Publié : sam. janv. 06, 2007 5:22 am
Réflexions sur la pratique journalistique
La qualité de l'information produite par les grands médias ne fera jamais consensus, autant chez les spécia-listes que chez les consomma-teurs. Au mieux s'entend-on pour noter que la quantité des infor-mations s'est accrue de manière exponentielle depuis l'apparition des chaînes d'information conti-nue, ce qui ne signifie pas que nous sommes mieux informés.
Durant les dernières semaines, j'ai été frappé par certains dysfonctionnements de l'information, tant dans le traitement que dans le choix éditorial. Voici quelques exemples qui me paraissent significatifs.
Jeudi soir, la présentatrice d'un journal télévisé interroge le nouveau ministre de l'Environnement, John Baird. Elle lui demande s'il entend se rapprocher du protocole de Kyoto. Le nouveau ministre manie la langue de bois avec aisance et ne répond absolument pas à la question. Sans sourciller, la journaliste passe à la question suivante comme si nous avions obtenu une réponse. En d'autres temps, Louis Martin ou Pierre Nadeau auraient fermement et poliment répété la question en rappelant au ministre qu'il n'y avait pas répondu. Dans un article de journal, le journaliste aurait écrit: «Le ministre a refusé de dire si son gouvernement se rapprocherait du protocole de Kyoto.» Il faut bien l'avouer, la télévision est devenue un lieu de non-dit politique. Paralysée par son respect des rôles, étriquée par une sorte de rectitude politique, elle se transforme de plus en plus en simple courroie de transmission pour les professionnels de la communication qui organisent le discours politique.
La télévision est aussi passée maître dans l'art de grossir l'événement anodin ou dans la fabrication de la crise. Qui se souvient de l'imminence de l'épidémie de grippe aviaire, qui a poussé notre gouvernement à enfermer les poulets bios? Voilà une panique, dont j'ai déjà parlé, qui fut entièrement provoquée par l'absence de jugement éditorial et l'emballement ridicule que provoque dans les salles de rédaction l'odeur de la catastrophe annoncée. Parfois, c'est la télévision elle-même qui se transforme en événement. Ainsi, dans le quotidien de la rue Saint-Jacques, l'émission Tout le monde en parle devient chaque lundi matin un événement dûment résumé, analysé et jugé, comme si le fait qu'Henri Salvador soit drôle et que Guy A. ait été moins mordant que d'habitude constitue une nouvelle digne d'être imprimée.
***
Durant les deux dernières semaines, le Québec tout entier, sauf heureusement les lecteurs du Devoir, a pu satisfaire son voyeurisme et sa passion pour le fait divers en suivant minute par minute la triste histoire de Myriam Bédard. Deux semaines de couverture «mur à mur» à la télé et dans les quotidiens populaires. On a consacré à ce fait divers plutôt anodin plus d'espace et plus de temps qu'à l'exécution de Saddam Hussein et à ses conséquences. Nous entrons ici dans une sorte de démesure que rien n'explique, même pas la notoriété de la championne olympique. Rappelons que, selon le ministère de la Justice canadien, il y a eu en 2002 (derniers chiffres disponibles) 429 véritables cas d'enlèvement d'enfant par un parent. Il est bien rare que ces enlèvements fassent l'objet de nouvelles, encore moins d'une couverture en direct d'envoyés spéciaux, d'entrevues avec des juristes experts. Je souligne le terme «véritable» parce que, généralement, le parent coupable se cache, tente de brouiller les pistes, ce qui n'est évidemment pas le cas dans cette histoire. Mais voilà une héroïne déchue, un conjoint mystérieux, une belle femme qui semble émotionnellement instable. Une belle prise pour les carnassiers de l'info-spectacle. Dans ce genre de démarche, toute forme de réflexion et de prudence s'estompe. Toutes les rumeurs sont relayées sans vérification préalable. Ainsi, durant quelques jours, on a raconté que la jeune fille de Mme Bédard avait entamé une grève de la faim. Un animateur célèbre a laissé entendre que le peu d'empressement apparent des autorités canadiennes à rapatrier la prisonnière pourrait être une vengeance du gouvernement fédéral, que Mme Bédard a déjà accusé de se livrer à du «terrorisme bureaucratique». Rien ne justifiait une telle débauche d'«information». Nulle violence, nulle menace, tout simplement la pathétique histoire d'un conflit familial ordinaire, faite d'étourderie, de malentendus, de détresse psychologique. Un triste fait divers transformé en événement national.
***
Parfois, c'est le traitement même de la nouvelle qui nous empêche d'en saisir l'importance. Ainsi, une étude publiée récemment mesurait la capacité des Canadiens à lire et surtout à comprendre un texte publié dans les journaux. Étude scientifique, elle fut traitée comme telle dans la plupart des journaux, en page intérieure et avec un titre peu accrocheur. Pourtant, cette étude donnait la mesure accablante de la faillite de notre système scolaire: plus de 50 % des francophones sont incapables de comprendre le sens d'un article ordinaire publié dans un journal. Au moment où nos grands théoriciens de la pédagogie défendent de toutes leurs langues indéchiffrables les mérites de leur réforme, cette information passée inaperçue venait jeter une nouvelle pierre dans le jardin de leur autosatisfaction. Traitée d'une autre façon, elle aurait pu susciter l'indignation et le scandale, mais elle n'entraîna que de l'indifférence.
