Publié : ven. juin 06, 2008 8:12 am
Le vendredi 06 juin 2008
Selon la loi, les techniciens ambulanciers paramédicaux n'ont pas le droit de refuser de transporter un usager. Même si un appel semble injustifié, ils ont l'obligation de transporter chaque personne.
Ariane Lacoursière
La Presse
La plupart des Québécois n'appellent l'ambulance que dans les cas urgents. Mais pour certains, l'ambulance sert plutôt de taxi. Alors que les services ambulanciers de là province croulent sous les appels, des utilisateurs sans scrupules engorgent un peu plus un réseau déjà à bout de souffle.
C'est l'été. Mme Tremblay, 68 ans, souhaite aller au centre commercial s'acheter une belle robe. Plutôt que d'appeler un taxi ou de prendre l'autobus, elle compose le 9-1-1. Elle se plaint d'une douleur à la poitrine. Quelques minutes plus tard, l'ambulance arrive.
À toute vitesse, Mme Tremblay est transportée à l'hôpital. Les ambulanciers déposent leur cliente aux urgences et partent répondre à un autre appel.
Mme Tremblay attend quelques minutes. Puis, plutôt que de s'enregistrer, elle quitte les lieux. Elle marche doucement vers le centre commercial qui, comme par hasard, se trouve à un coin de rue de l'hôpital. Gratuitement et en un temps record, Mme Tremblay se retrouve dans sa boutique préférée.
Les Bougon? Non, la réalité
Cette histoire semble tout droit sortie d'un épisode des Bougon. Il s'agit pourtant de la réalité. La députée adéquiste de Saint- Jean-sur-Richelieu, Lucille Méthé, est bien au fait de cette situation. Dans sa ville, l'hôpital est situé juste à côté d'un centre commercial. «Les gens pour qui le service ambulancier est gratuit prennent l'ambulance pour aller magasiner. C'est moins cher qu'un taxi! C'est déplorable. Ça fait perdre beaucoup d'argent», dit-elle.
Si des personnes peuvent abuser ainsi du système, c'est qu'aucun enregistrement obligatoire n'est effectué à l'arrivée d'un patient par ambulance. Mis à part les cas graves qui sont transférés de civière à civière, tous les autres patients s'enregistrent eux-mêmes aux urgences. Certains en profitent pour prendre la poudre d'escampette.
Selon la loi, les techniciens ambulanciers paramédicaux n'ont pas le droit de refuser de transporter un usager. Même si un appel semble injustifié, ils ont l'obligation de transporter chaque personne. Certains sont frustrés de cette situation. «Des fois, des paramédicaux arrivent chez quelqu'un qui a appelé pour une urgence respiratoire, et cette personne attend sur son balcon avec sa valise en fumant une cigarette, dit le porte-parole d'Urgences-santé, André Champagne. C'est frustrant. Mais nous ne pouvons pas refuser un transport. On peut seulement espérer que la population change ses habitudes.»
En moyenne 145$
Chaque transport ambulancier coûte en moyenne 145$ au Québec. Certaines catégories de personnes n'ont pas à payer pour ce service, dont les personnes âgées de 65 ans et plus, les anciens combattants, les autochtones et les prestataires de l'aide sociale. Le transport des personnes blessées dans un accident de la route est couvert par la Société de l'assurance automobile du Québec. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) rembourse le transport de plusieurs victimes d'accidents de travail. En tout, seulement 20% des usagers paient eux-mêmes leur transport.
«Quand un service est gratuit, c'est sûr que certaines personnes vont en abuser. Mais on parle d'exceptions», dit le porteparole d'Urgences-santé. Cette organisation, qui dessert Montréal et Laval, est le plus important service ambulancier de la province.
Il est impossible de savoir combien de Québécois abusent des services ambulanciers. «Faire ce recensement coûterait beaucoup trop cher «, soutient M. Champagne. Les différents services ambulanciers joints par La Presse assurent que les abus demeurent toutefois rares.
Abusifs ou répétitifs?
L'an dernier, Ambulances Demers, qui dessert la Rive-Sud, a effectué 24 000 transports. «En tout, 200 personnes nous ont appelés plus de cinq fois. Mais ces personnes ont-elles vraiment abusé? Peutêtre qu'elles ont utilisé l'ambulance cinq fois avec raison. On ne peut pas savoir «, dit Sylvain Bernier, directeur de l'exploitation de l'entreprise.
Pour le président du syndicat Préhospitalier Montréal/Laval, Réjean Leclerc, il faut faire la différence entre les usagers qui abusent du système et ceux qui composent fréquemment le 9-1-1. « Les personnes qui appellent souvent sont soit des personnes seules pour qui nous sommes l'unique lien vers l'extérieur, soit des personnes qui ont des problèmes de santé mentale et qui croient vraiment qu'elles ont besoin d'appeler l'ambulance. On ne peut pas les blâmer», dit M. Leclerc.
