Publié : mer. mai 23, 2007 1:34 am
La promotion automatique: un échec
Marie Allard
La Presse
Le redoublement est officiellement interdit - sauf exception - depuis l'implantation de la réforme scolaire en 2000. Malgré leurs échecs, les élèves passent à la classe suivante, avec une aide jugée insuffisante par les enseignants, les parents et les spécialistes. Plusieurs traînent leurs difficultés jusqu'au secondaire, où l'on constate les tristes effets de la promotion automatique.
Seuls 2,7% des élèves de 1re année du primaire ont déjà redoublé. C'est trois fois moins qu'il y a 10 ans. Ce qui explique ce progrès phénoménal? Le redoublement est interdit - sauf exception - depuis l'implantation de la réforme scolaire, en 2000.
Faire redoubler un élève en difficulté est officiellement toléré une seule fois en cours de primaire, à la fin de la 2e, de la 4e ou de la 6e année. On parle alors de «prolongation de cycle», jamais de redoublement. Même s'ils sont en échec, les autres élèves passent à la classe suivante, en espérant qu'ils rattraperont leur retard. Faute de soutien suffisant, plusieurs voient plutôt leurs problèmes s'aggraver.
Dans une classe de 5e année de Lanaudière, à peine neuf élèves sur 25 arrivent à suivre, cette année. Deux élèves handicapés, intégrés dans le groupe en raison de leur âge, sont de niveau de 2e année. Quant aux 14 autres, ils devraient être en 3e ou en 4e année, mais n'ont pas redoublé. «Chaque matin, leur enseignante a un dilemme: elle se demande sur qui mettre l'emphase, sachant que les autres vont décrocher pendant ce temps-là», indique François Breault, président du Syndicat de l'enseignement du Lanaudière, qui compte 2200 profs.
Ce cas est loin d'être unique. «De moins en moins d'élèves sont prolongés, mais c'est une progression artificielle, confirme un directeur général adjoint de commission scolaire ayant requis l'anonymat. Ce n'est pas parce qu'on a de meilleures mesures pour aider les élèves en difficulté, c'est parce qu'on pousse le non-redoublement. On voit maintenant le résultat au secondaire: on est obligés de mettre de plus en plus de mesures d'appui pour aider les jeunes qui arrivent avec des déficits au niveau de leurs apprentissages. On a fait du gros pelletage en avant.» Depuis l'an dernier, le redoublement est aussi interdit en 1re secondaire, réforme oblige.
Même les parents - traditionnellement peu enclins à voir leurs enfants redoubler - constatent les dégâts de la promotion automatique. La fille de 13 ans d'Hélène Gravel a peiné pendant tout son primaire, sans jamais redoubler. Elle est passée au secondaire cette année, contre l'avis de sa mère. Elle a été placée en «cheminement temporaire» avec d'autres jeunes en difficulté. Ses notes sont toujours faibles et son estime d'elle-même dégringole.
«Dans la vie, on avance selon nos capacités, on a tous un rythme différent, fait valoir Mme Gravel. Mais maintenant, bon ou moins bon, vite ou plus lent, tu passes au secondaire, point. Après, tu rushes, quand tu n'abandonnes pas tout simplement.» Il faut permettre aux enfants «de reprendre une année quand il n'ont pas pu assimiler la matière», tout en leur offrant davantage de services spécialisés, plaide-t-elle.
Le redoublement peu efficace
Si le ministère de l'Éducation a voulu abolir le redoublement, c'est parce qu'une multitude d'études prouvent qu'il est mauvais pour l'estime de soi et que ses bénéfices sur les apprentissages sont limités à un an ou deux, voire inexistants. «Si on fait uniquement un duplicata bête, par exemple en faisant reprendre une 2e année sans rien changer, la plus-value du redoublement est mince», confirme Égide Royer, professeur en adaptation scolaire à l'Université Laval. Un principe demeure toutefois, selon lui: certains ont besoin de plus de temps que d'autres pour apprendre, que ce soit à lire, à piloter un avion ou à danser le baladi.
«On a eu raison de constater que la pratique antérieure de redoublement n'était pas efficace, mais la promotion automatique dans le même esprit ne l'est pas davantage, analyse André Chartrand, un cadre d'une école privée qui tient un blogue consacré à l'éducation. Il faut des mesures d'appui pour aider les élèves en difficulté, qui pourront alors continuer avec leur groupe d'âge. Mais la tendance actuelle, c'est de tenir pour acquis que les enseignants feront d'eux-mêmes la remédiation nécessaire et ils n'y arrivent pas.»
