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Publié : sam. nov. 18, 2006 5:29 am
par tuberale
PROCHES DE CRIMINELS VIOLENTS

Les victimes oubliées

Michèle Ouimet

La Presse


Dans la foulée du témoignage de la mère de Kimveer Gill, le tueur de Dawson, trois femmes racontent comment elles font face à la honte d'avoir un conjoint, un frère ou un fils criminel. La première a vécu son drame dans le secret, la deuxième dans la dépression. La troisième a décidé de ne pas se laisser abattre. Trois récits qui montrent que les criminels font plus de victimes qu'on ne croit.
Martine Loubier a d'abord vu l'image de son fils en gros plan à la télévision. Puis elle a entendu les mots : « Recherché pour meurtre.»

Son conjoint lui a lancé : « Tommy est un meurtrier!» Elle lui a crié : « Tais-toi!»
Martine Loubier s'est jetée sur le téléphone. Elle voulait parler à Tommy. À tout prix. Elle l'a retrouvé chez son père, où il s'était réfugié.

« Mon grand six pieds quatre de 200 livres pleurait comme un bébé, raconte-t-elle. J'ai retrouvé mon petit gars de 5 ans. Il paniquait et criait : «La police est partout!» J'ai essayé de le raisonner. Je lui ai dit : «Il faut que tu te rendes.» Il m'a répondu : «Oui, mais j'ai tellement peur!»

Martine Loubier enveloppe sa tasse de café dans ses larges mains et laisse tomber: « Ça faisait un an qu'on ne s'était pas parlé.»

Ses paroles résonnent dans la petite cuisine de Relais famille, organisme qui vient en aide aux proches des détenus. Autour de la table, tout le monde connaît son histoire : Marie, qui a vécu avec un violeur en série ; Louise, qui a un frère en prison depuis 32 ans ; Amélie et Pascale, qui travaillent à Relais famille, et Colette, bénévole de 72 ans, qui essuie la table à grands coups de torchon.

Ces femmes ont été touchées par le désarroi de la mère de Kimveer Gill, le tueur de Dawson, qui s'est retrouvée seule avec sa honte. Martine, Marie et Louise ont été bouleversées par son drame intérieur. Elles ont voulu, à leur tour, raconter leur histoire.

Même si la nouvelle l'a choquée, Martine Loubier n'a pas vraiment été étonnée. Depuis quelques années, Tommy Gagné glissait lentement sur la pente de la délinquance : la drogue, un amour immodéré de l'argent, l'envie de se payer rapidement une belle voiture, les mauvaises fréquentations... Puis tout a dérapé avec le meurtre brutal de Brigitte Serre, une jeune fille de 17 ans.

Dans la nuit du 25 janvier, Joël Nantais, Tommy Gagné et Sébastien Simon ont cambriolé une station-service de Saint-Léonard. Brigitte Serre y faisait son premier quart de travail. Seule. Le lendemain, la police a trouvé son corps dans l'arrière-boutique, marqué de plusieurs coups de couteau.

Les trois garçons avaient 19 ans. Sébastien Simon et Tommy Gagné ont été accusés de meurtre prémédité, le crime le plus grave du Code criminel.

Martine Loubier a refusé de s'écraser. « Au début, j'ai ressenti de la honte, mais je n'ai pas à me cacher. Je ne me laisse pas facilement abattre, j'ai toujours été fonceuse. Si je m'arrête, tout devient noir. Il faut que je reste positive. Je ressens de la peur, mais je peux passer par-dessus. Il faut que je bouge, sinon quelque chose va mourir en moi et je vais couler.»

Mme Loubier a une fille de 7 ans. Elle veut la préserver, l'armer. « Je n'ai pas envie qu'elle traîne ça toute sa vie», explique-t-elle.

Elle veut aussi se préparer pour la suite. Son fils va subir son enquête préliminaire en décembre. Il a plaidé non coupable. Suivra le procès, couvert au jour le jour par les journalistes. Au milieu de ce tourbillon, son fils, qui lui a confié qu'il avait «tellement peur».

«Je vais entrer au palais de justice la tête bien haute», affirme Martine Loubier.
Au début, elle voulait se battre seule, comme une « superwoman», mais elle s'est vite butée aux préjugés. Depuis janvier, elle a changé trois fois de travail.» Si j'oubliais quelque chose, ma superviseure me disait : «Il ne faut pas que tu amènes tes problèmes ici!»

Elle a surpris une conversation entre deux collègues qui l'a blessée. « Tu as des problèmes avec ton ado, a-t-elle entendu, va voir Martine. Elle connaît ça, les ados.»

Elle ne reçoit aucune aide du gouvernement, ni financière ni psychologique. Ces mères, amantes ou soeurs de criminels ne sont pas considérées comme des victimes. Elles n'ont droit à rien, même pas à la sympathie du public.

Après sept mois de combat solitaire, Martine Loubier a décidé de demander de l'aide à Relais famille, qui a établi son quartier général au deuxième étage d'un modeste duplex d'Hochelaga-Maisonneuve. Elle est restée 20 minutes sur le palier avant de trouver le courage de grimper les marches. Elle, la fonceuse qui n'a peur de rien.

Marie n'est pas fonceuse. Lorsqu'elle a appris que son conjoint était un violeur en série, elle s'est effondrée.

«Je l'ai aimé, ce gars-là, j'ai couché avec lui, raconte-t-elle dans un souffle. J'ai fait l'amour avec lui. Sans doute qu'il a violé des femmes pendant qu'il était avec moi. Ça m'a démolie.»

«Tout est fucké, je suis toute mêlée dans mes émotions. C'est dur de détester ces gens-là. Je suis frustrée, en colère, oui, mais le détester... Il était tellement beau.»

