Journal de Montréal
DENISE
BOMBARDIER
Tout dire? Pas sûr
Est-ce que l’on peut continuer de laisser publier et diffuser sans contrôle de modérateur les insanités qui nous assaillent et expriment les vilenies humaines ?
Samedi, 24 octobre 2015 05:00
MISE à JOUR Samedi, 24 octobre 2015 05:00
Au nom de la liberté de parole, trop de gens ignorant la différence entre la parole privée et la parole publique dérapent lamentablement. Les médias sociaux nous éclaboussent au quotidien, car fréquentés par des ignares qui injurient, offensent et molestent les personnages publics présents dans l’univers médiatique.
Les médias ne se censurent plus ou plutôt tentent de nous convaincre qu’en diffusant des infamies exprimées par des personnes qui affichent leurs préjugés imbéciles, ils défendent la liberté d’expression.
Au nom de la liberté d’expression
Le cas de cette Anne-Marie, âgée de 20 ans, dans l’émission Un dîner presque parfait en est un exemple... parfait (justement). La fille a peur des handicapés et les dédaigne. Et elle le dit. Les producteurs de l’émission, se drapant dans le principe sacré de la liberté d’expression, ne sont pas fichus de couper ses propos avant la diffusion.
Avoueront-ils que l’intervention malheureuse constitue la matière croustillante qui attire les téléspectateurs? Que non! André Ducharme, le concepteur de l’émission, fera son mea-culpa sous la pression du public.
Comment en est-on arrivé à croire que la liberté d’expression consiste à dire publiquement et dans les médias, ces accélérateurs de la rumeur et des déversoirs de paroles fécales, tout ce qui passe dans la tête fêlée ou pourrie de tout un chacun? En particulier, dans la tête de pauvres gens déclassés, enragés, pollueurs et impuissants qui sévissent dans l’anonymat de leur vie ratée et sans espoir.
Quelle est la responsabilité des diffuseurs aujourd’hui, alors que chaque jour toutes les outrances verbales et visuelles nous envahissent? La liberté d’expression est-elle un absolu? Est-il vrai qu’aucune entrave ne doit la limiter hormis les tribunaux si les propos contreviennent aux lois?
Peut-on tout dire ?
Avec les médias sociaux, l’on assiste à une «déprofessionnalisation» du métier. Chaque citoyen a le pouvoir de s’exprimer. Et qui plus est, trop souvent dans l’anonymat. Croit-on vraiment que toute opinion, toute insulte, même les plus infamantes, sont la matière essentielle pour qu’existe la liberté d’expression?
Plusieurs estiment qu’en effet, c’est le prix à payer. Mais ce n’est pas sans conséquence sur la confusion des esprits qui règne dans nos sociétés où la morale, l’éthique, le vivre ensemble sont malmenés, bousculés ou renvoyés à la brocante.
L’agressivité, la rage, la colère, le mépris et le dédain sont-ils les valeurs de remplacement du respect, de la compassion, de la fraternité, de la retenue et de la culture personnelle?
Est-ce que l’on peut continuer de laisser publier et diffuser sans contrôle de modérateur les insanités qui nous assaillent et expriment les vilenies humaines?
Faut-il aussi faire le lien entre l’indigence à parler et à écrire en français et les propos exprimés? Y aurait-il une relation entre l’incapacité de manier correctement la langue ou d’écrire avec un vocabulaire réduit et une syntaxe inexistante et les propos délirants qu’on y tient?
Pour parler dru, bien contrôler la langue écrite et parlée ne nous met-il pas à l’abri de ces dérapages haineux? Ne dit-on pas que la culture adoucit les mœurs?
Elle ne mène pas à la vérité, à la morale et au jugement, certes, mais elle peut constituer un filtre sans lequel la parole ressemble aux eaux usées qui nous dégoûtent tant.
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