Publié : dim. oct. 08, 2006 4:13 am
Le placard républicain
Richard Hétu
La Presse
Collaboration spéciale
New York
Pour certains gais, sortir du placard est une expérience traumatisante. Pour les républicains du Congrès américain, c'est une véritable catastrophe, qui survient au pire moment, soit un mois avant les élections parlementaires du 7 novembre.
La sortie du placard la plus fracassante est évidemment celle de Mark Foley. Âgé de 52 ans, l'élu de Floride a démissionné le 29 septembre, après la révélation de ses relations douteuses avec des adolescents à l'emploi de la Chambre des représentants, une des deux assemblées législatives du Congrès.
Trois jours après sa démission, Foley a reconnu être homosexuel, par la voix d'un avocat. Il a également affirmé, par la même voix, avoir été agressé, à l'adolescence, par un prêtre. Le politicien antipédophile n'a pu avouer ces choses-là en personne, se trouvant déjà en cure de désintoxication alcoolique.
De toute évidence, la vie dans le placard n'est pas bonne pour la santé. Ce qui surprend tout de même, c'est le nombre de républicains qui ont choisi de mener cette vie-là au Congrès. Comment le sait-on ? L'information fleure le maccarthysme, mais elle ne peut être ignorée dans le contexte actuel.
Il faut comprendre que la droite américaine, dominée aujourd'hui par les chrétiens évangéliques, a été soufflée par l'affaire Foley. Cela se comprend. À la tête d'une commission de la Chambre, Mark Foley menait le combat républicain contre l'exploitation des enfants.
Or, entre deux votes, Foley se masturbait en échangeant des messages dans Internet avec des adolescents travaillant ou ayant travaillé comme pages.
Élu à la Chambre en 1995, il a fait l'objet d'une plainte formelle en 2005 et suscité de nombreuses rumeurs au fil des ans. Mais l'état-major républicain n'a jamais sévi contre son membre. Pourquoi cette inaction de la part des dirigeants d'un parti voué à la défense des valeurs traditionnelles ?
Parce qu'un "réseau" de gais, entourant l'état-major républicain, a protégé Foley. Pardon ? Un "réseau" gai chez les républicains du Congrès ?
La chaîne CBS, ancien fleuron de l'information, a contribué à répandre ce mot et cette thèse en provenance de la droite. Dans un reportage diffusé le 4 octobre, la journaliste Gloria Borger a révélé l'existence d'une "liste" circulant ces jours-ci à Washington. La liste n'identifie pas des "communistes", comme celle du sénateur Joseph McCarthy dans les années 50, mais plutôt des gais travaillant comme conseillers auprès des républicains les plus puissants au Congrès.
La liste, selon les journalistes qui l'ont vue, identifie nommément neuf chefs de cabinet, deux attachés de presse et deux directeurs des communications. Parmi eux se trouvent des homosexuels à l'emploi du président de la Chambre des représentants, Dennis Hastert, et de deux autres gros bonnets républicains.
Ce sont ces gais, selon la thèse malicieuse de la droite, qui auraient caché à leur patron la vérité sur Mark Foley. Et la chaîne CBS a diffusé cette information sans la remettre en question. Par la voix d'Edward Murrow, le même réseau avait dénoncé les tactiques du sénateur McCarthy dans les années 50. Aujourd'hui, il participe à une chasse aux sorcières antigais, et Kathy Couric, la nouvelle chef d'antenne de CBS, ne sourcille même pas.
Mais la droite ne peut pas gagner ce combat-là. Dans l'affaire Foley, l'état-major républicain est coupable, au minimum, de négligence.
Au fil des ans, il a ignoré plusieurs signaux d'alerte. L'accusation la plus sérieuse, celle du camouflage, n'a pas encore été prouvée hors de tout doute, mais plusieurs électeurs ont déjà tiré cette conclusion : pour sauver le siège de Mark Foley, les républicains ont préféré fermer les yeux sur son comportement. Autrement dit, ils seraient plus préoccupés par le pouvoir que par la moralité.
Quel impact aura le scandale sur les chrétiens évangéliques ? En 2004, ils avaient voté en masse pour réélire George W. Bush et renforcer la majorité républicaine à la Chambre des représentants au Sénat. Les stratèges républicains, Karl Rove en tête, avaient réussi à les mobiliser en mettant de l'avant la question du mariage gai, une abomination aux yeux de plusieurs chrétiens évangéliques.
Or, ceux-ci découvrent aujourd'hui avec horreur les détails de l'affaire Foley, qui met en lumière l'hypocrisie de leurs élus à Washington. Ils s'aperçoivent aussi que ces mêmes élus formulent leur programme antigai avec l'aide d'homosexuels vivant encore dans le placard. N'est-ce pas un peu tordu, un peu pervers ?
Le 7 novembre, plusieurs chrétiens évangéliques choisiront peut-être de rester chez eux, pour exprimer leur colère à l'égard des républicains du Congrès. Ils en profiteront peut-être pour réexaminer leur propre attitude face à l'homosexualité.
