Publié : sam. déc. 10, 2005 5:01 am
Le symbole Outremont
Le PQ espère transposer la grogne populaire en victoire. Les libéraux comptent sur une vedette pour sauver la mise.
Brian Myles
Édition du samedi 10 et du dimanche 11 décembre 2005
Pour le Parti québécois (PQ) et son candidat, Farouk Karim, la partielle d'Outremont marque le 2e round de l'affrontement entre Jean Charest et les étudiants. Après avoir fait reculer les libéraux sur les 103 millions de bourses converties en prêts, pourraient-ils les chasser d'Outremont, cet imprenable bastion? M. Karim en est si convaincu qu'il leur a fait la cour dès sept heures du matin au pied de l'Université de Montréal.
Environ 3000 à 4000 étudiants résident dans la circonscrïption d'Outremont, évalue le candidat péquiste. Dans la catégorie des moins de 25 ans, à peine un électeur sur cinq exerce son droit de vote. «Les jeunes peuvent décider quel député ils veulent», lance Farouk Karim. «Si on arrive à augmenter ce pourcentage, ça va faire la différence.»
«Une fois qu'on a contesté dans la rue, si on veut faire payer un prix à un politicien, il faut que ça se transforme en vote. C'est le message sur lequel on fait campagne auprès des étudiants», ajoute-t-il.
La profonde insatisfaction de la population à l'égard du gouvernement Charest permet à Farouk Karim d'entretenir tous les espoirs, bien que l'UFP, avec Omar Aktouf, et le Parti vert (Christopher Coggan) pourraient lui ravir des votes chez les jeunes.
M. Karim se croit capable de bénéficier de «l'effet Farouk», compte tenu du fait qu'il a grandi dans l'arrondissement Côte-des-Neiges et qu'il fut le principal organisateur des étudiants dans le dossier des prêts et bourses. Âgé de 29 ans, il veut répéter l'exploit d'Elsie Lefebvre, la jeune député péquiste qu'il a aidée à remporter une victoire inattendue, l'an dernier, lors de la partielle de Laurier-Dorion. Toute sa campagne, jusqu'au slogan («Vous voyez rouge ? Votez bleu !») est basée sur le bilan négatif des libéraux.
Sauf que les libéraux n'ont pas refait l'erreur de Laurier-Dorion, cette fois. Ils ont dégoté un candidat détenant une enviable réputation, l'ancien président du Fonds de solidarité de la FTQ, Raymond Bachand, pour combler le siège laissé vacant par Yves Séguin. Et les libéraux ont prêté main forte à M. Bachand sur le terrain, avec des visites récurrentes des têtes d'affiche du parti.
Selon Jean-Herman Guay, professeur en sciences politiques à l'Université Sherbrooke, les libéraux ne peuvent se permettre une défaite, ni même une courte victoire à Outremont, surtout après avoir recruté un candidat de l'envergure de Raymond Bachand, un ancien souverainiste qui a reçu l'appui inconditionnel de l'ex-chef péquiste Pierre Marc Johnson.
«On a déjà franchi le cap de la mi-mandat. On se retrouve dans une conjoncture où les libéraux fédéraux sont en difficulté au Québec. Si les libéraux [de Jean Charest] devaient perdre Outremont en ayant obtenu un si brillant candidat et l'appui d'un ancien chef de la formation opposée, ça voudrait dire qu'il est temps de réfléchir sérieusement à une course au leadership», affirme M. Guay.
Rarement le PQ s'est trouvé en aussi bonne posture face aux libéraux, honnis par une majorité claire d'électeurs dans les sondages. «Dans bien des circonscrïptions francophones, le Parti libéral est presque troisième, observe M. Guay. Il y a presque un écart de 15 à 20 points entre le PQ et le PLQ. C'est gigantesque.»
La côte et la montagne
Pour les besoins du scrutin provincial, Outremont s'étend de l'avenue de L'Esplanade, à l'est, à l'autoroute Décarie, à l'ouest. Dans leurs discours, Raymond Bachand et Farouk Karim ont d'ailleurs rebaptisé la circonscrïption «Outremont-Côte-des-Neiges» pour refléter la double réalité du coin. Ils ont même ouvert deux bureaux de campagne chacun, un dans l'Outremont de la montagne, l'autre sur Côte-des-Neiges, pour rejoindre des clientèles spécifiques.
