Qui sont les membres de gangs ?
Âge: entre 10 et 25 ans.
Espérance de vie:
30 ans au Canada, 21 aux États-Unis.
Types de jeunes:
manque d’encadrement familial; milieu défavorisé; violence familiale.
Raisons d’adhérer:
valorisation, appartenance, protection, pouvoir, argent, s’amuser.
Noyau dur: les leaders.
Particulièrement violents, les plus criminalisés. Influencent le gang. Ont quitté les institutions comme l’école.
Noyau mou: périphérie.
Plus influençables. À la fois dans le gang et à l’école. Problèmes de comportement et d’intégration scolaire.
Aspirants.
Tournent autour du gang. Voudraient y participer, mais possible d’éviter leur adhésion.
Source: Jeunesse et gangs de rue,
Centre Jeunesse de Montréal.
http://www.amecq.ca/dossieroct05.html
Octobre 2005
Dossier
Le défi des gangs de rue - 1ère partie
Dominic Desmarais, Reflet de Société, Montréal, août 2005.
La patrouille de rue de la Maison d'Haïti arpente parcs et écoles. Photo: Harry Delva et Shermond Absence, coordonnateurs, et Wilnie Alexandre, patrouilleuse.
Des jeunes patrouillent les parcs, une polyvalente engage un ancien policier comme médiateur… des solutions se mettent en place pour affronter les gangs de rue. Mais les moyens sont dérisoires.
«Si c’était si simple, ça ne ferait pas 20 ans qu’on y réfléchirait. On est pas arrivé à une solution.» Le verdict tombe comme un coup de massue. De la part d’un poids lourd de la lutte contre le phénomène des gangs de rue, l’impact fait mal.
Chantal Fredette est criminologue au Centre jeunesse de Montréal. Avec 3 collègues, elle a rédigé en 1998 un rapport sur les gangs de rue, commandé par la police de Montréal. Les chercheurs ont découvert que les jeunes solidement attachés à leurs parents, à leur école, à des amis et à leur communauté risquent moins d’adhérer à un gang de rue. D’où la nécessité d’impliquer tous les acteurs de la région concernée, police, écoles, familles, ville, gouvernement, milieu judiciaire, milieu communautaire, CLSC. Ensemble, ils peuvent combler les besoins d’appartenance, de valorisation et de protection que certains vont chercher dans les gangs. «La solution aux gangs, ce n’est pas juste la responsabilité de la police mais de tout le monde. Du citoyen au premier ministre du Québec», plaide Mme Fredette.
«Pour l’instant, chacun rame de son côté. On est pas encore rendu à la perfection, mais c’est en train de s’améliorer. Il y a 6 ou 7 ans, c’était n’importe quoi», note Harry Delva, coordonnateur de la Maison d’Haïti, un organisme communautaire offrant des activités aux jeunes. M. Delva constate une ouverture récente des différents acteurs. «Les écoles et les CLSC acceptent le partenariat. On se dit que oui, c’est vrai, on intervient avec le même jeune.»
La criminologue Chantal Fredette n’est pas aussi optimiste. «On a pas encore trouvé une façon de travailler ensemble. On a pas les moyens de nos ambitions. On tire partout. On fait n’importe quoi. Ça m’inquiète, s’emporte-t-elle. Les gangs, ça touche 10% des jeunes. Il faut aborder la pauvreté, pas juste les gangs.» Elle propose de contrer l’attrait des gangs en prenant de front plusieurs problèmes sociaux. «Ce qui marche pour les gangs va marcher pour le taxage, la drogue, la violence, le décrochage scolaire, la prostitution. Pourquoi alors financer des problématiques plutôt qu’un programme dirigé sur le jeune?», demande-t-elle, dénonçant cette pensée à court terme. «On est dans la mode. C’est tendance de parler gangs. Mais l’an prochain, on ne va parler que d’hypersexualisation. Pas de gangs. Et on ne fera pas de liens entre les autres problématiques comme la faible estime de soi et la prostitution…», déplore Mme Fredette, découragée. Mais son enthousiasme ressurgit aussitôt. La battante refait surface. «Ce qui me réconcilie, c’est que je suis en contact avec des intervenants extraordinaires qui ont la volonté de changer les choses.»
