Publié : sam. avr. 15, 2006 5:26 am
Le sommet, plus jamais!
Cinq ans plus tard, des acteurs revivent le Sommet de Québec
Isabelle Porter
Édition du samedi 15 et du dimanche 16 avril 2006
Cela fera cinq ans la semaine prochaine. Pendant trois jours, du 20 au 22 avril 2001, Québec a été le siège d'une occupation nouveau genre. La ville déjà fortifiée était désormais ceinturée par un nouveau mur, devenu le symbole d'un dialogue de sourds.
Du 20 au 22 avril 2001, plus de 50 000 manifestants ont convergé vers Québec.
Québec -- Coordonnateur de la coalition régionale OQP 2001, qui regroupait une trentaine d'organisations militantes, Sébastien Bouchard se souvient d'une rencontre dans le petit local des Amis de la Terre, à Québec : «On s'était réunis pour faire le bilan de Seattle, et là, on a réalisé que la prochaine étape, c'était chez nous !»
En 1999, la réunion de l'OMC à Seattle avait révélé le mouvement antimondialisation à la face du monde. Le rôle dans l'histoire du Sommet des Amériques, prévu à Québec, venait de changer. «Ça devait être une opération de protocole au départ», fait remarquer Denis Ricard, qui était directeur général au bureau du sommet. «Puis, grâce à des renseignements, on a su que des manifestants préparaient quelque chose. Mon rôle a dû être modifié, et on s'est retrouvés pris entre les médias, la société qui s'inquiétait et des gens qui ne voulaient rien savoir du sommet. [...] Ce n'était pas prévu comme ça. Au départ, les sommets étaient très courus. Les villes se battaient pour les avoir.»
Au moins 50 000 manifestants allaient y converger. Pour les coalitions militantes de la région, cela présentait d'imposants défis logistiques. Il fallait les loger, les nourrir. Au Comité d'accueil du Sommet des Amérique (CASA), une coalition d'allégeance libertaire et anticapitaliste, on s'est réuni toutes les fins de semaine, pendant des mois, pour faire de la popote qu'on congelait ensuite. De quoi servir pas moins de 12 000 repas pendant les trois jours du sommet.
L'ampleur de l'événement avait de quoi faire peur. Et les organisateurs ont subi une pression démesurée. «Mon moins beau souvenir du Sommet des Amériques, c'est peut-être que j'ai commencé à faire de la pression [artérielle] à ce moment-là», affirme en riant Denis Ricard, aujourd'hui à la tête de l'Organisation des villes du patrimoine mondial. Là-dessus, lui et les manifestants sont d'accord : le Sommet des Amériques de 2001 a été un moment de grand stress. «Après le sommet, il y a eu beaucoup de démobilisation, se rappelle Hélène Nazon, du CASA. Certains ont fait des dépressions, beaucoup faisaient de l'anxiété.»
Le mur
Le grand public, lui, a vraiment commencé à s'intéresser à tout cela lorsque les médias ont révélé en novembre 2000 que les autorités comptaient ériger un mur sur un périmètre de 3,8 kilomètres afin de tenir les manifestants à distance du sommet officiel. Ce mur est devenu le symbole d'une fracture politique profonde. On l'a surnommé le «mur de la honte».
D'après Denis Ricard, Ottawa n'avait tout simplement pas le choix. «Tout le monde aurait préféré, moi le premier, qu'on n'ait pas à faire une clôture dans la ville. De tous les sommets auxquels on a participé, c'était la première fois qu'on était obligés de faire ça. Mais peut-être que ce sera la dernière aussi parce que les choses se sont calmées depuis.»
La clôture ceinturait une partie du Vieux-Québec, soit du Château Frontenac à l'hôtel Le Concorde et jusqu'au Centre des congrès, où se déroulaient les négociations. La GRC avait loué tous les appartements situés à l'intérieur du périmètre. 25 000 personnes accréditées pouvaient y pénétrer.
De l'autre côté se trouvait le quartier du Faubourg, et c'est dans cette zone, à proximité du Grand Théâtre, qu'ont eu lieu les affrontements les plus violents entre policiers et manifestants. L'épicerie de Clément Saint-Laurent était située sur la ligne de front. Pendant le sommet, sa porte arrière donnait sur la clôture; la porte avant, sur les manifestants. «Ma peur, c'était que la maison brûle.» Ironie du sort, l'épicerie Moisan était une des seules maisons canadiennes à avoir survécu au grand feu de Québec, au XIXe siècle...
