GARE AUX RECRUTEURS
On ne choisit habituellement pas de faire partie d'un gang, c'est plutôt le gang qui choisit ses membres. Actuellement, les membres des gangs criminalisés vieillissent. Ils ont souvent de 25 à 30 ans. Ils ont besoin d'enrôler pour contrer cette tendance et assurer la relève. Résultat : ils sont très actifs au niveau du recrutement.
L'âge moyen de l'enrôlement des filles : 14-15 ans. Mais des enfants de 9-10 ans et des jeunes adultes tombent aussi dans le piège. Paradoxalement, les recruteurs et recruteuses sont souvent des amis, des connaissances (voisins, amis d'un ami) ou même des membres de la famille éloignée (cousines, nièces, etc.) faisant partie activement ou non des bandes. Ce sont des fins finauds qui utilisent habituellement la séduction pour atteindre leur but. Ainsi, les filles se laissent charmer par des garçons qui leur font miroiter une vie plus belle. Ils leur offrent des biens : sorties, restaurants, bijoux, vêtements, argent, appartement, etc. Ils jouent aussi sur les sentiments en promettant de les sortir d'un milieu familial difficile ou violent. Ils les valorisent et leur font croire qu'elles sont importantes pour eux. Cette lune de miel, hélas, ne dure pas.
Cela dit, si plusieurs des filles sont recrutées à des fins d'exploitation sexuelle, d'autres servent des objectifs différents. «Des jeunes me racontaient qu'ils recrutaient les filles ou leur blonde en fonction de ce qu'elles pouvaient leur apporter, dit Maria Mourani. Par exemple, une fille dont les parents possèdent une entreprise peut servir à piquer leurs cartes de crédit ou encore les chèques de la compagnie pour les falsifier. Un autre me disait que la mère de sa blonde était avocate et que lorsqu'il avait des problèmes, elle le défendait en cour. Un autre encore soulignait que le père de sa blonde avait des restos où il pouvait blanchir son argent. Rien ne les arrête.»
Selon Tel-jeunes, les jeunes à risque sont principalement ceux qui ont un membre de gang dans leur entourage; ceux qui ont décroché de l'école, du travail, du système en général; ceux qui ont déjà posé des gestes illégaux (vente de drogue, prostitution, vols, etc.); ceux qui sont seuls, isolés; ceux qui vivent des carences affectives. Ils proviennent de toutes les couches de la société.
«Étonnamment, plusieurs parents ignorent que leur fille fait partie d'un gang de rue, raconte Chantal Fredette. Ils l'apprennent souvent quand elle se fait arrêter. Certains signes peuvent néanmoins mettre la puce à l'oreille : elle modifie son habillement (plus sexy ou plus masculin, c'est selon); elle rentre à la maison avec des vêtements griffés; elle a soudainement beaucoup d'argent; elle possède des objets de valeur (bijoux, CD, iPod, etc.) que l'on n'a pas payés et quand on en demande la provenance, elle répond que c'est un cadeau ou qu'elle a fait des échanges; elle fréquente de nouveaux amis dont on ne connaît que les prénoms ou les surnoms et qui ne peuvent être rejoints que par cellulaire; elle se cache pour parler au téléphone; elle quitte rapidement la maison sans dire où elle va après un appel téléphonique; elle adopte des comportements agressifs et son langage change, etc.»
La meilleure façon de protéger sa fille des gangs, c'est de connaître sa vie : ses amis, les parents de ses amis, les lieux fréquentés quand elle n'est pas à l'école ou à la maison. Aussi une ado qui est attachée à ses parents, qui communique bien avec eux, qui a des loisirs, organisés ou pas, risque peu de se retrouver dans un gang de rue. D'autres éléments qui font diminuer les risques : une bonne estime de soi; des amis qui partagent des valeurs positives; des réussites scolaires et sociales; l'amour de l'école, la participation à des activités parascolaires; le fait de se sentir appréciée et respectée des professeurs et du personnel de l'école, etc.; la présence dans son entourage d'adultes que l'on admire, qui nous soutiennent; sentir que nos parents s'intéressent à nous; être optimiste face à son avenir.
Par ailleurs, les spécialistes s'accordent à dire qu'il faut parler aux enfants du phénomène des gangs de rue dès le primaire, car le recrutement commence tôt : plus on est jeune, plus on est malléable et plus on est facile à endoctriner. C'est grâce à la prévention qu'on peut diminuer la criminalité. «Les jeunes ont besoin de discuter de ces phénomènes et de savoir ce que leurs parents en pensent, conseille Chantal Fredette. Quelques questions pour ouvrir le dialogue : Comment ça se passe à l'école? As-tu déjà entendu parler des gangs de rue? Qu'est-ce que tu en penses? Qu'est-ce que tu ferais si quelqu'un t'offrait de vendre de la drogue?... Plus on leur parle des gangs et des problèmes qui leur sont associés - délinquance, toxicomanie, abus sexuels, plus on développe leur jugement moral par rapport aux gangs et à leur capacité de faire des choix. À éviter cependant : le ton moralisateur.»
DÉCROCHER, C'EST POSSIBLE
Aujourd'hui, Mélanie Carpentier a 28 ans. Elle est patrouilleuse de rue à la Maison d'Haïti, à Montréal. Elle sensibilise les jeunes à ce fléau que sont les gangs, sachant bien à quel point il est facile d'être manipulé par les criminels. Elle donne aussi des conférences et s'apprête à publier un livre racontant son histoire. Pour elle, c'est une nouvelle vie, encore fragile cependant.
«C'est au printemps 2005, après un trip de 24 heures où j'ai flambé 3 000 $, que j'ai décidé de faire un trait sur ma vie passée, confie-t-elle. Quand j'ai repris mes esprits, j'avais l'air d'un zombie. Il fallait que ça change. Je me suis rendue à l'urgence du Centre Dollard-Cormier et je leur ai dit que je ne sortirais pas de là avant d'avoir reçu de l'aide. Peu de temps après, je commençais une thérapie. Je ne prends plus de drogues. J'ai une vie équilibrée. Depuis deux ans, je n'ai plus de contact avec les gangs. Je reprends peu à peu ma vie en main. C'est la foi qui m'a aidée et qui m'aide encore.»
«Les filles décrochent, en général, beaucoup plus rapidement de l'univers des gangs que les gars, note Mme Fredette. C'est ce qui explique probablement, en partie, pourquoi il y a peu de femmes leaders. Les filles réalisent que ce n'est pas en restant dans le gang qu'elles vont avoir une vie de famille heureuse, équilibrée et stable. Alors, elles décrochent peu à peu.»
Plus la fille est jeune et moins elle est restée longtemps dans le gang, plus il lui est facile de décrocher... à condition qu'elle le veuille et qu'elle soit soutenue et aidée. D'où l'importance de ne pas abandonner l'enfant prise dans cet engrenage. À cet effet, on peut recourir à l'aide de professionnels pour essayer de comprendre ce qui arrive et pour trouver des solutions. La pire erreur serait de ne rien faire.
http://www.madame.ca/Votrevie/famille/d ... 155p3.html