Une approche concentrée sur le jeune? Harry Delva n’est pas tout à fait contre. «C’est sûr que ce serait intéressant de pouvoir l’axer sur le jeune. Mais qui dit jeune dit famille. Il faut un projet qui peut aider le jeune dans la famille.» L’inspecteur Jean Baraby, de la police de Montréal, interpelle les parents, facteur le plus susceptible d’empêcher le jeune d’adhérer à un gang. «Intéressez-vous à vos enfants. Dites-leur “t’es important pour moi.’’ Valorisez les études!»
Bien qu’il ne veuille pas minimiser le phénomène des gangs de rue, l’inspecteur Baraby tient à rappeler que, malgré la visibilité des gangs de rue dans les médias, il ne faut pas voir derrière tout jeune un membre de gang. «On a des énergies à mettre dans la lutte contre les gangs, mais il y a toujours bien 99% des jeunes qui fonctionnent bien.»
Et malgré le bon vouloir de tous, du citoyen au premier ministre du Québec, le jeune a un gros mot à dire. «Tant que le jeune n’a pas décidé par lui-même de quitter le gang, il n’arrivera rien», observe Harry Delva. Un argument de plus pour concentrer les ressources sur le jeune?
La polyvalente Henri-Bourassa
relève le défi des gangs
Au début des années 1990, l’école Henri-Bourassa, située à Montréal-Nord, souffrait d’une épidémie de violence. Les gangs de rue gangrenaient l’institution au point de faire fuir la clientèle. Pour sécuriser les parents, élèves et professeurs, l’administration a pris le taureau par les cornes.
En 1992, la direction participe à un comité anti-violence où siègent policiers, psycho-éducateurs, étudiants, parents. Forte de ce brassage d’idées, la direction augmente son personnel de sécurité, ajoute des caméras et transforme les lieux de façon à restreindre les endroits isolés. La mentalité change. «On a analysé que les événements tragiques, les meurtres, les tentatives de meurtres, les batailles, partaient de rien. Les profs ont été mis à contribution. Ils nous disent ce qu’ils savent et on intervient.» Le commentaire vient de Richard Vandal, policier à la retraite. Trop jeune pour se retirer de la vie active à 48 ans, il prend les rênes de la sécurité de l’école en 1994.
Dès qu’un conflit couve, M. Vandal intervient. Juste en favorisant la communication, il désamorce des crises aux proportions inimaginables, comme cette fois où un jeune haïtien et un latino se sont bousculés. «Les deux ont des frères, des cousins, des amis plus vieux dans l’école et à l’extérieur. Les téléphones étaient déjà faits pour qu’il y ait un grand rassemblement après les cours… Ils se sont parlés et rien n’est arrivé par après.»
L’école conserve les numéros des casiers et, une fois l’an, l’escouade canine vient flairer cet espace de rangement. De plus, la polyvalente Henri-Bourassa, pour éviter toute marque associée aux gangs, a éliminé les casquettes et les bandeaux. L’école va même jusqu’à fournir les sacs à dos afin d’empêcher les jeunes d’amener des armes. «Ici, c’est une belle aventure de vouloir aider les jeunes. Ce ne sont pas toutes les écoles qui ont cette ouverture», dit Alain Clément, policier de Montréal-Nord impliqué dans la prévention à l’école et ancien élève de l’institution.
Un partenariat réussi entre la Maison d’Haïti et la police
Shermond est coordonnateur de la Patrouille de rue de la Maison d’Haïti dans Saint-Michel, à Montréal. Il supervise 9 jeunes haïtiens dont la tâche est de prévenir les conflits dans le secteur, particulièrement ceux créés par les gangs.
La patrouille travaille étroitement avec la police de la ville. «On fait du bon travail ensemble», avoue le jeune homme de 22 ans. L’entente est simple. Avant de débarquer à un endroit, la police prévient Shermond. «Ils peuvent arriver et faire une descente, recourir à la force. Ils ne le font pas. C’est ce que j’aime. Ils font appel à nous avant pour qu’on règle le problème», raconte le jeune homme.
Son alliance avec la police renforce son pouvoir de prévention et évite des arrestations. «Si on était séparés, ça n’aurait pas le même impact. Les personnes qui raisonnent bien vont se dire que c’est mieux de nous écouter parce que sinon la police s’en vient.»
À Saint-Michel, la patrouille assure la sécurité à l’intérieur des événements, la police, à l’extérieur. Les jeunes se sentent moins contrôlés. L’alliance bénéficie à tous. «S’ils vont dans un spectacle et que la police est là, les jeunes n’entreront pas avec des armes. Ils vont le faire si elle n’est pas là.» Pour Shermond, l’association avec la police est un exemple de partenariat qui fonctionne.
