Publié : mer. juil. 18, 2007 5:42 am
Le mercredi 18 juillet 2007
Moi, Jenny, 13 ans, danseuse
Jenny a été danseuse dans des bars pendant plus de six mois alors qu’elle n’avait que 13 ans. À 15 ans maintenant, elle se demande comment redevenir une ado. (Photo André Pichette, La Presse)
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Jenny a été danseuse dans des bars pendant plus de six mois alors qu’elle n’avait que 13 ans. À 15 ans maintenant, elle se demande comment redevenir une ado.
Photo André Pichette, La Presse
Hugo Meunier
La Presse
Les cheveux soigneusement coiffés, un pantalon moulant et un chemisier en dentelle noire, Jenny s’assoit sur une banquette d’un restaurant de Laval. Elle ressemble à une adolescente comme tant d’autres.
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Mais peu de jeunes filles ont le même vécu. Danseuse nue à 13 ans, escorte à 14, Jenny pouvait gagner 1000$ par jour et emprunter 20$ le lendemain. «L’argent me brûlait les doigts», raconte l’adolescente.
Confinée dans un centre de réadaptation lavallois après avoir été arrêtée dans l’isoloir d’un bar d’effeuilleuses de Montréal il y a un an, Jenny ne peut sortir sans son avocat.
Avant l’entrevue, l’adolescente, âgée maintenant de 15 ans, demande à son père d’aller s’asseoir quelques tables plus loin.
Jenny se racle la gorge, sirote son orangeade et commence son récit.
À 11 ans, elle écumait les bars de Pointe-Saint-Charles avec sa mère alcoolique qui lui permettait de finir ses verres. «Je me saoulais et fumais des joints avec elle. À la maison, je détachais sa ceinture pendant qu’elle vomissait», se rappelle Jenny, le visage impassible.
À 12 ans, elle ne va pas à l’école, mais fréquente des gangs de rue et des vendeurs de crack. Elle est déjà active sexuellement.
Elle fait une overdose à 13 ans après avoir ingurgité un cocktail de mescaline, GHB, acide, coke et speed mélangés à de l’alcool.
Après la séparation de ses parents, Jenny est trimballée dans les centres jeunesse. Elle y fait la connaissance d’une fille qui lui raconte avoir été danseuse nue durant sa fugue. Attirée par ce «moyen facile et rapide» de faire de l’argent, Jenny emprunte la carte avec photo embrouillée d’une amie de 19 ans et fuit le centre jeunesse.
Le jour même, elle frappe à la porte d’un bar de la rue Saint-Denis. «Ils m’ont demandé mon nom de danseuse et m’ont dit de donner mes musiques aux DJ», résume l’adolescente. «J’étais pas à jeun, j’avais pris du speed. J’avais 13 ans, mon corps n’était pas développé mais j’avais quand même l’air d’une fille de 15-16 ans.»
Tomber du ciel
Son premier quart de travail se révèle peu lucratif. Elle accepte donc de suivre trois touristes asiatiques dans un hôtel. «Pour 300$, j’ai passé deux heures avec eux. J’ai eu des relations complètes avec les trois, un à la fois.»
Dès le lendemain, Jenny voit une rubrique dans le journal. «Cherche danseuse. Très payant», indique l’annonce d’un bar près de Saint-Jérôme. En fugue, elle avait tout à gagner à s’éloigner de Montréal. À son arrivée, personne n’exige de voir ses pièces d’identité. «Le patron était content de voir débarquer une belle fille de Montréal qui sait danser», souligne Jenny.
Il refusait que les danseuses fassent des extras – «de la gaffe», dans le jargon du milieu – , mais Jenny y tenait mordicus. Le travail devient ainsi vraiment payant. Le patron cède et, le soir même, Jenny reçoit des propositions d’un homme dans la trentaine. «On est partis sur la route. Dans son char, je lui ai fait un complet (fellation, masturbation, pénétration) pour 100$», explique-t-elle.
Encore munie de sa fausse carte, Jenny se fait ensuite embaucher dans un bar de Laval, le Showgirl, où elle passera six mois. «Quand je suis arrivée, il n’y avait qu’une danseuse sur place. Je tombais du ciel», se souvient-elle.
Elle venait d’avoir 14 ans. Comme le bar est straight, les extras sont interdits. Jenny utilise donc des stratagèmes pour s’enrichir davantage. «J’avais un client qui me ramenait chez lui deux ou trois fois par semaine après le travail. Pour 600$ la nuit, je couchais avec lui deux fois et il me laissait ensuite dormir.»
Les six plus beaux mois de sa vie
Elle propose plus tard ses services dans un bar de Fabreville. Là, l’argent coule à flots, dit-elle. «Je pouvais faire 700$ les journées où c’était pas payant et 1500$ les bons jours.» Jenny raconte avoir multiplié les extras dans les isoloirs. Seule obligation: le préservatif. L’adolescente côtoie régulièrement des désaxés, des pervers. «L’un d’eux avait un fantasme weird: il voulait éjaculer dans mes souliers talons aiguilles. J’ai refusé et il est devenu agressif, au point que le portier a dû l’évincer.»