Marie pleure. Doucement. Sur sa vie qui fout le camp, son coeur en mille morceaux, sa honte d'avoir aimé un monstre, ses sentiments emmêlés.
En 2003, son prince charmant a été accusé de six agressions sexuelles avec violence et menaces de mort. Les crimes se sont échelonnés sur 12 ans. Il attrapait ses victimes dans la rue, les entraînait de force dans des endroits cachés et les violait brutalement sous la menace d'un couteau.

Marie en a mis, du temps, avant d'accepter la réalité. Au début, elle le visitait en prison. « Je ne voulais pas l'abandonner, il était seul «, dit-elle.
Lorsqu'elle s'est réveillée, elle a vécu un cauchemar. Noir. Elle a fait une dépression. « Tu veux mourir, tout s'effondre, confie-t-elle. Je n'ai jamais pris un coup de vieux pareil. J'ai des valises sous les yeux.»

Marie enlève ses lunettes et les dépose d'une main tremblante sur la table à côté de sa tasse de café. Elle pleure et cache ses yeux avec ses mains. Ses longs cheveux blonds encadrent son visage défait. Autour d'elle, c'est le silence. Puis, entre deux sanglots, elle reprend le fil de son histoire.

«C'est ma chum qui a vu sa photo à la une du Journal de Montréal. Elle l'a tout de suite reconnu. Elle s'est précipitée chez moi pour me l'annoncer. On ne savait plus où se garrocher. On s'est finalement ramassées au bureau des enquêteurs.»

Ses voisins l'ont harcelée. Ils ne voulaient pas vivre près de l'amie de coeur d'un violeur en série. Ils ont fini par avoir sa peau. Elle a été obligée de déménager.
Elle a tranquillement surnagé. Elle a repris son travail, délaissé les pilules et noué de solides amitiés à Relais famille, où personne ne l'a jugée.

Mais depuis quelque temps, le bulle noire de la dépression l'a rattrapée. Sa vie s'est de nouveau détraquée. Elle a quitté son travail et repris des antidépresseurs. Et sa santé s'est détériorée. Ses mains sont tellement crispées qu'elle n'arrive plus à travailler. Ce sont les nerfs, ont dit les médecins.

Louise n'a jamais parlé de son frère à son travail. C'est son secret. Un secret honteux qu'elle ne partage avec personne depuis 32 ans.

Son frère a fait la une des journaux. Il a un lourd passé criminel. Dès l'âge de 16 ans, il s'est retrouvé en prison pour vol. Son père a demandé au juge de l'envoyer purger sa peine chez les adultes pour lui donner une bonne leçon. Le frère s'est plutôt endurci.

En 1971, il s'est évadé. En 1972, la police l'a capturé et il est retourné en prison. En 1975, il a de nouveau réussi à s'enfuir mais, cette fois, l'affaire a tourné au drame. Il avait été conduit à l'hôpital pour subir des tests, escorté par deux gardes armés. Il est allé aux toilettes, a récupéré l'arme dissimulée dans le système de ventilation par un complice, ouvert brusquement la porte et tiré quatre coups de fusil sur les gardiens. Il en a tué un et a blessé grièvement le deuxième.

Louise a su que son frère s'était évadé en regardant les informations à la télévision. Elle connaissait le garde qui a été abattu. Elle le voyait souvent lorsqu'elle visitait son frère en prison. Il avait une femme et deux enfants. Un gars sympathique, pas un « chien». « Ça m'a fait mal», dit-elle.

L'histoire a fait la une des journaux. Le lendemain, la police a retrouvé le criminel. Il a été condamné à la pendaison pour le meurtre du gardien de prison, peine qui a été commuée en emprisonnement à perpétuité.

«C'était très difficile à vivre, raconte Louise. J'étais enceinte pendant le procès et l'avocat m'a demandé de pleurer pour attendrir le jury. Mais moi, j'avais appris à cacher mes sentiments et à porter un masque.»

«Ça fait 32 ans que je vis dans la honte», ajoute-t-elle.

Louise porte toujours son masque et elle ne voit pas le jour où elle va le laisser tomber.

Martine, Marie et Louise. Trois femmes, une tasse de café trop sucré à la main, assises autour d'une table dans une cuisine coquette avec ses murs vert pomme et ses fenêtres tendues de rideaux en dentelle blanche. Trois femmes avec leur peur et leur immense besoin de se confier.

«Il y a très peu d'hommes à Relais famille, explique la coordonnatrice, Pascale Boily. Lorsqu'une femme est incarcérée, elle est vite abandonnée par son conjoint.»

Martine, Marie et Louise veulent tendre la main à la mère de Kimveer Gill pour l'aider à recoller les morceaux de sa vie, qui a volé en éclats le jour où elle a su que son fils était un meurtrier. Elles veulent lui lancer un message : « Ne restez pas seule, venez nous voir, on a du bon café.»

Pour joindre notre journaliste : michele.ouimet@lapresse.ca

http://www.cyberpresse.ca/article/20061 ... ACTUALITES

Publié : sam. nov. 18, 2006 6:21 am
par rachel
ouffff  assez troublant merci ces histoires la  

Publié : sam. nov. 18, 2006 7:12 am
par formule
Ça, ce n'est pas drole pour eux.  Eux, ils n'ont pas choisi le crime, pourtant, ce sont les premiers qui en subissent les pires méchancetés de la société.

Personne n'est pas à l'abri de genre de situation.

Publié : sam. nov. 18, 2006 10:42 am
par liz
Merci pour cet article tres touchant...

J'espere que ces femmes réussiront a s'en sortir le mieux possible, et que leurs témoignages aideront la population a mieux comprendre ce qu'elles ont vécu, et a cesser de les juger sur les apparences...

Bon courage a tous ceux et celles qui traversent des épreuves similaires !!