Genèse des gangs de rue - 2ième partie
Dominic Desmarais, Reflet de Société, Montréal, août 2005
Le phénomène des gangs de rue s’amplifie à Montréal, touchant 10% des jeunes. Apparus dans les années 1980, ces groupes partent désormais à la conquête de la province. Ils attirent des jeunes rêvant de pouvoir et de richesse.
Le visage fraîchement rasé, les cheveux coupés courts, la chemise soigneusement repassée, l’inspecteur-chef Jean Baraby, de la police de Montréal, ressemble au bon père de famille typique. Seule la présence d’une attachée de presse dans son bureau rappelle la délicatesse du sujet. Le phénomène des gangs de rue, c’est du sérieux. De sa voix chaleureuse, le policier transmet ses connaissances: «Dans les années 1980, c’était des ados. C’était des batailles en dehors des écoles, dans les parcs. Il n’y avait pas d’activités criminelles. Si je fais un parallèle, dans les années 1960–1970, les francophones se battaient contre les anglophones.»
Une carrière
Alain Clément est également policier. Depuis cinq ans, tous les mercredis, il se rend à l’école secondaire Henri-Bourrassa pour prévenir les élèves de secondaire I des méfaits d’adhérer aux gangs de rue. «Avant, tu pouvais trouver un gang qui volait des voitures. Ils ne faisaient pas d’argent. Ils se sont rendus compte qu’il y avait de l’argent à faire et ont dit aux plus jeunes comment faire.» Mais voilà, ces jeunes de la première génération ont vieilli, se sont endurcis. Ils ont emprunté la voie de la criminalité, offrant de nouveaux modèles pour les jeunes frères, les cousins. «Maintenant, tu peux faire carrière dans les gangs de rue. Il y a des modèles. Les plus jeunes regardent ça et se disent “wow, je peux faire comme eux!’’, explique l’inspecteur Baraby.
Les jeunes se réunissaient par besoin de valorisation, par désir de constituer une famille. Les intervenants pouvaient alors combler leur besoin d’affection. Les choses ont évolué, le roi dollar a pointé le bout de son nez. «La valeur, aujourd’hui, c’est l’argent. Le jeune a tout ce qu’il veut dans la vie. Il est millionnaire. Il a les filles, la drogue. Comment dire au jeune qu’il est un mauvais modèle?», explique Harry Delva, coordonnateur des projets jeunesse à la Maison d’Haïti depuis 13 ans. L’homme en connaît un rayon. Il s’occupe d’un projet de patrouilleurs de rue composé de jeunes dont certains ont flirté avec des gangs. Ils essaient de conseiller leurs pairs dans le quartier Saint-Michel à Montréal.
M. Delva reconnaît qu’il est aujourd’hui plus difficile de ramener les membres de gangs dans le droit chemin. «Entre 1997 et 2000, des jeunes, qui ne faisaient pas nécessairement partie de gangs, se sont enrichis avec des fraudes. Ils ont encouragé nombre de jeunes ayant envie d’adhérer à un gang. Maintenant, ces jeunes ne cherchent plus une famille mais une richesse, explique M. Delva. En voyant des jeunes qui ont réussi, les gangs se sont dit qu’ils pouvaient y arriver.»
Les jeunes à risque
Quel jeune éprouve le besoin de s’intégrer à un gang? À en croire l’inspecteur Baraby, tous les jeunes sont susceptibles d’être recrutés. Chantal Fredette, criminologue et spécialiste des gangs de rue au Centre jeunesse de Montréal, apporte des précisions. Les plus à risque viennent de familles dont l’un des membres fait déjà partie d’un gang. Une très grande majorité des jeunes qui ont déjà des problèmes y trouvent leur niche, explique la chercheure. «Le défi, c’est d’identifier, parmi les jeunes des gangs, les 10 à 20% qui vont constituer le noyau dur, qui sont très criminalisés. Un des facteurs, c’est la précocité. Celui qui fréquente tôt les gangs, par exemple à neuf ans, va être plus à risque. Le 10% du noyau dur a la perception que la vie est dangereuse, qu’il y a deux côtés: les gagnants et les perdants. Pour gagner, il faut imposer», s’exclame la jeune femme tout en gesticulant. «Pour une minorité de jeunes au Québec, en 2005, le gang de rue offre une meilleure perspective de vie que tout autre chose», constate la criminologue qui a rencontré une trentaine de ces jeunes pour rédiger un rapport sur le sujet.
