Publié : lun. juin 09, 2008 1:32 pm
Canoé
La chronique de Geneviève Lefebvre
Geneviève Lefebvre
Journal de Montréal
27/05/2008 07h28
Le drame d'une mère
Un jour, j'ai vu une mère se jeter à la gorge d'un pitbull pour sauver son fils. Surpris par la fureur instinctive de la tigresse qu'il avait devant lui, le chien a lâché l'enfant.
Cette histoire, aussi traumatisante soitelle, est confortable dans sa viscérale simplicité. Devant le danger, une mère s'est complètement oubliée pour protéger son petit. Mais que fait une mère quand la violence vient de l'intérieur même de son enfant ?
ACCUSÉ DE MEURTRE
Le 19 mai, Lise Hudon a su que son fils Francis Proulx venait d'être accusé du meurtre de Nancy Michaud, à Rivière- Ouelle. Ce jour-là, elle a rejoint la longue liste de femmes qui portent le fardeau de la culpabilité de leurs enfants criminels. Comme la mère de Kimveer Gill, comme celle de Marc Lépine, Lise Hudon devra supporter toute sa vie l'infamie d'un geste qu'elle n'a pas commis.
L'entrée dans ce club dont personne ne pense jamais faire partie est brutale. Épouvantées par le geste irréparable de leur enfant, ces mères font face à la tentation du déni, la même qui submerge les parents des victimes : «C'est impossible, pas ça, pas le mien.»
Tout de suite, Lise Hudon a pris la culpabilité sur ses épaules, s'excusant auprès de son fils ; «Si j'ai fait quelque chose de mal, pardonne-moi. » Tout de suite, elle parle de la fragilité de Francis. Pas pour l'excuser non, mais peut-être pour sauver ce qui reste d'amour. Condamner le geste est une chose, renier son enfant relève du surhumain. Dans une de ses rares chansons d'amour, Richard Desjardins a écrit : «Ton cœur, toujours à m'attendre, indulgent comme une mère de tueur.»
La chanson évoque cet amour fait d'inconditionnel que l'on prête à l'amour maternel. Un amour fantasme dont la glorification est une arme à double tranchant.
Dans cette espèce de pouvoir divin qu'on attribue à la maternité, dans la toute puissance qu'on lui accorde, à tort d'ailleurs, il y a aussi le lourd tribut de la faute lorsque l'enfant devient meurtrier. Si la mère est si puissante, si influente, c'est donc qu'elle est imputable. C'est à elle qu'on demande des comptes. Dans une entrevue qu'elle accorda à TVA en septembre 2006, Monique Lépine a eu cette phrase déchirante au sujet du soir du 6 décembre 1989 : «J'ai prié pour la mère du tueur sans savoir que c'était moi.»
L'HORREUR DE LA PREUVE
Après le déni, vient l'horreur de la preuve, et une question lancinante : «Pourquoi ?» Dans le midi de la France, il y a deux ans, une mère a supplié son fils accusé du meurtre d'une enfant de cinq ans d'expliquer son geste, «par respect pour les parents de la petite». En cour d'assises, Anne-Marie Augier s'est tournée vers son fils et l'a imploré ; «Il faut dire ce qui s'est passé et surtout pourquoi. Il faut qu'on sache.»
UN DRAME QUI NE SE PARTAGE PAS
Dans ce cri de désespoir, dans ce «on» qui englobait aussi bien les parents de la victime que la mère du meurtrier, il y avait ce même besoin de savoir. Des réponses, il y en a parfois. Mais elles apaisent rarement et laissent derrière elles les répercussions d'une onde de choc dont les coups n'en finissent plus de heurter les familles de toutes les victimes.
Commence alors pour ces mères aux enfants condamnés un drame qui est d'autant plus épouvantable qu'il ne se partage pas. La douleur doit se vivre en cachette, contaminée par le remords et la crainte du jugement. Pour ces femmes au coeur lourd, la fête des Mères ne sera plus jamais une fête.