«À un moment donné, le samedi, les Black Bloc ont incendié un conteneur à déchets dans la rue à côté. Le feu est devenu tellement intense que l'asphalte fondait dans la rue.» Le feu a finalement été maîtrisé, mais il a fallu arroser l'épicerie, devenue trop chaude. Aujourd'hui, cet épisode n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais M. Saint-Laurent en veut encore au gouvernement fédéral, qui s'est peu soucié, à son avis, des commerçants établis à l'extérieur du périmètre.
Pour lui, le mur demeure le symbole d'une grande insulte. «La préparation du sommet, ç'a été la barrière. Pourtant, il y avait une façon plus psychologique de préparer les gens, de donner une ouverture, de les laisser participer à des rencontres. Ils auraient pu laisser entrer des organismes au Centre des congrès et les laisser s'exprimer. On a un peu provoqué la classe ouvrière, la classe ordinaire. C'est comme si on nous avait mis de côté, nous les petits Québécois, pour faire de la grosse business. Il y avait quelque chose de vraiment insultant là-dedans.»
Un beau cadeau
Bref, le mur a bien servi les contestataires. «Ironiquement, en faisant le mur, ils nous faisaient le plus beau cadeau qui soit», se rappelle Robert Jasmin, d'ATTAC, un des membres d'OQP 2001. «C'était une provocation. Il y a eu plus de questionnements dans la population après. Les gens se demandaient pourquoi ça prenait un mur. Les médias ont repris ça. L'image de ces politiciens qui avaient besoin de se cacher pour négocier a eu un effet boule de neige. Le mur est devenu un symbole très fort, et c'était évident qu'il était là pour être abattu.»
Lorsqu'on lui demande s'il croit toujours que le périmètre était justifié, le ministre de la Sécurité publique à l'époque, Serge Ménard, invoque la sécurité des... manifestants. «Nous, il nous fallait un périmètre. S'il avait fallu que les agents américains aient à intervenir... Nos méthodes étaient les plus pacifiques possibles. On ne voulait pas que de vraies balles soient tirées.» Pour le gouvernement péquiste de l'époque, le sommet a été une opération très frustrante. On aurait voulu jouer un autre rôle dans toute cette histoire. «Mes collègues du conseil exécutif étaient révoltés. Ils me disaient : "Le fédéral va négocier, puis nous, notre rôle, c'est de taper sur des manifestants !"»
Le mur a en outre suscité des inquiétudes au bureau du maire, se rappelle l'ex-attachée de presse de Jean-Paul L'Allier, Luci Tremblay. «Quand les policiers nous ont présenté le plan du périmètre de sécurité, ç'a été le choc. Nous avons fait de fortes négociations pour diminuer sa taille. Si on les avait écoutés, tout le Vieux-Québec aurait été dans le périmètre.» Pour elle, c'est une preuve de plus du peu de considération qu'on a manifesté à l'endroit de l'administration municipale : «C'était un événement du gouvernement fédéral... Ça se passe dans ta ville mais t'as pas grand-chose à dire.» D'ailleurs, le maire n'a pas caché sa sympathie pour la démarche du Sommet des peuples, qui a eu lieu juste avant le sommet, au Vieux-Port. M. L'Allier a même fait installer une grande banderole affichant le slogan du Sommet des peuples, «Un autre monde est possible», sur le toit de l'hôtel de ville.
Et comme on pouvait s'y attendre, le mur est tombé, dès le vendredi après-midi. Serge Ménard était aux premières loges. C'est d'ailleurs le premier moment qui lui est revenu à l'esprit quand Le Devoir l'a interrogé à propos du sommet. «J'étais bien posté. J'étais au ministère des Relations internationales, j'avais une vue plongeante sur la situation. Je me souviens encore d'avoir vu la marche qui s'en venait. Quand la clôture a cédé, moi, je m'attendais, un peu comme dans les films, à ce que la foule s'engouffre dans la brèche. Mais pas du tout. Rapidement, des gars et des filles sont allés s'asseoir sur la clôture en faisant des signes "peace". Je me suis dit : "Ça y est, ils ont les photos qu'ils veulent."»
Pourquoi ne pas avoir traversé ? Robin Couture, lui aussi du CASA, répond que ce n'était pas nécessaire. «Ce qui était important, c'était que le mur tombe. Le mur, c'était un symbole. On n'avait rien à faire de l'autre côté. Le mur tombé, pour nous, le travail continuait dans l'éducation populaire.»