Violence extrême
«L’univers des gangs est extrêmement violent, a observé Chantal Fredette dans ses recherches. Il faut être tolérant à la violence pour supporter ce climat. Il y a un 20% des jeunes qui ont cette tolérance», note-t-elle.
Dans ses visites à la polyvalente Henri-Bourrassa, le sergent Alain Clément a senti lui aussi l’apparition de ce problème: «Depuis les 5 dernières années, je constate autant d’événements, mais ils sont de plus en plus violents.» L’accès facile aux armes expliquerait l’intensité des altercations.
«C’est plus facile pour eux d’acheter une arme qu’un paquet de cigarettes», dit Harry Delva d’un ton détaché de celui qui a tout vu. Les jeunes ont les moyens de s’outiller. D’autant plus qu’ils ont un réseau de drogue, de prostitution, d’extorsion à protéger.
«Ça ressemble au temps d’Al Capone. Ce qu’on voit, ce sont des règlements de compte entre gangs pour un territoire. Maintenant, ils sont partout. Parce que les motards ont libéré certains secteurs, les gangs de rue décident d’occuper et d’agrandir leurs territoires. Quand ils se rencontrent au centre-ville, ils se tirent dessus», décrit M. Delva. Accroupi, les coudes sur les genoux, il se relève, esquissant une mimique d’impuissance. Attirés par le gain, les gangs de rue reluquent les territoires délaissés par les motards, affaiblis à la suite de l’opération policière Printemps 2002 qui a permis de mettre derrière les barreaux plusieurs Hells Angels et Rock Machines.
Libérés de cette concurrence, les gangs s’exportent. «Ce qu’on constate, c’est que les membres de gangs s’installent en périphérie de Montréal et vont faire des activités plus éloignées comme le trafic de stupéfiants, la prostitution juvénile. On en a retrouvé en Gaspésie, au Lac St-Jean, en Outaouais et à Sherbrooke. Ils ne sont pas encore rendus à s’y installer», avoue l’inspecteur Baraby, qui rajoute du même souffle la mise sur pied d’une escouade de choc. Pour contrer cette expansion, la Police de Montréal, de Laval, la Sécurité du Québec et la GRC ont uni leurs forces.
Cette nouvelle union policière sera-t-elle suffisante pour contrer le phénomène? Probablement pas, de l’aveu de l’inspecteur. «Tant qu’il y aura l’appât du gain, il va toujours y avoir des jeunes qui vont s’y intéresser. On a pas la prétention de penser qu’on va enrayer le problème. Comme la prostitution, on travaille fort, mais on peut pas l’empêcher.» Réaliste, le coordonnateur de la Maison d’Haïti n’en pense pas moins. «C’est un phénomène qui est là pour rester, croit-il. Autour, on a la vente de drogues, la prostitution. C’est de l’argent facile. Ça fait partie de notre société. Mais on peut baisser ça, prévenir, diminuer le nombre de gens qui entourent les gangs.»
Le gangster rap,
le modèle de l’argent facile
Les chanteurs américains appréciés des jeunes donnent une image positive des gangs de rue. Avec de tels modèles, la lutte contre le phénomène est inégale. «Les gangs, c’est devenu une mode qui suit le gangster rap du Hip Hop. Quand tu vois les vidéos, tu vois les beaux chars, les pitounes, les bijoux. C’est ce que les jeunes recréent. C’est dur de passer à côté. Même les jeunes québécois de souche cèdent sous le charme. Tout le monde écoute le Hip Hop. Tant que ça va rester populaire, les gangs vont rester. Si le rappeur 50 Cents change d’image, là on va voir un changement dans la société pour cette problématique», observe Harry Delva, coordonnateur des projets jeunesse à la Maison d’Haïti.
Chantal Fredette, criminologue au Centre jeunesse de Montréal et spécialiste des gangs de rue, tient le même propos. «Avant, on s’identifiait à Madonna. Aujourd’hui, c’est les gangs de rue. Tupac, 50 Cents… On s’habille comme eux. Au primaire, on joue au gang de rue.»
«Quand on va sur le site de 50 Cents, il y a l’image d’une balle tirée. Tous les jeunes trouvent ça cool. Il n’y a pas un gouvernement qui peut supporter la compétition, rajoute M. Delva. Tupac s’est fait tirer par un gang adverse. On en a fait un héros. Comment veux-tu te battre contre ça?»
l'idole a mon fils justement --Message edité par leelou le 2006-05-16 22:56:55--