre, la façon dont le gouvernement réagira à cette décision sera à surveiller! De même que le désir d’Éric de porter ce jugement devant la Cour Suprême du Canada!
http://www.cmorissette.com/2010/11/eric ... onjointes/" onclick="window.open(this.href);return false;