© 2006 Le Soleil. Tous droits réservés.
Richard Hétu
La Presse
Collaboration spéciale
New York
Pour certains gais, sortir du placard est une expérience traumatisante. Pour les républicains du Congrès américain, c'est une véritable catastrophe, qui survient au pire moment, soit un mois avant les élections parlementaires du 7 novembre.
La sortie du placard la plus fracassante est évidemment celle de Mark Foley. Âgé de 52 ans, l'élu de Floride a démissionné le 29 septembre, après la révélation de ses relations douteuses avec des adolescents à l'emploi de la Chambre des représentants, une des deux assemblées législatives du Congrès.
Trois jours après sa démission, Foley a reconnu être homosexuel, par la voix d'un avocat. Il a également affirmé, par la même voix, avoir été agressé, à l'adolescence, par un prêtre. Le politicien antipédophile n'a pu avouer ces choses-là en personne, se trouvant déjà en cure de désintoxication alcoolique.
De toute évidence, la vie dans le placard n'est pas bonne pour la santé. Ce qui surprend tout de même, c'est le nombre de républicains qui ont choisi de mener cette vie-là au Congrès. Comment le sait-on ? L'information fleure le maccarthysme, mais elle ne peut être ignorée dans le contexte actuel.
Il faut comprendre que la droite américaine, dominée aujourd'hui par les chrétiens évangéliques, a été soufflée par l'affaire Foley. Cela se comprend. À la tête d'une commission de la Chambre, Mark Foley menait le combat républicain contre l'exploitation des enfants.
Or, entre deux votes, Foley se masturbait en échangeant des messages dans Internet avec des adolescents travaillant ou ayant travaillé comme pages.
Élu à la Chambre en 1995, il a fait l'objet d'une plainte formelle en 2005 et suscité de nombreuses rumeurs au fil des ans. Mais l'état-major républicain n'a jamais sévi contre son membre. Pourquoi cette inaction de la part des dirigeants d'un parti voué à la défense des valeurs traditionnelles ?
Parce qu'un "réseau" de gais, entourant l'état-major républicain, a protégé Foley. Pardon ? Un "réseau" gai chez les républicains du Congrès ?
La chaîne CBS, ancien fleuron de l'information, a contribué à répandre ce mot et cette thèse en provenance de la droite. Dans un reportage diffusé le 4 octobre, la journaliste Gloria Borger a révélé l'existence d'une "liste" circulant ces jours-ci à Washington. La liste n'identifie pas des "communistes", comme celle du sénateur Joseph McCarthy dans les années 50, mais plutôt des gais travaillant comme conseillers auprès des républicains les plus puissants au Congrès.
La liste, selon les journalistes qui l'ont vue, identifie nommément neuf chefs de cabinet, deux attachés de presse et deux directeurs des communications. Parmi eux se trouvent des homosexuels à l'emploi du président de la Chambre des représentants, Dennis Hastert, et de deux autres gros bonnets républicains.
Ce sont ces gais, selon la thèse malicieuse de la droite, qui auraient caché à leur patron la vérité sur Mark Foley. Et la chaîne CBS a diffusé cette information sans la remettre en question. Par la voix d'Edward Murrow, le même réseau avait dénoncé les tactiques du sénateur McCarthy dans les années 50. Aujourd'hui, il participe à une chasse aux sorcières antigais, et Kathy Couric, la nouvelle chef d'antenne de CBS, ne sourcille même pas.
Mais la droite ne peut pas gagner ce combat-là. Dans l'affaire Foley, l'état-major républicain est coupable, au minimum, de négligence.
Au fil des ans, il a ignoré plusieurs signaux d'alerte. L'accusation la plus sérieuse, celle du camouflage, n'a pas encore été prouvée hors de tout doute, mais plusieurs électeurs ont déjà tiré cette conclusion : pour sauver le siège de Mark Foley, les républicains ont préféré fermer les yeux sur son comportement. Autrement dit, ils seraient plus préoccupés par le pouvoir que par la moralité.
Quel impact aura le scandale sur les chrétiens évangéliques ? En 2004, ils avaient voté en masse pour réélire George W. Bush et renforcer la majorité républicaine à la Chambre des représentants au Sénat. Les stratèges républicains, Karl Rove en tête, avaient réussi à les mobiliser en mettant de l'avant la question du mariage gai, une abomination aux yeux de plusieurs chrétiens évangéliques.
Or, ceux-ci découvrent aujourd'hui avec horreur les détails de l'affaire Foley, qui met en lumière l'hypocrisie de leurs élus à Washington. Ils s'aperçoivent aussi que ces mêmes élus formulent leur programme antigai avec l'aide d'homosexuels vivant encore dans le placard. N'est-ce pas un peu tordu, un peu pervers ?
Le 7 novembre, plusieurs chrétiens évangéliques choisiront peut-être de rester chez eux, pour exprimer leur colère à l'égard des républicains du Congrès. Ils en profiteront peut-être pour réexaminer leur propre attitude face à l'homosexualité.
© 2006 Le Soleil. Tous droits réservés.