Publié : lun. sept. 10, 2007 4:00 am
Le sensationnalisme, jusqu'aux prochaines funérailles
Paul Cauchon
Édition du lundi 10 septembre 2007
Radio-Canada lancera mercredi soir une nouvelle émission, Enquête, destinée à remplacer Enjeux. Pour la première édition, elle espère frapper fort, avec un reportage qui se demande si les médias ont été trop sensationnalistes lors de la tragédie du Collège Dawson, il y a un an.
Selon l'émission, des étudiants s'étaient plaints d'avoir été victimes deux fois: victimes des balles du tueur, mais victimes aussi des caméras. C'est une accusation assez grave.
Parmi les exemples mentionnés par Enquête, il y a l'histoire de ce jeune homme qui s'en était pris aux photographes qui pourchassaient sa blonde ensanglantée sur une civière. On mentionne également que la famille du tueur, Kimveer Gill, avait été littéralement assiégée par les médias, incapable de sortir de sa propre maison.
La mère d'une des victimes s'élève même contre un journaliste de TVA, Denis Thériault, l'accusant carrément de harcèlement. Interrogé par Enquête, celui-ci se défend, en laissant entendre que s'il insistait ainsi, c'est parce que la famille n'avait pas clairement dit non à ses demandes.
De façon générale, le reportage soulève d'excellentes questions mais il nous laisse sur notre faim, en laissant des pistes inexplorées. Et on le regarde avec un certain malaise, parce que la télévision publique semble plus prompte à montrer des comportements répréhensibles à TVA et au Journal de Montréal que dans sa propre cour.
Mais c'est un reportage qui nous rappelle comment les médias sont, en général, assez peu portés à faire leur autocritique.
Je suis retourné ces derniers jours voir les commentaires qui s'écrivaient sur différents blogues le jour même de Dawson, ainsi que le lendemain. De dizaines de personnes s'indignaient de voir les mêmes interminables scènes d'étudiants en panique et de corps ensanglantés, que l'on répétait en boucle pendant des heures sur tous les réseaux. Des téléspectateurs fustigeaient le comportement «carnassier» de plusieurs médias.
Pourtant, il s'agissait d'un événement majeur, et les médias devaient en rendre compte. Montrer des étudiants en panique ainsi que des blessés faisait partie d'une réalité que l'on ne pouvait pas cacher. Les téléspectateurs voulaient non seulement voir, mais ressentir ce qui se passait sur le terrain.
Mais cette nécessité de montrer ne devrait pas nous empêcher de nous interroger sur la répétition des images-chocs, et sur la concurrence que les médias se livrent.
Si vous interrogez un journaliste en lui demandant s'il fait du sensationnalisme, il protestera toujours de son innocence, bien sûr, en brandissant le droit du public à l'information. Rares sont les journalistes qui vont avouer publiquement qu'ils en font un peu trop. Un texte comme celui que Dominic Arpin signait au printemps 2006 dans son blogue est assez rare. Ce collègue de TVA signait une chronique à la suite de la diffusion en direct sur LCN des funérailles d'un homme assassiné à Montréal. «Pourquoi est-ce devenu un automatisme de couvrir les funérailles au Québec?» se demandait-il. Expliquant avoir eu à faire ce genre de couverture plusieurs fois dans le passé, il ajoutait que «chaque fois je ressentais ce même malaise.
L'impression de ne pas être à ma place, de profiter du malheur des gens pour faire un beau ti-topo émouvant».
La concurrence effrénée entre les médias entraîne souvent les journalistes à pousser toujours le bouchon un peu plus loin, à vouloir toujours être les premiers à dénicher l'entrevue exclusive forte avec le parent d'un assassin ou avec la victime qui n'a pas encore parlé.
Mais en même temps, en cette ère de téléréalité, combien de voisins et de parents, combien de témoins plus ou moins crédibles, se jettent eux-mêmes devant les caméras pour donner leur point de vue, et ainsi avoir la chance de «passer à la tivi»?
Ajoutons que les chaînes d'information continue sont un véritable monstre qui exige, ou bien une répétition excessive des mêmes images en boucle, ou bien une recherche de nouvelles images fortes et exclusives lorsqu'il se produit une telle tragédie.
Les médias manquent-ils de retenue? On peut toujours poser la question au public. En 2004, le Consortium de recherche sur les médias, qui regroupait quelques universités canadiennes ainsi que le Centre d'études sur les médias de l'Université Laval, réalisait un sondage auprès de 3000 personnes.
Les chercheurs avaient demandé aux Canadiens s'ils voyaient du sensationnalisme dans les nouvelles, «c'est-à-dire des exagérations ou une insistance sur l'émotion pour attirer l'attention ou pour appuyer un argument».
Réponse stupéfiante: 92 % des Canadiens avaient indiqué qu'il y avait du sensationnalisme. Et 63 % des répondants avaient indiqué que cela minait leur confiance dans l'information.