À Outremont, où est né Raymond Bachand à l'époque de la Grande Noirceur, le revenu moyen des familles est de 113 825 $. À peine 16 % de la population est classée dans la catégorie à faible revenu. Dans Côte-des-Neiges, où Farouk Karim a atterri dès l'âge de deux ans avec ses parents, en provenance de Madagascar, le revenu moyen des familles est de 56 277 $; 37 % d'entre eux vivent de faibles revenus.
Outremont est blanc et francophone en majorité. Côte-des-Neiges, c'est un condensé de la planète, avec une centaine de communautés culturelles répertoriées, dont une quarantaine assez bien organisées. Elles parlent autant l'anglais, le français et des dizaines d'autres langues, la plus importante étant l'arabe. Raymond Bachand voit dans cette mosaïque «le Québec de demain». «La priorité locale, à Côte-des-Neiges, c'est l'intégration des communautés culturelles», dit-il.
M. Bachand se décrit comme un rassembleur qui, avec son expérience en affaires, espère aider les groupes communautaires du quartier à tisser des liens avec les entreprises, notamment pour la recherche d'emploi.
Les deux candidats ont d'ailleurs rivalisé de promesses pour assurer l'intégration des communautés culturelles et éliminer le risque de ghettoïsation résultant d'une discrimination rampante à leur égard. Farouk Karim a fait une sortie remarquée avec le nouveau chef du PQ, André Boisclair, en dénonçant le taux de chômage deux fois plus élevé chez les membres des communautés culturelles que chez les «pure laine» et leur quasi-absence de la fonction publique.
C'est le seul incident qui a indigné M. Bachand. «Karim a un culot inouï et beaucoup de démagogie [...] en essayant d'attiser l'insatisfaction des immigrants quand il représente un parti qui a été au pouvoir pendant neuf des onze dernières années. Et il se plaint qu'il n'y a pas assez de diversité culturelle dans la fonction publique ? Il n'a qu'à se regarder dans le miroir.»
Beaucoup d'encre a coulé sur la conversion de Raymond Bachand aux valeurs libérales. Le principal intéressé précise qu'il s'agit de l'aboutissement d'une longue réflexion. Selon lui, un troisième référendum sur la souveraineté fera reculer le Québec qui, dans les trois ou quatre prochaines années, est appelé à faire des choix «aussi importants qu'à la Révolution tranquille» dans la santé, l'éducation, le développement durable et la culture. «Je trouve qu'on a de l'espace, dans le système fédéral canadien, pour s'épanouir et progresser comme peuple», estime-t-il. Raymond Bachand situe son implication politique au-delà de l'obsession référendaire. L'économiste en lui est soucieux de «créer la richesse économique pour avoir la justice sociale».
La montagne rouge
Un gros «L» libéral pourrait remplacer la croix qui surplombe le mont Royal. Depuis la nuit des temps, Outremont a voté rouge, tant au fédéral qu'au provincial, exception faite de l'élection de Jean-Pierre Hogue, avec les conservateurs en 1988. Depuis sa naissance en 1970, le Parti québécois n'est jamais passé proche de ravir le joyau aux libéraux. Même aux beaux jours de René Lévesque, les souverainistes ne faisaient guère mieux que 37 à 43 % des votes.
Dans l'espoir de «faire sortir» le vote étudiant, Farouk Karim s'est adjoint les services de 80 bénévoles qui ont tenté d'inscrire le plus grand nombre d'étudiants possible sur les listes électorales cet automne.
Les plus récentes données, compilées cette semaine par le directeur du scrutin, indiquent que ces efforts n'ont pas donné les résultats escomptés. Le nombre d'électeurs enregistrés est passé de 41 422 à 41 706 personnes, un modeste gain. Les péquistes espéraient que le vote par anticipation soit plus fort qu'à l'habitude, selon la logique du ressentiment profond à l'égard du gouvernement Charest. Or il oscillait sous les 6 %, un résultat tout à fait normal. Mais le vrai test, c'est pour lundi.