Selon lui, les usagers qui abusent du service sont ceux qui appellent le 9-1-1 en sachant pertinemment qu'ils n'ont pas besoin d'une ambulance. «Après la fusillade à Dawson, des jeunes ont téléphoné à 4h du matin pour qu'on intervienne au coin d'une rue où il y avait supposément une fusillade. Ils nous disaient qu'il y avait au moins 10 victimes. On pensait que c'était une catastrophe. On avait mobilisé les policiers et les pompiers. Mais tout était faux. Ça, c'était vraiment un abus «, raconte M. Leclerc.
À Montréal et Laval, Urgences-santé était jusqu'à tout récemment aux prises avec des personnes qui utilisaient l'ambulance plus de 100 fois par année. Maintenant, quelques rares usagers appellent Urgences-santé plus de 50 fois par an. «Les plus gros usagers sont surtout des gens qui doivent subir des traitements de chimio et qui n'ont pas d'autre moyen de transport. De l'abus pur, il n'y en a pas tant que ça», soutient M. Champagne.
Mais malgré tout, le porte-parole d' Urgences-santé reconna ît que la population devrait être mieux informée. «On reçoit de très nombreux appels qui auraient pu être évités. Certaines personnes devraient appeler Info-Santé ou aller aux urgences par leurs propres moyens «, dit-il.
Fausse croyance
Au coeur du problème des abus se trouve la fausse croyance voulant que quelqu'un qui arrive aux urgences en ambulance voie plus rapidement un médecin. «C'est un mythe. Tout le monde doit passer au triage, dit M. Champagne. C'est l'état de santé d'un patient qui détermine sa priorité. Quelqu'un qui arrive avec un mal de pouce par ambulance ne sera pas traité plus vite que quelqu'un qui arrive avec un mal de poitrine par ses propres moyens. »
Même si les abus semblent marginaux, les services ambulanciers du Québec s'en passeraient volontiers. Car les techniciens ambulanciers paramédicaux sont débordés. Leur temps de réponse a augmenté cette année à Montréal et Laval. Les appels de priorité 1 sont maintenant traités en 9 minutes 16 secondes, alors que le temps recommandé est de 8 minutes 59 secondes.
Lucille Méthé accuse les utilisateurs sans scrupules d'être en partie responsables de l'augmentation des temps de réponse. «Pendant qu'une personne utilise une ambulance sans raison, une autre est peut-être en train de faire une crise cardiaque et attend trop longtemps parce qu'aucun ambulancier n'est disponible pour la secourir, dénonce-t-elle. Il faut que ça arrête.»
Selon la loi, les techniciens ambulanciers paramédicaux n'ont pas le droit de refuser de transporter un usager. Même si un appel semble injustifié, ils ont l'obligation de transporter chaque personne.
Ariane Lacoursière
La Presse
La plupart des Québécois n'appellent l'ambulance que dans les cas urgents. Mais pour certains, l'ambulance sert plutôt de taxi. Alors que les services ambulanciers de là province croulent sous les appels, des utilisateurs sans scrupules engorgent un peu plus un réseau déjà à bout de souffle.
C'est l'été. Mme Tremblay, 68 ans, souhaite aller au centre commercial s'acheter une belle robe. Plutôt que d'appeler un taxi ou de prendre l'autobus, elle compose le 9-1-1. Elle se plaint d'une douleur à la poitrine. Quelques minutes plus tard, l'ambulance arrive.
À toute vitesse, Mme Tremblay est transportée à l'hôpital. Les ambulanciers déposent leur cliente aux urgences et partent répondre à un autre appel.
Mme Tremblay attend quelques minutes. Puis, plutôt que de s'enregistrer, elle quitte les lieux. Elle marche doucement vers le centre commercial qui, comme par hasard, se trouve à un coin de rue de l'hôpital. Gratuitement et en un temps record, Mme Tremblay se retrouve dans sa boutique préférée.
Les Bougon? Non, la réalité
Cette histoire semble tout droit sortie d'un épisode des Bougon. Il s'agit pourtant de la réalité. La députée adéquiste de Saint- Jean-sur-Richelieu, Lucille Méthé, est bien au fait de cette situation. Dans sa ville, l'hôpital est situé juste à côté d'un centre commercial. «Les gens pour qui le service ambulancier est gratuit prennent l'ambulance pour aller magasiner. C'est moins cher qu'un taxi! C'est déplorable. Ça fait perdre beaucoup d'argent», dit-elle.
Si des personnes peuvent abuser ainsi du système, c'est qu'aucun enregistrement obligatoire n'est effectué à l'arrivée d'un patient par ambulance. Mis à part les cas graves qui sont transférés de civière à civière, tous les autres patients s'enregistrent eux-mêmes aux urgences. Certains en profitent pour prendre la poudre d'escampette.