Et parmi tous les Canadiens, les Québécois étaient les plus nombreux à voir du sensationnalisme. Mais ils étaient aussi les moins nombreux à affirmer que leur confiance s'en trouvait diminuée. Est-ce parce qu'ils sont plus habitués?
pcauchon@ledevoir.com
http://www.ledevoir.com/2007/09/10/156223.html
Et vous qu'en pensez-vs? --Message edité par tuberale le 2007-09-10 10:02:58--
Paul Cauchon
Édition du lundi 10 septembre 2007
Radio-Canada lancera mercredi soir une nouvelle émission, Enquête, destinée à remplacer Enjeux. Pour la première édition, elle espère frapper fort, avec un reportage qui se demande si les médias ont été trop sensationnalistes lors de la tragédie du Collège Dawson, il y a un an.
Selon l'émission, des étudiants s'étaient plaints d'avoir été victimes deux fois: victimes des balles du tueur, mais victimes aussi des caméras. C'est une accusation assez grave.
Parmi les exemples mentionnés par Enquête, il y a l'histoire de ce jeune homme qui s'en était pris aux photographes qui pourchassaient sa blonde ensanglantée sur une civière. On mentionne également que la famille du tueur, Kimveer Gill, avait été littéralement assiégée par les médias, incapable de sortir de sa propre maison.
La mère d'une des victimes s'élève même contre un journaliste de TVA, Denis Thériault, l'accusant carrément de harcèlement. Interrogé par Enquête, celui-ci se défend, en laissant entendre que s'il insistait ainsi, c'est parce que la famille n'avait pas clairement dit non à ses demandes.
De façon générale, le reportage soulève d'excellentes questions mais il nous laisse sur notre faim, en laissant des pistes inexplorées. Et on le regarde avec un certain malaise, parce que la télévision publique semble plus prompte à montrer des comportements répréhensibles à TVA et au Journal de Montréal que dans sa propre cour.
Mais c'est un reportage qui nous rappelle comment les médias sont, en général, assez peu portés à faire leur autocritique.
Je suis retourné ces derniers jours voir les commentaires qui s'écrivaient sur différents blogues le jour même de Dawson, ainsi que le lendemain. De dizaines de personnes s'indignaient de voir les mêmes interminables scènes d'étudiants en panique et de corps ensanglantés, que l'on répétait en boucle pendant des heures sur tous les réseaux. Des téléspectateurs fustigeaient le comportement «carnassier» de plusieurs médias.
Pourtant, il s'agissait d'un événement majeur, et les médias devaient en rendre compte. Montrer des étudiants en panique ainsi que des blessés faisait partie d'une réalité que l'on ne pouvait pas cacher. Les téléspectateurs voulaient non seulement voir, mais ressentir ce qui se passait sur le terrain.
Mais cette nécessité de montrer ne devrait pas nous empêcher de nous interroger sur la répétition des images-chocs, et sur la concurrence que les médias se livrent.
Si vous interrogez un journaliste en lui demandant s'il fait du sensationnalisme, il protestera toujours de son innocence, bien sûr, en brandissant le droit du public à l'information. Rares sont les journalistes qui vont avouer publiquement qu'ils en font un peu trop. Un texte comme celui que Dominic Arpin signait au printemps 2006 dans son blogue est assez rare. Ce collègue de TVA signait une chronique à la suite de la diffusion en direct sur LCN des funérailles d'un homme assassiné à Montréal. «Pourquoi est-ce devenu un automatisme de couvrir les funérailles au Québec?» se demandait-il. Expliquant avoir eu à faire ce genre de couverture plusieurs fois dans le passé, il ajoutait que «chaque fois je ressentais ce même malaise.
L'impression de ne pas être à ma place, de profiter du malheur des gens pour faire un beau ti-topo émouvant».
La concurrence effrénée entre les médias entraîne souvent les journalistes à pousser toujours le bouchon un peu plus loin, à vouloir toujours être les premiers à dénicher l'entrevue exclusive forte avec le parent d'un assassin ou avec la victime qui n'a pas encore parlé.
Mais en même temps, en cette ère de téléréalité, combien de voisins et de parents, combien de témoins plus ou moins crédibles, se jettent eux-mêmes devant les caméras pour donner leur point de vue, et ainsi avoir la chance de «passer à la tivi»?
Ajoutons que les chaînes d'information continue sont un véritable monstre qui exige, ou bien une répétition excessive des mêmes images en boucle, ou bien une recherche de nouvelles images fortes et exclusives lorsqu'il se produit une telle tragédie.
Les médias manquent-ils de retenue? On peut toujours poser la question au public. En 2004, le Consortium de recherche sur les médias, qui regroupait quelques universités canadiennes ainsi que le Centre d'études sur les médias de l'Université Laval, réalisait un sondage auprès de 3000 personnes.
Les chercheurs avaient demandé aux Canadiens s'ils voyaient du sensationnalisme dans les nouvelles, «c'est-à-dire des exagérations ou une insistance sur l'émotion pour attirer l'attention ou pour appuyer un argument».
Réponse stupéfiante: 92 % des Canadiens avaient indiqué qu'il y avait du sensationnalisme. Et 63 % des répondants avaient indiqué que cela minait leur confiance dans l'information.
Et parmi tous les Canadiens, les Québécois étaient les plus nombreux à voir du sensationnalisme. Mais ils étaient aussi les moins nombreux à affirmer que leur confiance s'en trouvait diminuée. Est-ce parce qu'ils sont plus habitués?
pcauchon@ledevoir.com
http://www.ledevoir.com/2007/09/10/156223.html
Et vous qu'en pensez-vs? --Message edité par tuberale le 2007-09-10 10:02:58--