De 350 à 500 millions par an
Dans les années 90, le coût annuel du redoublement était estimé à de 350 à 500 millions par an par le Ministère. «On nous promettait que ces sommes allaient être réinvesties pour apporter du support et de l'aide aux jeunes qu'on ne fait plus redoubler, mais je n'ai rien vu d'important, dit Égide Royer. Le filet est vraiment mince, les orthophonistes suivent souvent de 65 à 70 enfants par semaine. Ça fait que l'intervention est tellement peu puissante qu'elle a peu d'impact.»
Environ 180 millions ont été consacrés à l'aide aux élèves en difficulté dans le cadre de la politique Agir tôt, sans compter les 90 millions supplémentaires annoncés l'an dernier, fait valoir François Lefebvre, agent d'information au Ministère. «Comment prétendre à une économie de 500 millions par année depuis 2000? demande-t-il. Il aurait fallu faire disparaître de façon instantanée environ 100 000 enfants de nos réseaux!»
Outre l'argent, l'organisation des services fait peut-être défaut. Bien des redoublements pourraient être évités en diagnostiquant rapidement les petits qui ont du mal à apprendre à lire, selon M. Royer. Dès novembre ou décembre de chaque année, «il faut leur offrir en priorité une intervention sur mesure» pour qu'ils démêlent sons, lettres et mots. «Rendus au mois de mai, c'est possible qu'il y en ait encore un ou deux qui traînent vraiment la patte, mais les autres s'en seront tirés», dit-il.
Redoublement au primaire en 2004-2005
Année scolaire / Taux d'élèves ayant déjà redoublé / Variation par rapport à 1993-1994
1re année / 2,7% / - 5,9%
2e année / 9,1% / - 3,4%
3e année / 7,5% / - 8,4%
4e année / 10,5% / - 7,4%
5e année / 10,5% / - 9,7%
6e année / 13,3% / - 8,3%
TOTAL
9,1% des élèves du primaire ont déjà redoublé
-16,2% des élèves du primaire avaient déjà redoublé en 1993-1994
Source: Proportion des élèves en retard par rapport à l'âge attendu, Indicateurs de l'éducation 2006, ministère de l'Éducation.
Redoublement en 1re secondaire
Proportion d'élèves qui redoublaient la 1re secondaire en 2004-2005: 13,8%
Proportion d'élèves qui redoublent la 1re secondaire cette année: 0% (officiellement)
Source: Le redoublement au secondaire général, Indicateurs de l'éducation 2006, ministère de l'Éducation.
Note: depuis l'introduction de la réforme au secondaire, le Ministère ne calcule plus le taux de redoublement en 1re secondaire.
Marie Allard
La Presse
Le redoublement est officiellement interdit - sauf exception - depuis l'implantation de la réforme scolaire en 2000. Malgré leurs échecs, les élèves passent à la classe suivante, avec une aide jugée insuffisante par les enseignants, les parents et les spécialistes. Plusieurs traînent leurs difficultés jusqu'au secondaire, où l'on constate les tristes effets de la promotion automatique.
Seuls 2,7% des élèves de 1re année du primaire ont déjà redoublé. C'est trois fois moins qu'il y a 10 ans. Ce qui explique ce progrès phénoménal? Le redoublement est interdit - sauf exception - depuis l'implantation de la réforme scolaire, en 2000.
Faire redoubler un élève en difficulté est officiellement toléré une seule fois en cours de primaire, à la fin de la 2e, de la 4e ou de la 6e année. On parle alors de «prolongation de cycle», jamais de redoublement. Même s'ils sont en échec, les autres élèves passent à la classe suivante, en espérant qu'ils rattraperont leur retard. Faute de soutien suffisant, plusieurs voient plutôt leurs problèmes s'aggraver.
Dans une classe de 5e année de Lanaudière, à peine neuf élèves sur 25 arrivent à suivre, cette année. Deux élèves handicapés, intégrés dans le groupe en raison de leur âge, sont de niveau de 2e année. Quant aux 14 autres, ils devraient être en 3e ou en 4e année, mais n'ont pas redoublé. «Chaque matin, leur enseignante a un dilemme: elle se demande sur qui mettre l'emphase, sachant que les autres vont décrocher pendant ce temps-là», indique François Breault, président du Syndicat de l'enseignement du Lanaudière, qui compte 2200 profs.
Ce cas est loin d'être unique. «De moins en moins d'élèves sont prolongés, mais c'est une progression artificielle, confirme un directeur général adjoint de commission scolaire ayant requis l'anonymat. Ce n'est pas parce qu'on a de meilleures mesures pour aider les élèves en difficulté, c'est parce qu'on pousse le non-redoublement. On voit maintenant le résultat au secondaire: on est obligés de mettre de plus en plus de mesures d'appui pour aider les jeunes qui arrivent avec des déficits au niveau de leurs apprentissages. On a fait du gros pelletage en avant.» Depuis l'an dernier, le redoublement est aussi interdit en 1re secondaire, réforme oblige.
