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Publié : jeu. juin 01, 2006 2:32 am
par tuberale
Exception pour les jeunes de 14 à 16 ans
Ottawa haussera bientôt l'âge du consentement sexuel, mais avec nuance

Alec Castonguay
Édition du jeudi 1er juin 2006



Ottawa -- Le gouvernement conservateur va de l'avant avec une autre de ses promesses électorales alors que le projet de loi qui vise à faire passer l'âge du consentement sexuel de 14 à 16 ans constitue maintenant la prochaine législation d'importance au programme.

Une adolescente qui a 14 ans pourra sans problème avoir des relations sexuelles avec un jeune de 19 ans puisque la clause d’«exception» de cinq ans évitera aux deux personnes de contrevenir à la loi.

Selon les informations obtenues, le conseil des ministres a déjà approuvé les modalités du projet de loi qui sera déposé «très bientôt» aux Communes. En fait, le leader du gouvernement en Chambre, Rob Nicholson, cherche actuellement une façon de le glisser à l'ordre du jour la semaine prochaine, question de ne pas devoir attendre à l'automne. «Il pourrait atterrir aux Communes d'un jour à l'autre. Ce sera très bientôt», dit-on.

Et tout indique que le gouvernement pourra au moins compter sur l'appui du NPD pour faire adopter cette loi. Le Devoir a en effet appris que le ministre de la Justice, Vic Toews, s'est rangé aux arguments des néo-démocrates dans l'élaboration de sa législation. Ainsi, l'âge du consentement sexuel sera bel et bien haussé de 14 à 16 ans, mais le projet de loi contiendra une «exception de proximité d'âge» qui vise à criminaliser le moins possible les relations entre adolescents consentants. Cette «exception» sera de cinq ans lorsque le jeune aura entre 14 et 16 ans, soit tout juste avant d'atteindre l'âge du consentement légal.

Une adolescente qui a 14 ans pourrait donc sans problème avoir des relations sexuelles avec un jeune de 19 ans puisque la clause d'«exception» de cinq ans évitera aux deux personnes de contrevenir à la loi. Même scénario pour deux personnes de 15 ans et de 20 ans. Par contre, une relation entre une adolescente de 15 ans et un homme de 21 ans serait illégale, peu importe le consentement.

Selon le critique du NPD en matière de justice, Joe Comartin, cette disposition empêche 400 000 jeunes qui ont entre 14 et 16 ans de tomber dans l'illégalité parce qu'ils ont un partenaire qui a cinq ans ou moins de différence d'âge avec eux, selon des chiffres récents sur l'activité sexuelle des adolescents, cités par le député.

Le code criminel ne serait toutefois pas modifié pour les jeunes qui ont entre 12 et 14 ans. Ainsi, comme la loi actuelle le permet, un enfant qui a 12 ou 13 ans peut avoir une relation sexuelle avec un autre jeune plus âgé si la différence d'âge est de deux ans ou moins. Par ailleurs, le projet de loi qui sera déposé modifiera aussi un autre paramètre du jargon juridique en remplaçant les mots «âge de consentement» par «âge de protection».



Une loi déjà efficace ?


Le ministre de la Justice a répété hier que son gouvernement ne cherche pas à criminaliser les relations entre jeunes mais bien à les «protéger» contre les prédateurs sexuels adultes. «C'est en droite ligne avec les lois dans les autres pays occidentaux, a soutenu Vic Toews. C'est une mesure qui est appuyée par les groupes de protection des enfants, les corps de police et la population en général.»

Les conservateurs se battent depuis longtemps pour modifier l'âge du consentement sexuel. En 2002, l'Alliance canadienne avait déposé un projet de loi d'initiative privée en ce sens (sans clause d'«exception» toutefois), qui avait été battu. Plusieurs provinces, dont l'Ontario, la Colombie-Britannique, l'Alberta, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, souhaitent que le gouvernement fédéral aille de l'avant avec cette modification. Le premier ministre du Québec, de son côté, semblait plutôt tiède à cette idée le 8 février dernier. «La criminalisation, on le sait, n'est pas en soi une réponse», avait dit Jean Charest, soulignant la complexité du problème de l'exploitation sexuelle des jeunes.

Cette position cadre avec celle du Bloc québécois, qui votera contre cette loi. Carole Freeman, porte-parole adjointe du parti en matière de justice et responsable de ce dossier, a précisé qu'il faut «attendre de voir le projet de loi» avant de prendre une décision, faisant toutefois valoir que le Bloc n'a jamais été favorable au rehaussement de l'âge de consentement. «On a toujours été en faveur de la protection des enfants, mais cette initiative, c'est de la poudre aux yeux, a-t-elle dit. C'est une mesure populiste qui n'aidera pas les jeunes. Ça va plutôt criminaliser leurs pratiques alors que le code criminel a toutes les dispositions nécessaires pour sanctionner l'exploitation sexuelle. Là, on va tracer une ligne arbitraire qui ne tiendra pas compte de tous les cas de figure. Et si une adolescente a 15 ans et son chum 20 ans et demi ? Ce sera illégal, sans nuances, et ça n'a pas de sens.»

Le Bloc québécois estime que les modifications apportées au code criminel en juillet 2005 vont suffisamment loin et laissent aux juges une liberté de décision salutaire. En effet, depuis juillet dernier, il n'est plus nécessaire de prouver en cour que l'homme avait une relation d'autorité sur l'adolescente (ou l'adolescent) pour qu'il soit condamné. Le magistrat dispose de trois nouveaux critères pour rendre sa décision : la différence d'âge, l'évolution de la relation ainsi que l'emprise et l'influence de l'adulte sur le jeune. «Ça privilégie la nature de l'acte plutôt que l'âge, et c'est bien comme ça», a soutenu Carole Freeman.

Le Parti libéral est lui aussi opposé «de prime abord» à la future législation conservatrice, mais la critique du parti en matière de justice, Sue Barnes, précise que rien n'est encore décidé. «Je vais attendre le projet de loi et faire mes devoirs sérieusement avant d'en parler au caucus. Je n'ai pas l'esprit fermé là-dessus», a-t-elle dit. Et s'il y avait une clause «d'exception» de cinq ans dans le projet de loi ? «Si c'est ça, notre position pourrait être différente, il faudra voir.» Mme Barnes a tout de même soutenu que les conservateurs sont «en croisade idéologique» alors que les libéraux, dans ce dossier, veulent «du solide».

Mais avec ou sans l'appui d'une poignée de libéraux, les conservateurs devraient pouvoir faire adopter cette loi grâce aux 29 députés néo-démocrates. Pour Joe Comartin, hausser l'âge du consentement sexuel de 14 à 16 ans «peut contribuer» à lutter contre les prédateurs sexuels. «On veut attraper les hommes de 45 ans qui ont une relation avec une fille ou un gars de 14 ou 15 ans, a-t-il dit. Il faut empêcher ça.» Selon lui, ce rehaussement de deux ans aura un impact. «Entre 14 et 16 ans, le jeune prend beaucoup de maturité et peut mieux juger ses relations. Les décisions sont plus éclairées. S'il y a la clause d'exception de cinq ans, je pense bien que notre caucus va appuyer le gouvernement», a-t-il dit.