Publié : sam. déc. 31, 2005 4:48 am
Je rêve
Gil Courtemanche
Édition du samedi 31 décembre 2005 et du dimanche 1er janvier 2006
Je ne sais trop pourquoi, mais pendant la période des Fêtes, je rêve souvent que ce temps de réjouissances et de présents est aussi une période de réflexion et que la trêve dans nos activités normales peut se transformer en chemin de Damas, vous savez, ce chemin sur lequel saint Paul connut la lumière et la révélation. Je me surprends donc à penser qu'au cours d'un réveillon, telle ou telle personnalité politique sera frappée par la grâce et se mettra comme par magie à comprendre ce que la majorité des gens normaux ont saisi depuis longtemps.
Ainsi, je rêve que Jean Charest découvre qu'on peut parfois défier l'opinion publique et que c'est en effet un signe de leadership mais qu'on ne peut sans cesse gouverner contre et malgré la population. Cela s'appelle de l'arrogance, du mépris et du dogmatisme. Je ne crois cependant pas que la grâce, toute-puissante soit-elle, puisse percer le vêtement d'acier de Monique Jérôme-Forget.
Je rêve que Paul Martin comprenne que Stephen Harper ne dit pas toujours des bêtises et qu'il a raison lorsqu'il soutient que le Parti libéral et son chef sont les deux principaux responsables de la montée de la ferveur souverainiste au Québec et que, s'il conserve le même regard hautain, il présidera peut-être à l'éclatement du pays.
Je rêve qu'André Boisclair cesse, tel un pape qui se réfère aux Saintes Écritures, de toujours nous renvoyer au programme du Parti québécois quand on lui pose une question, d'autant qu'il n'aime pas ce programme et n'attend que le moment où il sera premier ministre pour le jeter aux orties. Je rêve aussi que les centrales syndicales découvrent quel genre d'allié elles ont dans le nouveau chef du PQ, qui trouve justes les conditions de travail imposées dans la fonction publique puisqu'il n'a absolument pas l'intention d'abroger les décrets quand il prendra le pouvoir.
Je souhaite aussi qu'Henri Massé se tourne parfois la langue sept fois dans la bouche avant de parler, affirmant par exemple qu'un gouvernement Harper, ça ne l'«empêche pas de dormir». Il sait bien qu'un gouvernement qui remettrait sous forme de crédit d'impôt et de paiement direct aux citoyens le financement des garderies et des transports en commun et qui prendrait l'Alberta et les États-Unis comme modèles de société, il sait bien, Henri Massé, que ce gouvernement l'empêcherait de dormir.
Je rêve que Françoise David découvre que pour réussir à «faire de la politique autrement», il faut avant tout faire de la politique, avoir une stratégie et développer un message clair et direct qui fait aussi appel aux émotions. Je ne lui demande cependant pas d'aller aussi loin dans la reconversion populiste que son ancien camarade marxiste Gilles Duceppe.
En tant que membre de la société, je rêve que nous cessions de dire «eux» quand nous parlons des travailleurs syndiqués qui réclament des conditions de travail raisonnables, «eux» comme s'ils ne faisaient pas partie de «nous». Comme si plus de justice et de prospérité dans une société n'était pas dans l'intérêt de tous. Je rêve que les journalistes simplistes de la télé cessent de poser comme première question à un leader syndical : «Pourquoi prenez-vous la population en otage ?» Ne comprenez-vous pas, faux défenseurs de la population, que la plupart du temps, ceux qui sont pris en otages, ce sont les travailleurs menacés par la sous-traitance, comme à Mont-Tremblant, ou par l'appauvrissement progressif, comme dans la fonction publique ?