Même les parents - traditionnellement peu enclins à voir leurs enfants redoubler - constatent les dégâts de la promotion automatique. La fille de 13 ans d'Hélène Gravel a peiné pendant tout son primaire, sans jamais redoubler. Elle est passée au secondaire cette année, contre l'avis de sa mère. Elle a été placée en «cheminement temporaire» avec d'autres jeunes en difficulté. Ses notes sont toujours faibles et son estime d'elle-même dégringole.
«Dans la vie, on avance selon nos capacités, on a tous un rythme différent, fait valoir Mme Gravel. Mais maintenant, bon ou moins bon, vite ou plus lent, tu passes au secondaire, point. Après, tu rushes, quand tu n'abandonnes pas tout simplement.» Il faut permettre aux enfants «de reprendre une année quand il n'ont pas pu assimiler la matière», tout en leur offrant davantage de services spécialisés, plaide-t-elle.
Le redoublement peu efficace
Si le ministère de l'Éducation a voulu abolir le redoublement, c'est parce qu'une multitude d'études prouvent qu'il est mauvais pour l'estime de soi et que ses bénéfices sur les apprentissages sont limités à un an ou deux, voire inexistants. «Si on fait uniquement un duplicata bête, par exemple en faisant reprendre une 2e année sans rien changer, la plus-value du redoublement est mince», confirme Égide Royer, professeur en adaptation scolaire à l'Université Laval. Un principe demeure toutefois, selon lui: certains ont besoin de plus de temps que d'autres pour apprendre, que ce soit à lire, à piloter un avion ou à danser le baladi.
«On a eu raison de constater que la pratique antérieure de redoublement n'était pas efficace, mais la promotion automatique dans le même esprit ne l'est pas davantage, analyse André Chartrand, un cadre d'une école privée qui tient un blogue consacré à l'éducation. Il faut des mesures d'appui pour aider les élèves en difficulté, qui pourront alors continuer avec leur groupe d'âge. Mais la tendance actuelle, c'est de tenir pour acquis que les enseignants feront d'eux-mêmes la remédiation nécessaire et ils n'y arrivent pas.»
De 350 à 500 millions par an
Dans les années 90, le coût annuel du redoublement était estimé à de 350 à 500 millions par an par le Ministère. «On nous promettait que ces sommes allaient être réinvesties pour apporter du support et de l'aide aux jeunes qu'on ne fait plus redoubler, mais je n'ai rien vu d'important, dit Égide Royer. Le filet est vraiment mince, les orthophonistes suivent souvent de 65 à 70 enfants par semaine. Ça fait que l'intervention est tellement peu puissante qu'elle a peu d'impact.»
Environ 180 millions ont été consacrés à l'aide aux élèves en difficulté dans le cadre de la politique Agir tôt, sans compter les 90 millions supplémentaires annoncés l'an dernier, fait valoir François Lefebvre, agent d'information au Ministère. «Comment prétendre à une économie de 500 millions par année depuis 2000? demande-t-il. Il aurait fallu faire disparaître de façon instantanée environ 100 000 enfants de nos réseaux!»
Outre l'argent, l'organisation des services fait peut-être défaut. Bien des redoublements pourraient être évités en diagnostiquant rapidement les petits qui ont du mal à apprendre à lire, selon M. Royer. Dès novembre ou décembre de chaque année, «il faut leur offrir en priorité une intervention sur mesure» pour qu'ils démêlent sons, lettres et mots. «Rendus au mois de mai, c'est possible qu'il y en ait encore un ou deux qui traînent vraiment la patte, mais les autres s'en seront tirés», dit-il.
Redoublement au primaire en 2004-2005
Année scolaire / Taux d'élèves ayant déjà redoublé / Variation par rapport à 1993-1994
1re année / 2,7% / - 5,9%
2e année / 9,1% / - 3,4%
3e année / 7,5% / - 8,4%
4e année / 10,5% / - 7,4%
5e année / 10,5% / - 9,7%
6e année / 13,3% / - 8,3%
TOTAL
9,1% des élèves du primaire ont déjà redoublé
-16,2% des élèves du primaire avaient déjà redoublé en 1993-1994
Source: Proportion des élèves en retard par rapport à l'âge attendu, Indicateurs de l'éducation 2006, ministère de l'Éducation.
Redoublement en 1re secondaire
Proportion d'élèves qui redoublaient la 1re secondaire en 2004-2005: 13,8%
Proportion d'élèves qui redoublent la 1re secondaire cette année: 0% (officiellement)
Source: Le redoublement au secondaire général, Indicateurs de l'éducation 2006, ministère de l'Éducation.
Note: depuis l'introduction de la réforme au secondaire, le Ministère ne calcule plus le taux de redoublement en 1re secondaire.