La chronique de Geneviève Lefebvre
Geneviève Lefebvre
Journal de Montréal
27/05/2008 07h28
Le drame d'une mère
Un jour, j'ai vu une mère se jeter à la gorge d'un pitbull pour sauver son fils. Surpris par la fureur instinctive de la tigresse qu'il avait devant lui, le chien a lâché l'enfant.
Cette histoire, aussi traumatisante soitelle, est confortable dans sa viscérale simplicité. Devant le danger, une mère s'est complètement oubliée pour protéger son petit. Mais que fait une mère quand la violence vient de l'intérieur même de son enfant ?
ACCUSÉ DE MEURTRE
Le 19 mai, Lise Hudon a su que son fils Francis Proulx venait d'être accusé du meurtre de Nancy Michaud, à Rivière- Ouelle. Ce jour-là, elle a rejoint la longue liste de femmes qui portent le fardeau de la culpabilité de leurs enfants criminels. Comme la mère de Kimveer Gill, comme celle de Marc Lépine, Lise Hudon devra supporter toute sa vie l'infamie d'un geste qu'elle n'a pas commis.
L'entrée dans ce club dont personne ne pense jamais faire partie est brutale. Épouvantées par le geste irréparable de leur enfant, ces mères font face à la tentation du déni, la même qui submerge les parents des victimes : «C'est impossible, pas ça, pas le mien.»
Tout de suite, Lise Hudon a pris la culpabilité sur ses épaules, s'excusant auprès de son fils ; «Si j'ai fait quelque chose de mal, pardonne-moi. » Tout de suite, elle parle de la fragilité de Francis. Pas pour l'excuser non, mais peut-être pour sauver ce qui reste d'amour. Condamner le geste est une chose, renier son enfant relève du surhumain. Dans une de ses rares chansons d'amour, Richard Desjardins a écrit : «Ton cœur, toujours à m'attendre, indulgent comme une mère de tueur.»
La chanson évoque cet amour fait d'inconditionnel que l'on prête à l'amour maternel. Un amour fantasme dont la glorification est une arme à double tranchant.
Dans cette espèce de pouvoir divin qu'on attribue à la maternité, dans la toute puissance qu'on lui accorde, à tort d'ailleurs, il y a aussi le lourd tribut de la faute lorsque l'enfant devient meurtrier. Si la mère est si puissante, si influente, c'est donc qu'elle est imputable. C'est à elle qu'on demande des comptes. Dans une entrevue qu'elle accorda à TVA en septembre 2006, Monique Lépine a eu cette phrase déchirante au sujet du soir du 6 décembre 1989 : «J'ai prié pour la mère du tueur sans savoir que c'était moi.»
L'HORREUR DE LA PREUVE
Après le déni, vient l'horreur de la preuve, et une question lancinante : «Pourquoi ?» Dans le midi de la France, il y a deux ans, une mère a supplié son fils accusé du meurtre d'une enfant de cinq ans d'expliquer son geste, «par respect pour les parents de la petite». En cour d'assises, Anne-Marie Augier s'est tournée vers son fils et l'a imploré ; «Il faut dire ce qui s'est passé et surtout pourquoi. Il faut qu'on sache.»
UN DRAME QUI NE SE PARTAGE PAS
Dans ce cri de désespoir, dans ce «on» qui englobait aussi bien les parents de la victime que la mère du meurtrier, il y avait ce même besoin de savoir. Des réponses, il y en a parfois. Mais elles apaisent rarement et laissent derrière elles les répercussions d'une onde de choc dont les coups n'en finissent plus de heurter les familles de toutes les victimes.
Commence alors pour ces mères aux enfants condamnés un drame qui est d'autant plus épouvantable qu'il ne se partage pas. La douleur doit se vivre en cachette, contaminée par le remords et la crainte du jugement. Pour ces femmes au coeur lourd, la fête des Mères ne sera plus jamais une fête.