Le PQ espère transposer la grogne populaire en victoire. Les libéraux comptent sur une vedette pour sauver la mise.
Brian Myles
Édition du samedi 10 et du dimanche 11 décembre 2005
Pour le Parti québécois (PQ) et son candidat, Farouk Karim, la partielle d'Outremont marque le 2e round de l'affrontement entre Jean Charest et les étudiants. Après avoir fait reculer les libéraux sur les 103 millions de bourses converties en prêts, pourraient-ils les chasser d'Outremont, cet imprenable bastion? M. Karim en est si convaincu qu'il leur a fait la cour dès sept heures du matin au pied de l'Université de Montréal.
Environ 3000 à 4000 étudiants résident dans la circonscrïption d'Outremont, évalue le candidat péquiste. Dans la catégorie des moins de 25 ans, à peine un électeur sur cinq exerce son droit de vote. «Les jeunes peuvent décider quel député ils veulent», lance Farouk Karim. «Si on arrive à augmenter ce pourcentage, ça va faire la différence.»
«Une fois qu'on a contesté dans la rue, si on veut faire payer un prix à un politicien, il faut que ça se transforme en vote. C'est le message sur lequel on fait campagne auprès des étudiants», ajoute-t-il.
La profonde insatisfaction de la population à l'égard du gouvernement Charest permet à Farouk Karim d'entretenir tous les espoirs, bien que l'UFP, avec Omar Aktouf, et le Parti vert (Christopher Coggan) pourraient lui ravir des votes chez les jeunes.
M. Karim se croit capable de bénéficier de «l'effet Farouk», compte tenu du fait qu'il a grandi dans l'arrondissement Côte-des-Neiges et qu'il fut le principal organisateur des étudiants dans le dossier des prêts et bourses. Âgé de 29 ans, il veut répéter l'exploit d'Elsie Lefebvre, la jeune député péquiste qu'il a aidée à remporter une victoire inattendue, l'an dernier, lors de la partielle de Laurier-Dorion. Toute sa campagne, jusqu'au slogan («Vous voyez rouge ? Votez bleu !») est basée sur le bilan négatif des libéraux.
Sauf que les libéraux n'ont pas refait l'erreur de Laurier-Dorion, cette fois. Ils ont dégoté un candidat détenant une enviable réputation, l'ancien président du Fonds de solidarité de la FTQ, Raymond Bachand, pour combler le siège laissé vacant par Yves Séguin. Et les libéraux ont prêté main forte à M. Bachand sur le terrain, avec des visites récurrentes des têtes d'affiche du parti.
Selon Jean-Herman Guay, professeur en sciences politiques à l'Université Sherbrooke, les libéraux ne peuvent se permettre une défaite, ni même une courte victoire à Outremont, surtout après avoir recruté un candidat de l'envergure de Raymond Bachand, un ancien souverainiste qui a reçu l'appui inconditionnel de l'ex-chef péquiste Pierre Marc Johnson.
«On a déjà franchi le cap de la mi-mandat. On se retrouve dans une conjoncture où les libéraux fédéraux sont en difficulté au Québec. Si les libéraux [de Jean Charest] devaient perdre Outremont en ayant obtenu un si brillant candidat et l'appui d'un ancien chef de la formation opposée, ça voudrait dire qu'il est temps de réfléchir sérieusement à une course au leadership», affirme M. Guay.
Rarement le PQ s'est trouvé en aussi bonne posture face aux libéraux, honnis par une majorité claire d'électeurs dans les sondages. «Dans bien des circonscrïptions francophones, le Parti libéral est presque troisième, observe M. Guay. Il y a presque un écart de 15 à 20 points entre le PQ et le PLQ. C'est gigantesque.»
La côte et la montagne
Pour les besoins du scrutin provincial, Outremont s'étend de l'avenue de L'Esplanade, à l'est, à l'autoroute Décarie, à l'ouest. Dans leurs discours, Raymond Bachand et Farouk Karim ont d'ailleurs rebaptisé la circonscrïption «Outremont-Côte-des-Neiges» pour refléter la double réalité du coin. Ils ont même ouvert deux bureaux de campagne chacun, un dans l'Outremont de la montagne, l'autre sur Côte-des-Neiges, pour rejoindre des clientèles spécifiques.