Au bout de deux mois, Jenny est congédiée. Sa consommation de cocaïne était devenue problématique. «Je m’endormais dans les loges tellement j’étais fatiguée.»
Elle retourne au Showgirl un peu à reculons. «J’étais tannée des bars straight, je voulais faire de la gaffe.» Parallèlement à son emploi de danseuse nue, Jenny est escorte pour deux agences montréalaises. «J’étais devenue accro à l’argent. Je travaillais sept jours et je pouvais dépenser 1000$ en une journée.»
À 180$ l’heure, elle fait des affaires d’or, surtout avec la clientèle d’affaires et les touristes. «On vient te chercher en auto pour t’amener dans les plus beaux hôtels. Je pouvais faire huit ou neuf clients pas jour», calcule-t-elle. Au même moment, elle se fait embaucher au cabaret Les Amazones, rue Saint-Jacques.
Son premier quart de travail a été son dernier. «J’ai une valise dans laquelle il y a tous mes costumes. Je m’aperçois que je n’ai pas de sous-vêtements et la machine distributrice de strings ne fonctionne pas», raconte Jenny.
L’adolescente appelle sa mère, alors serveuse au restaurant voisin. «Je lui ai demandé de m’apporter des culottes, mais elle a plutôt appelé la police», dit Jenny, qui lui en veut encore. La police a fait irruption au moment où elle dansait dans un isoloir.
L’adolescente est finalement conduite au poste, puis au centre de réadaptation de Laval. C’était en octobre dernier. Elle restera incarcérée jusqu’en septembre.
Aujourd’hui, Jenny n’a plus ses cheveux platine ni le visage ravagé par la drogue. Mais, malgré des projets de retour à l’école, elle se sait fragile. «Je viens d’un environnement où il y a plein de filles comme moi. Je connais juste ça», confie-t-elle. «Il faut que j’essaie de redevenir une fille de 15 ans. C’est pas évident, je ne retournerai pas jouer à la Barbie.»
Elle avoue qu’elle aurait sans doute poursuivi ses activités si la police ne l’avait pas arrêtée. «C’est con, mais ça a été les plus beaux six mois de ma vie, parce que j’étais gelée sans arrêt.» --Message edité par Earendil le 2007-07-18 11:43:14--
Moi, Jenny, 13 ans, danseuse
Jenny a été danseuse dans des bars pendant plus de six mois alors qu’elle n’avait que 13 ans. À 15 ans maintenant, elle se demande comment redevenir une ado. (Photo André Pichette, La Presse)
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Jenny a été danseuse dans des bars pendant plus de six mois alors qu’elle n’avait que 13 ans. À 15 ans maintenant, elle se demande comment redevenir une ado.
Photo André Pichette, La Presse
Hugo Meunier
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Les cheveux soigneusement coiffés, un pantalon moulant et un chemisier en dentelle noire, Jenny s’assoit sur une banquette d’un restaurant de Laval. Elle ressemble à une adolescente comme tant d’autres.
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Mais peu de jeunes filles ont le même vécu. Danseuse nue à 13 ans, escorte à 14, Jenny pouvait gagner 1000$ par jour et emprunter 20$ le lendemain. «L’argent me brûlait les doigts», raconte l’adolescente.
Confinée dans un centre de réadaptation lavallois après avoir été arrêtée dans l’isoloir d’un bar d’effeuilleuses de Montréal il y a un an, Jenny ne peut sortir sans son avocat.
Avant l’entrevue, l’adolescente, âgée maintenant de 15 ans, demande à son père d’aller s’asseoir quelques tables plus loin.
Jenny se racle la gorge, sirote son orangeade et commence son récit.
À 11 ans, elle écumait les bars de Pointe-Saint-Charles avec sa mère alcoolique qui lui permettait de finir ses verres. «Je me saoulais et fumais des joints avec elle. À la maison, je détachais sa ceinture pendant qu’elle vomissait», se rappelle Jenny, le visage impassible.
À 12 ans, elle ne va pas à l’école, mais fréquente des gangs de rue et des vendeurs de crack. Elle est déjà active sexuellement.
Elle fait une overdose à 13 ans après avoir ingurgité un cocktail de mescaline, GHB, acide, coke et speed mélangés à de l’alcool.
Après la séparation de ses parents, Jenny est trimballée dans les centres jeunesse. Elle y fait la connaissance d’une fille qui lui raconte avoir été danseuse nue durant sa fugue. Attirée par ce «moyen facile et rapide» de faire de l’argent, Jenny emprunte la carte avec photo embrouillée d’une amie de 19 ans et fuit le centre jeunesse.