Selon la loi, les techniciens ambulanciers paramédicaux n'ont pas le droit de refuser de transporter un usager. Même si un appel semble injustifié, ils ont l'obligation de transporter chaque personne. Certains sont frustrés de cette situation. «Des fois, des paramédicaux arrivent chez quelqu'un qui a appelé pour une urgence respiratoire, et cette personne attend sur son balcon avec sa valise en fumant une cigarette, dit le porte-parole d'Urgences-santé, André Champagne. C'est frustrant. Mais nous ne pouvons pas refuser un transport. On peut seulement espérer que la population change ses habitudes.»
En moyenne 145$
Chaque transport ambulancier coûte en moyenne 145$ au Québec. Certaines catégories de personnes n'ont pas à payer pour ce service, dont les personnes âgées de 65 ans et plus, les anciens combattants, les autochtones et les prestataires de l'aide sociale. Le transport des personnes blessées dans un accident de la route est couvert par la Société de l'assurance automobile du Québec. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) rembourse le transport de plusieurs victimes d'accidents de travail. En tout, seulement 20% des usagers paient eux-mêmes leur transport.
«Quand un service est gratuit, c'est sûr que certaines personnes vont en abuser. Mais on parle d'exceptions», dit le porteparole d'Urgences-santé. Cette organisation, qui dessert Montréal et Laval, est le plus important service ambulancier de la province.
Il est impossible de savoir combien de Québécois abusent des services ambulanciers. «Faire ce recensement coûterait beaucoup trop cher «, soutient M. Champagne. Les différents services ambulanciers joints par La Presse assurent que les abus demeurent toutefois rares.
Abusifs ou répétitifs?
L'an dernier, Ambulances Demers, qui dessert la Rive-Sud, a effectué 24 000 transports. «En tout, 200 personnes nous ont appelés plus de cinq fois. Mais ces personnes ont-elles vraiment abusé? Peutêtre qu'elles ont utilisé l'ambulance cinq fois avec raison. On ne peut pas savoir «, dit Sylvain Bernier, directeur de l'exploitation de l'entreprise.
Pour le président du syndicat Préhospitalier Montréal/Laval, Réjean Leclerc, il faut faire la différence entre les usagers qui abusent du système et ceux qui composent fréquemment le 9-1-1. « Les personnes qui appellent souvent sont soit des personnes seules pour qui nous sommes l'unique lien vers l'extérieur, soit des personnes qui ont des problèmes de santé mentale et qui croient vraiment qu'elles ont besoin d'appeler l'ambulance. On ne peut pas les blâmer», dit M. Leclerc.
Selon lui, les usagers qui abusent du service sont ceux qui appellent le 9-1-1 en sachant pertinemment qu'ils n'ont pas besoin d'une ambulance. «Après la fusillade à Dawson, des jeunes ont téléphoné à 4h du matin pour qu'on intervienne au coin d'une rue où il y avait supposément une fusillade. Ils nous disaient qu'il y avait au moins 10 victimes. On pensait que c'était une catastrophe. On avait mobilisé les policiers et les pompiers. Mais tout était faux. Ça, c'était vraiment un abus «, raconte M. Leclerc.
À Montréal et Laval, Urgences-santé était jusqu'à tout récemment aux prises avec des personnes qui utilisaient l'ambulance plus de 100 fois par année. Maintenant, quelques rares usagers appellent Urgences-santé plus de 50 fois par an. «Les plus gros usagers sont surtout des gens qui doivent subir des traitements de chimio et qui n'ont pas d'autre moyen de transport. De l'abus pur, il n'y en a pas tant que ça», soutient M. Champagne.
Mais malgré tout, le porte-parole d' Urgences-santé reconna ît que la population devrait être mieux informée. «On reçoit de très nombreux appels qui auraient pu être évités. Certaines personnes devraient appeler Info-Santé ou aller aux urgences par leurs propres moyens «, dit-il.
Fausse croyance
Au coeur du problème des abus se trouve la fausse croyance voulant que quelqu'un qui arrive aux urgences en ambulance voie plus rapidement un médecin. «C'est un mythe. Tout le monde doit passer au triage, dit M. Champagne. C'est l'état de santé d'un patient qui détermine sa priorité. Quelqu'un qui arrive avec un mal de pouce par ambulance ne sera pas traité plus vite que quelqu'un qui arrive avec un mal de poitrine par ses propres moyens. »
Même si les abus semblent marginaux, les services ambulanciers du Québec s'en passeraient volontiers. Car les techniciens ambulanciers paramédicaux sont débordés. Leur temps de réponse a augmenté cette année à Montréal et Laval. Les appels de priorité 1 sont maintenant traités en 9 minutes 16 secondes, alors que le temps recommandé est de 8 minutes 59 secondes.
Lucille Méthé accuse les utilisateurs sans scrupules d'être en partie responsables de l'augmentation des temps de réponse. «Pendant qu'une personne utilise une ambulance sans raison, une autre est peut-être en train de faire une crise cardiaque et attend trop longtemps parce qu'aucun ambulancier n'est disponible pour la secourir, dénonce-t-elle. Il faut que ça arrête.»