Et maintenant ?
Cinq ans plus tard, peu de traces subsistent de cet événement hors du commun, si ce n'est ces quelques graffitis qu'on a oublié d'effacer, comme ce «Free people not trade», angle Salaberry et René-Lévesque. Or, pour Robert Jasmin, le sommet a laissé davantage de traces. «Avec le recul, on se rend compte que ç'a été une opération de conscientisation sans précédent. Le sommet a servi de porte d'entrée pour tout ce qui touche à la mondialisation.» Sébastien Bouchard va encore plus loin. À son avis, l'événement a permis de marquer la rupture entre le Parti québécois et la gauche au Québec. «J'émets l'hypothèse que la réponse du PQ à la Marche mondiale des femmes et au Sommet des Amériques a été un facteur favorisant la construction de la gauche politique au Québec. [...] Autour du Sommet des Amériques, le PQ a été ridicule. Tout ce qu'il a fait, c'est demander sa chaise autour de la table.»
Si, pour les militants, la mobilisation de cette époque suscite une certaine nostalgie, pour les autorités, c'est autre chose... Cinq ans plus tard, Denis Ricard se réjouit surtout de l'avoir mené à terme malgré tout. «On avait tout contre nous, on est passés au travers et ça me rend très heureux.»
Le sommet a quand même généré des retombées économiques de 133 millions dans la région et permis d'attirer de nouveaux événements internationaux au Centre des congrès, dont des rencontres de l'OTAN, indique le directeur de l'Office du tourisme, Pierre Labrie. Mais lui aussi relativise les choses. «Aujourd'hui, on n'évaluerait pas un dossier d'accueil de la même façon. [...] Ç'a été un des meilleurs clients à vie pour le Centre des congrès et la pire semaine de l'année dans certains commerces.»
Clément Saint-Laurent est évidemment de ceux-là. «Moi, je n'ai aucun bon souvenir du sommet. Je n'ai pas fait d'argent, j'ai été pénalisé. Puis, politiquement parlant, j'ai l'impression que ça n'a rien donné. [...] S'ils organisent un autre sommet, c'est pas compliqué, je m'en vais d'ici.»
Collaboratrice du Devoir
Cinq ans plus tard, des acteurs revivent le Sommet de Québec
Isabelle Porter
Édition du samedi 15 et du dimanche 16 avril 2006
Cela fera cinq ans la semaine prochaine. Pendant trois jours, du 20 au 22 avril 2001, Québec a été le siège d'une occupation nouveau genre. La ville déjà fortifiée était désormais ceinturée par un nouveau mur, devenu le symbole d'un dialogue de sourds.
Du 20 au 22 avril 2001, plus de 50 000 manifestants ont convergé vers Québec.
Québec -- Coordonnateur de la coalition régionale OQP 2001, qui regroupait une trentaine d'organisations militantes, Sébastien Bouchard se souvient d'une rencontre dans le petit local des Amis de la Terre, à Québec : «On s'était réunis pour faire le bilan de Seattle, et là, on a réalisé que la prochaine étape, c'était chez nous !»
En 1999, la réunion de l'OMC à Seattle avait révélé le mouvement antimondialisation à la face du monde. Le rôle dans l'histoire du Sommet des Amériques, prévu à Québec, venait de changer. «Ça devait être une opération de protocole au départ», fait remarquer Denis Ricard, qui était directeur général au bureau du sommet. «Puis, grâce à des renseignements, on a su que des manifestants préparaient quelque chose. Mon rôle a dû être modifié, et on s'est retrouvés pris entre les médias, la société qui s'inquiétait et des gens qui ne voulaient rien savoir du sommet. [...] Ce n'était pas prévu comme ça. Au départ, les sommets étaient très courus. Les villes se battaient pour les avoir.»
Au moins 50 000 manifestants allaient y converger. Pour les coalitions militantes de la région, cela présentait d'imposants défis logistiques. Il fallait les loger, les nourrir. Au Comité d'accueil du Sommet des Amérique (CASA), une coalition d'allégeance libertaire et anticapitaliste, on s'est réuni toutes les fins de semaine, pendant des mois, pour faire de la popote qu'on congelait ensuite. De quoi servir pas moins de 12 000 repas pendant les trois jours du sommet.