À Outremont, où est né Raymond Bachand à l'époque de la Grande Noirceur, le revenu moyen des familles est de 113 825 $. À peine 16 % de la population est classée dans la catégorie à faible revenu. Dans Côte-des-Neiges, où Farouk Karim a atterri dès l'âge de deux ans avec ses parents, en provenance de Madagascar, le revenu moyen des familles est de 56 277 $; 37 % d'entre eux vivent de faibles revenus.
Outremont est blanc et francophone en majorité. Côte-des-Neiges, c'est un condensé de la planète, avec une centaine de communautés culturelles répertoriées, dont une quarantaine assez bien organisées. Elles parlent autant l'anglais, le français et des dizaines d'autres langues, la plus importante étant l'arabe. Raymond Bachand voit dans cette mosaïque «le Québec de demain». «La priorité locale, à Côte-des-Neiges, c'est l'intégration des communautés culturelles», dit-il.
M. Bachand se décrit comme un rassembleur qui, avec son expérience en affaires, espère aider les groupes communautaires du quartier à tisser des liens avec les entreprises, notamment pour la recherche d'emploi.
Les deux candidats ont d'ailleurs rivalisé de promesses pour assurer l'intégration des communautés culturelles et éliminer le risque de ghettoïsation résultant d'une discrimination rampante à leur égard. Farouk Karim a fait une sortie remarquée avec le nouveau chef du PQ, André Boisclair, en dénonçant le taux de chômage deux fois plus élevé chez les membres des communautés culturelles que chez les «pure laine» et leur quasi-absence de la fonction publique.
C'est le seul incident qui a indigné M. Bachand. «Karim a un culot inouï et beaucoup de démagogie [...] en essayant d'attiser l'insatisfaction des immigrants quand il représente un parti qui a été au pouvoir pendant neuf des onze dernières années. Et il se plaint qu'il n'y a pas assez de diversité culturelle dans la fonction publique ? Il n'a qu'à se regarder dans le miroir.»
Beaucoup d'encre a coulé sur la conversion de Raymond Bachand aux valeurs libérales. Le principal intéressé précise qu'il s'agit de l'aboutissement d'une longue réflexion. Selon lui, un troisième référendum sur la souveraineté fera reculer le Québec qui, dans les trois ou quatre prochaines années, est appelé à faire des choix «aussi importants qu'à la Révolution tranquille» dans la santé, l'éducation, le développement durable et la culture. «Je trouve qu'on a de l'espace, dans le système fédéral canadien, pour s'épanouir et progresser comme peuple», estime-t-il. Raymond Bachand situe son implication politique au-delà de l'obsession référendaire. L'économiste en lui est soucieux de «créer la richesse économique pour avoir la justice sociale».
La montagne rouge
Un gros «L» libéral pourrait remplacer la croix qui surplombe le mont Royal. Depuis la nuit des temps, Outremont a voté rouge, tant au fédéral qu'au provincial, exception faite de l'élection de Jean-Pierre Hogue, avec les conservateurs en 1988. Depuis sa naissance en 1970, le Parti québécois n'est jamais passé proche de ravir le joyau aux libéraux. Même aux beaux jours de René Lévesque, les souverainistes ne faisaient guère mieux que 37 à 43 % des votes.
Dans l'espoir de «faire sortir» le vote étudiant, Farouk Karim s'est adjoint les services de 80 bénévoles qui ont tenté d'inscrire le plus grand nombre d'étudiants possible sur les listes électorales cet automne.
Les plus récentes données, compilées cette semaine par le directeur du scrutin, indiquent que ces efforts n'ont pas donné les résultats escomptés. Le nombre d'électeurs enregistrés est passé de 41 422 à 41 706 personnes, un modeste gain. Les péquistes espéraient que le vote par anticipation soit plus fort qu'à l'habitude, selon la logique du ressentiment profond à l'égard du gouvernement Charest. Or il oscillait sous les 6 %, un résultat tout à fait normal. Mais le vrai test, c'est pour lundi.