La qualité de l'information produite par les grands médias ne fera jamais consensus, autant chez les spécia-listes que chez les consomma-teurs. Au mieux s'entend-on pour noter que la quantité des infor-mations s'est accrue de manière exponentielle depuis l'apparition des chaînes d'information conti-nue, ce qui ne signifie pas que nous sommes mieux informés.
Durant les dernières semaines, j'ai été frappé par certains dysfonctionnements de l'information, tant dans le traitement que dans le choix éditorial. Voici quelques exemples qui me paraissent significatifs.
Jeudi soir, la présentatrice d'un journal télévisé interroge le nouveau ministre de l'Environnement, John Baird. Elle lui demande s'il entend se rapprocher du protocole de Kyoto. Le nouveau ministre manie la langue de bois avec aisance et ne répond absolument pas à la question. Sans sourciller, la journaliste passe à la question suivante comme si nous avions obtenu une réponse. En d'autres temps, Louis Martin ou Pierre Nadeau auraient fermement et poliment répété la question en rappelant au ministre qu'il n'y avait pas répondu. Dans un article de journal, le journaliste aurait écrit: «Le ministre a refusé de dire si son gouvernement se rapprocherait du protocole de Kyoto.» Il faut bien l'avouer, la télévision est devenue un lieu de non-dit politique. Paralysée par son respect des rôles, étriquée par une sorte de rectitude politique, elle se transforme de plus en plus en simple courroie de transmission pour les professionnels de la communication qui organisent le discours politique.
La télévision est aussi passée maître dans l'art de grossir l'événement anodin ou dans la fabrication de la crise. Qui se souvient de l'imminence de l'épidémie de grippe aviaire, qui a poussé notre gouvernement à enfermer les poulets bios? Voilà une panique, dont j'ai déjà parlé, qui fut entièrement provoquée par l'absence de jugement éditorial et l'emballement ridicule que provoque dans les salles de rédaction l'odeur de la catastrophe annoncée. Parfois, c'est la télévision elle-même qui se transforme en événement. Ainsi, dans le quotidien de la rue Saint-Jacques, l'émission Tout le monde en parle devient chaque lundi matin un événement dûment résumé, analysé et jugé, comme si le fait qu'Henri Salvador soit drôle et que Guy A. ait été moins mordant que d'habitude constitue une nouvelle digne d'être imprimée.
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Durant les deux dernières semaines, le Québec tout entier, sauf heureusement les lecteurs du Devoir, a pu satisfaire son voyeurisme et sa passion pour le fait divers en suivant minute par minute la triste histoire de Myriam Bédard. Deux semaines de couverture «mur à mur» à la télé et dans les quotidiens populaires. On a consacré à ce fait divers plutôt anodin plus d'espace et plus de temps qu'à l'exécution de Saddam Hussein et à ses conséquences. Nous entrons ici dans une sorte de démesure que rien n'explique, même pas la notoriété de la championne olympique. Rappelons que, selon le ministère de la Justice canadien, il y a eu en 2002 (derniers chiffres disponibles) 429 véritables cas d'enlèvement d'enfant par un parent. Il est bien rare que ces enlèvements fassent l'objet de nouvelles, encore moins d'une couverture en direct d'envoyés spéciaux, d'entrevues avec des juristes experts. Je souligne le terme «véritable» parce que, généralement, le parent coupable se cache, tente de brouiller les pistes, ce qui n'est évidemment pas le cas dans cette histoire. Mais voilà une héroïne déchue, un conjoint mystérieux, une belle femme qui semble émotionnellement instable. Une belle prise pour les carnassiers de l'info-spectacle. Dans ce genre de démarche, toute forme de réflexion et de prudence s'estompe. Toutes les rumeurs sont relayées sans vérification préalable. Ainsi, durant quelques jours, on a raconté que la jeune fille de Mme Bédard avait entamé une grève de la faim. Un animateur célèbre a laissé entendre que le peu d'empressement apparent des autorités canadiennes à rapatrier la prisonnière pourrait être une vengeance du gouvernement fédéral, que Mme Bédard a déjà accusé de se livrer à du «terrorisme bureaucratique». Rien ne justifiait une telle débauche d'«information». Nulle violence, nulle menace, tout simplement la pathétique histoire d'un conflit familial ordinaire, faite d'étourderie, de malentendus, de détresse psychologique. Un triste fait divers transformé en événement national.
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Parfois, c'est le traitement même de la nouvelle qui nous empêche d'en saisir l'importance. Ainsi, une étude publiée récemment mesurait la capacité des Canadiens à lire et surtout à comprendre un texte publié dans les journaux. Étude scientifique, elle fut traitée comme telle dans la plupart des journaux, en page intérieure et avec un titre peu accrocheur. Pourtant, cette étude donnait la mesure accablante de la faillite de notre système scolaire: plus de 50 % des francophones sont incapables de comprendre le sens d'un article ordinaire publié dans un journal. Au moment où nos grands théoriciens de la pédagogie défendent de toutes leurs langues indéchiffrables les mérites de leur réforme, cette information passée inaperçue venait jeter une nouvelle pierre dans le jardin de leur autosatisfaction. Traitée d'une autre façon, elle aurait pu susciter l'indignation et le scandale, mais elle n'entraîna que de l'indifférence.