L'ampleur de l'événement avait de quoi faire peur. Et les organisateurs ont subi une pression démesurée. «Mon moins beau souvenir du Sommet des Amériques, c'est peut-être que j'ai commencé à faire de la pression [artérielle] à ce moment-là», affirme en riant Denis Ricard, aujourd'hui à la tête de l'Organisation des villes du patrimoine mondial. Là-dessus, lui et les manifestants sont d'accord : le Sommet des Amériques de 2001 a été un moment de grand stress. «Après le sommet, il y a eu beaucoup de démobilisation, se rappelle Hélène Nazon, du CASA. Certains ont fait des dépressions, beaucoup faisaient de l'anxiété.»
Le mur
Le grand public, lui, a vraiment commencé à s'intéresser à tout cela lorsque les médias ont révélé en novembre 2000 que les autorités comptaient ériger un mur sur un périmètre de 3,8 kilomètres afin de tenir les manifestants à distance du sommet officiel. Ce mur est devenu le symbole d'une fracture politique profonde. On l'a surnommé le «mur de la honte».
D'après Denis Ricard, Ottawa n'avait tout simplement pas le choix. «Tout le monde aurait préféré, moi le premier, qu'on n'ait pas à faire une clôture dans la ville. De tous les sommets auxquels on a participé, c'était la première fois qu'on était obligés de faire ça. Mais peut-être que ce sera la dernière aussi parce que les choses se sont calmées depuis.»
La clôture ceinturait une partie du Vieux-Québec, soit du Château Frontenac à l'hôtel Le Concorde et jusqu'au Centre des congrès, où se déroulaient les négociations. La GRC avait loué tous les appartements situés à l'intérieur du périmètre. 25 000 personnes accréditées pouvaient y pénétrer.
De l'autre côté se trouvait le quartier du Faubourg, et c'est dans cette zone, à proximité du Grand Théâtre, qu'ont eu lieu les affrontements les plus violents entre policiers et manifestants. L'épicerie de Clément Saint-Laurent était située sur la ligne de front. Pendant le sommet, sa porte arrière donnait sur la clôture; la porte avant, sur les manifestants. «Ma peur, c'était que la maison brûle.» Ironie du sort, l'épicerie Moisan était une des seules maisons canadiennes à avoir survécu au grand feu de Québec, au XIXe siècle...
«À un moment donné, le samedi, les Black Bloc ont incendié un conteneur à déchets dans la rue à côté. Le feu est devenu tellement intense que l'asphalte fondait dans la rue.» Le feu a finalement été maîtrisé, mais il a fallu arroser l'épicerie, devenue trop chaude. Aujourd'hui, cet épisode n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais M. Saint-Laurent en veut encore au gouvernement fédéral, qui s'est peu soucié, à son avis, des commerçants établis à l'extérieur du périmètre.
Pour lui, le mur demeure le symbole d'une grande insulte. «La préparation du sommet, ç'a été la barrière. Pourtant, il y avait une façon plus psychologique de préparer les gens, de donner une ouverture, de les laisser participer à des rencontres. Ils auraient pu laisser entrer des organismes au Centre des congrès et les laisser s'exprimer. On a un peu provoqué la classe ouvrière, la classe ordinaire. C'est comme si on nous avait mis de côté, nous les petits Québécois, pour faire de la grosse business. Il y avait quelque chose de vraiment insultant là-dedans.»
Un beau cadeau
Bref, le mur a bien servi les contestataires. «Ironiquement, en faisant le mur, ils nous faisaient le plus beau cadeau qui soit», se rappelle Robert Jasmin, d'ATTAC, un des membres d'OQP 2001. «C'était une provocation. Il y a eu plus de questionnements dans la population après. Les gens se demandaient pourquoi ça prenait un mur. Les médias ont repris ça. L'image de ces politiciens qui avaient besoin de se cacher pour négocier a eu un effet boule de neige. Le mur est devenu un symbole très fort, et c'était évident qu'il était là pour être abattu.»
Lorsqu'on lui demande s'il croit toujours que le périmètre était justifié, le ministre de la Sécurité publique à l'époque, Serge Ménard, invoque la sécurité des... manifestants. «Nous, il nous fallait un périmètre. S'il avait fallu que les agents américains aient à intervenir... Nos méthodes étaient les plus pacifiques possibles. On ne voulait pas que de vraies balles soient tirées.» Pour le gouvernement péquiste de l'époque, le sommet a été une opération très frustrante. On aurait voulu jouer un autre rôle dans toute cette histoire. «Mes collègues du conseil exécutif étaient révoltés. Ils me disaient : "Le fédéral va négocier, puis nous, notre rôle, c'est de taper sur des manifestants !"»