Je me prends aussi à rêver en cette veille de nouvelle année qu'il est possible de réhabiliter la politique et de mettre fin à l'érosion lente mais inquiétante pour la démocratie non seulement de la participation aux élections mais aussi de l'intérêt pour la vie collective, dont la politique n'est qu'une forme. Quand je visite des maisons d'enseignement, je découvre que les jeunes sont grandement intéressés par la politique, contrairement aux poncifs qu'on ne cesse de répéter, mais qu'ils sont totalement dépourvus de culture politique et qu'ils considèrent, comme une très grande partie de la population, que la vie politique se déroule en dehors d'eux. Nous sommes collectivement responsables de cette ignorance, journalistes, enseignants, politiciens, syndicalistes. Nous avons abandonné la politique aux politiciens professionnels alors qu'elle nous appartient et nous ne parvenons pas à faire comprendre cette phrase si simple qui dit que «si on ne s'occupe pas de la politique, la politique va s'occuper de nous». Et, en rêvant, je me dis que c'est à l'école que doit commencer dès le primaire cette nécessaire éducation citoyenne, ce cours de «démocratie 101». Je ne parle pas d'imposer une grille d'analyse idéologique comme le fit la CEQ dans les années 70, je parle d'éducation politique un peu comme on le fait de plus en plus avec l'histoire des religions. C'est quoi, la démocratie ? D'où vient-elle ? Quelles formes prend-elle ? C'est quoi, la droite et la gauche ? Pourquoi le système électoral dans les pays européens est-il plus démocratique que le nôtre ? Cet apprentissage, on le réserve maintenant aux rares jeunes qui veulent étudier la politique alors que la politique appartient à chacun de nous et qu'elle devrait être présente comme l'histoire à tous les moments de l'apprentissage scolaire. Voilà, je rêve que les politiciens seront frappés par la lumière et que l'école enseignera que nous sommes maîtres de nos destins, que la politique est l'outil remarquable et digne que nous nous sommes donné pour participer et organiser nos vies quotidiennes. Je rêve qu'en même temps que le calcul, on enseigne la société. Comme disait le penseur célèbre, «je rêve, donc je suis». Pour cette nouvelle année, je vous souhaite beaucoup de rêves et moins de cynisme. --Message edité par tuberale le 2005-12-31 11:29:56--
Gil Courtemanche
Édition du samedi 31 décembre 2005 et du dimanche 1er janvier 2006
Je ne sais trop pourquoi, mais pendant la période des Fêtes, je rêve souvent que ce temps de réjouissances et de présents est aussi une période de réflexion et que la trêve dans nos activités normales peut se transformer en chemin de Damas, vous savez, ce chemin sur lequel saint Paul connut la lumière et la révélation. Je me surprends donc à penser qu'au cours d'un réveillon, telle ou telle personnalité politique sera frappée par la grâce et se mettra comme par magie à comprendre ce que la majorité des gens normaux ont saisi depuis longtemps.
Ainsi, je rêve que Jean Charest découvre qu'on peut parfois défier l'opinion publique et que c'est en effet un signe de leadership mais qu'on ne peut sans cesse gouverner contre et malgré la population. Cela s'appelle de l'arrogance, du mépris et du dogmatisme. Je ne crois cependant pas que la grâce, toute-puissante soit-elle, puisse percer le vêtement d'acier de Monique Jérôme-Forget.
Je rêve que Paul Martin comprenne que Stephen Harper ne dit pas toujours des bêtises et qu'il a raison lorsqu'il soutient que le Parti libéral et son chef sont les deux principaux responsables de la montée de la ferveur souverainiste au Québec et que, s'il conserve le même regard hautain, il présidera peut-être à l'éclatement du pays.
Je rêve qu'André Boisclair cesse, tel un pape qui se réfère aux Saintes Écritures, de toujours nous renvoyer au programme du Parti québécois quand on lui pose une question, d'autant qu'il n'aime pas ce programme et n'attend que le moment où il sera premier ministre pour le jeter aux orties. Je rêve aussi que les centrales syndicales découvrent quel genre d'allié elles ont dans le nouveau chef du PQ, qui trouve justes les conditions de travail imposées dans la fonction publique puisqu'il n'a absolument pas l'intention d'abroger les décrets quand il prendra le pouvoir.