Le jour même, elle frappe à la porte d’un bar de la rue Saint-Denis. «Ils m’ont demandé mon nom de danseuse et m’ont dit de donner mes musiques aux DJ», résume l’adolescente. «J’étais pas à jeun, j’avais pris du speed. J’avais 13 ans, mon corps n’était pas développé mais j’avais quand même l’air d’une fille de 15-16 ans.»
Tomber du ciel
Son premier quart de travail se révèle peu lucratif. Elle accepte donc de suivre trois touristes asiatiques dans un hôtel. «Pour 300$, j’ai passé deux heures avec eux. J’ai eu des relations complètes avec les trois, un à la fois.»
Dès le lendemain, Jenny voit une rubrique dans le journal. «Cherche danseuse. Très payant», indique l’annonce d’un bar près de Saint-Jérôme. En fugue, elle avait tout à gagner à s’éloigner de Montréal. À son arrivée, personne n’exige de voir ses pièces d’identité. «Le patron était content de voir débarquer une belle fille de Montréal qui sait danser», souligne Jenny.
Il refusait que les danseuses fassent des extras – «de la gaffe», dans le jargon du milieu – , mais Jenny y tenait mordicus. Le travail devient ainsi vraiment payant. Le patron cède et, le soir même, Jenny reçoit des propositions d’un homme dans la trentaine. «On est partis sur la route. Dans son char, je lui ai fait un complet (fellation, masturbation, pénétration) pour 100$», explique-t-elle.
Encore munie de sa fausse carte, Jenny se fait ensuite embaucher dans un bar de Laval, le Showgirl, où elle passera six mois. «Quand je suis arrivée, il n’y avait qu’une danseuse sur place. Je tombais du ciel», se souvient-elle.
Elle venait d’avoir 14 ans. Comme le bar est straight, les extras sont interdits. Jenny utilise donc des stratagèmes pour s’enrichir davantage. «J’avais un client qui me ramenait chez lui deux ou trois fois par semaine après le travail. Pour 600$ la nuit, je couchais avec lui deux fois et il me laissait ensuite dormir.»
Les six plus beaux mois de sa vie
Elle propose plus tard ses services dans un bar de Fabreville. Là, l’argent coule à flots, dit-elle. «Je pouvais faire 700$ les journées où c’était pas payant et 1500$ les bons jours.» Jenny raconte avoir multiplié les extras dans les isoloirs. Seule obligation: le préservatif. L’adolescente côtoie régulièrement des désaxés, des pervers. «L’un d’eux avait un fantasme weird: il voulait éjaculer dans mes souliers talons aiguilles. J’ai refusé et il est devenu agressif, au point que le portier a dû l’évincer.»
Au bout de deux mois, Jenny est congédiée. Sa consommation de cocaïne était devenue problématique. «Je m’endormais dans les loges tellement j’étais fatiguée.»
Elle retourne au Showgirl un peu à reculons. «J’étais tannée des bars straight, je voulais faire de la gaffe.» Parallèlement à son emploi de danseuse nue, Jenny est escorte pour deux agences montréalaises. «J’étais devenue accro à l’argent. Je travaillais sept jours et je pouvais dépenser 1000$ en une journée.»
À 180$ l’heure, elle fait des affaires d’or, surtout avec la clientèle d’affaires et les touristes. «On vient te chercher en auto pour t’amener dans les plus beaux hôtels. Je pouvais faire huit ou neuf clients pas jour», calcule-t-elle. Au même moment, elle se fait embaucher au cabaret Les Amazones, rue Saint-Jacques.
Son premier quart de travail a été son dernier. «J’ai une valise dans laquelle il y a tous mes costumes. Je m’aperçois que je n’ai pas de sous-vêtements et la machine distributrice de strings ne fonctionne pas», raconte Jenny.
L’adolescente appelle sa mère, alors serveuse au restaurant voisin. «Je lui ai demandé de m’apporter des culottes, mais elle a plutôt appelé la police», dit Jenny, qui lui en veut encore. La police a fait irruption au moment où elle dansait dans un isoloir.
L’adolescente est finalement conduite au poste, puis au centre de réadaptation de Laval. C’était en octobre dernier. Elle restera incarcérée jusqu’en septembre.
Aujourd’hui, Jenny n’a plus ses cheveux platine ni le visage ravagé par la drogue. Mais, malgré des projets de retour à l’école, elle se sait fragile. «Je viens d’un environnement où il y a plein de filles comme moi. Je connais juste ça», confie-t-elle. «Il faut que j’essaie de redevenir une fille de 15 ans. C’est pas évident, je ne retournerai pas jouer à la Barbie.»
Elle avoue qu’elle aurait sans doute poursuivi ses activités si la police ne l’avait pas arrêtée. «C’est con, mais ça a été les plus beaux six mois de ma vie, parce que j’étais gelée sans arrêt.» --Message edité par Earendil le 2007-07-18 11:43:14--