Le mur a en outre suscité des inquiétudes au bureau du maire, se rappelle l'ex-attachée de presse de Jean-Paul L'Allier, Luci Tremblay. «Quand les policiers nous ont présenté le plan du périmètre de sécurité, ç'a été le choc. Nous avons fait de fortes négociations pour diminuer sa taille. Si on les avait écoutés, tout le Vieux-Québec aurait été dans le périmètre.» Pour elle, c'est une preuve de plus du peu de considération qu'on a manifesté à l'endroit de l'administration municipale : «C'était un événement du gouvernement fédéral... Ça se passe dans ta ville mais t'as pas grand-chose à dire.» D'ailleurs, le maire n'a pas caché sa sympathie pour la démarche du Sommet des peuples, qui a eu lieu juste avant le sommet, au Vieux-Port. M. L'Allier a même fait installer une grande banderole affichant le slogan du Sommet des peuples, «Un autre monde est possible», sur le toit de l'hôtel de ville.
Et comme on pouvait s'y attendre, le mur est tombé, dès le vendredi après-midi. Serge Ménard était aux premières loges. C'est d'ailleurs le premier moment qui lui est revenu à l'esprit quand Le Devoir l'a interrogé à propos du sommet. «J'étais bien posté. J'étais au ministère des Relations internationales, j'avais une vue plongeante sur la situation. Je me souviens encore d'avoir vu la marche qui s'en venait. Quand la clôture a cédé, moi, je m'attendais, un peu comme dans les films, à ce que la foule s'engouffre dans la brèche. Mais pas du tout. Rapidement, des gars et des filles sont allés s'asseoir sur la clôture en faisant des signes "peace". Je me suis dit : "Ça y est, ils ont les photos qu'ils veulent."»
Pourquoi ne pas avoir traversé ? Robin Couture, lui aussi du CASA, répond que ce n'était pas nécessaire. «Ce qui était important, c'était que le mur tombe. Le mur, c'était un symbole. On n'avait rien à faire de l'autre côté. Le mur tombé, pour nous, le travail continuait dans l'éducation populaire.»
Et maintenant ?
Cinq ans plus tard, peu de traces subsistent de cet événement hors du commun, si ce n'est ces quelques graffitis qu'on a oublié d'effacer, comme ce «Free people not trade», angle Salaberry et René-Lévesque. Or, pour Robert Jasmin, le sommet a laissé davantage de traces. «Avec le recul, on se rend compte que ç'a été une opération de conscientisation sans précédent. Le sommet a servi de porte d'entrée pour tout ce qui touche à la mondialisation.» Sébastien Bouchard va encore plus loin. À son avis, l'événement a permis de marquer la rupture entre le Parti québécois et la gauche au Québec. «J'émets l'hypothèse que la réponse du PQ à la Marche mondiale des femmes et au Sommet des Amériques a été un facteur favorisant la construction de la gauche politique au Québec. [...] Autour du Sommet des Amériques, le PQ a été ridicule. Tout ce qu'il a fait, c'est demander sa chaise autour de la table.»
Si, pour les militants, la mobilisation de cette époque suscite une certaine nostalgie, pour les autorités, c'est autre chose... Cinq ans plus tard, Denis Ricard se réjouit surtout de l'avoir mené à terme malgré tout. «On avait tout contre nous, on est passés au travers et ça me rend très heureux.»
Le sommet a quand même généré des retombées économiques de 133 millions dans la région et permis d'attirer de nouveaux événements internationaux au Centre des congrès, dont des rencontres de l'OTAN, indique le directeur de l'Office du tourisme, Pierre Labrie. Mais lui aussi relativise les choses. «Aujourd'hui, on n'évaluerait pas un dossier d'accueil de la même façon. [...] Ç'a été un des meilleurs clients à vie pour le Centre des congrès et la pire semaine de l'année dans certains commerces.»
Clément Saint-Laurent est évidemment de ceux-là. «Moi, je n'ai aucun bon souvenir du sommet. Je n'ai pas fait d'argent, j'ai été pénalisé. Puis, politiquement parlant, j'ai l'impression que ça n'a rien donné. [...] S'ils organisent un autre sommet, c'est pas compliqué, je m'en vais d'ici.»
Collaboratrice du Devoir