Je souhaite aussi qu'Henri Massé se tourne parfois la langue sept fois dans la bouche avant de parler, affirmant par exemple qu'un gouvernement Harper, ça ne l'«empêche pas de dormir». Il sait bien qu'un gouvernement qui remettrait sous forme de crédit d'impôt et de paiement direct aux citoyens le financement des garderies et des transports en commun et qui prendrait l'Alberta et les États-Unis comme modèles de société, il sait bien, Henri Massé, que ce gouvernement l'empêcherait de dormir.
Je rêve que Françoise David découvre que pour réussir à «faire de la politique autrement», il faut avant tout faire de la politique, avoir une stratégie et développer un message clair et direct qui fait aussi appel aux émotions. Je ne lui demande cependant pas d'aller aussi loin dans la reconversion populiste que son ancien camarade marxiste Gilles Duceppe.
En tant que membre de la société, je rêve que nous cessions de dire «eux» quand nous parlons des travailleurs syndiqués qui réclament des conditions de travail raisonnables, «eux» comme s'ils ne faisaient pas partie de «nous». Comme si plus de justice et de prospérité dans une société n'était pas dans l'intérêt de tous. Je rêve que les journalistes simplistes de la télé cessent de poser comme première question à un leader syndical : «Pourquoi prenez-vous la population en otage ?» Ne comprenez-vous pas, faux défenseurs de la population, que la plupart du temps, ceux qui sont pris en otages, ce sont les travailleurs menacés par la sous-traitance, comme à Mont-Tremblant, ou par l'appauvrissement progressif, comme dans la fonction publique ?
Je me prends aussi à rêver en cette veille de nouvelle année qu'il est possible de réhabiliter la politique et de mettre fin à l'érosion lente mais inquiétante pour la démocratie non seulement de la participation aux élections mais aussi de l'intérêt pour la vie collective, dont la politique n'est qu'une forme. Quand je visite des maisons d'enseignement, je découvre que les jeunes sont grandement intéressés par la politique, contrairement aux poncifs qu'on ne cesse de répéter, mais qu'ils sont totalement dépourvus de culture politique et qu'ils considèrent, comme une très grande partie de la population, que la vie politique se déroule en dehors d'eux. Nous sommes collectivement responsables de cette ignorance, journalistes, enseignants, politiciens, syndicalistes. Nous avons abandonné la politique aux politiciens professionnels alors qu'elle nous appartient et nous ne parvenons pas à faire comprendre cette phrase si simple qui dit que «si on ne s'occupe pas de la politique, la politique va s'occuper de nous». Et, en rêvant, je me dis que c'est à l'école que doit commencer dès le primaire cette nécessaire éducation citoyenne, ce cours de «démocratie 101». Je ne parle pas d'imposer une grille d'analyse idéologique comme le fit la CEQ dans les années 70, je parle d'éducation politique un peu comme on le fait de plus en plus avec l'histoire des religions. C'est quoi, la démocratie ? D'où vient-elle ? Quelles formes prend-elle ? C'est quoi, la droite et la gauche ? Pourquoi le système électoral dans les pays européens est-il plus démocratique que le nôtre ? Cet apprentissage, on le réserve maintenant aux rares jeunes qui veulent étudier la politique alors que la politique appartient à chacun de nous et qu'elle devrait être présente comme l'histoire à tous les moments de l'apprentissage scolaire. Voilà, je rêve que les politiciens seront frappés par la lumière et que l'école enseignera que nous sommes maîtres de nos destins, que la politique est l'outil remarquable et digne que nous nous sommes donné pour participer et organiser nos vies quotidiennes. Je rêve qu'en même temps que le calcul, on enseigne la société. Comme disait le penseur célèbre, «je rêve, donc je suis». Pour cette nouvelle année, je vous souhaite beaucoup de rêves et moins de cynisme. --Message edité par tuberale le 2005-12-31 11:29:56--