Publié : sam. déc. 10, 2005 5:14 am
LA COUR D'APPEL DU QUÉBEC RECOMMANDE SA DESTITUTION
Lourde sentence contre la juge Ruffo
Louise Leduc
La Presse
Une juge n'a pas à jouer les militantes pour les enfants de la DPJ. Une juge ne peut pas ordonner, en un geste d'éclat, que des enfants soient conduits chez un ministre. Une juge ne peut pas associer son nom à une pétition. Une juge ne peut pas faire des pubs de VIA Rail parce qu'elle «aime le train». C'en est trop : en un geste exceptionnel, la Cour d'appel recommande maintenant au ministère de la Justice de destituer la juge Andrée Ruffo.
Oui, la défense des enfants est une noble cause; oui, la juge Andrée Ruffo «a raison de s'inquiéter du manque de ressources». Tout est cependant dans la manière, et les cinq juges de la Cour d'appel appelés à se prononcer sur le cas de la juge concluent que sa conduite des 20 dernières années «porte si manifestement et si totalement atteinte à l'impartialité, l'indépendance de la magistrature qu'elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice».
La juge Ruffo a «sciemment rendu des décisions illégales», elle a «commenté publiquement des dossiers dont elle était saisie», elle a omis de divulguer «l'amitié professionnelle qui la liait à une personne appelée à témoigner devant elle». La liste des écarts reprochés à la juge Ruffo est longue et chacun d'entre eux est grave, mais «le cumul des fautes déontologiques constituait un facteur aggravant qui devait être pris en compte», peut-on lire dans le rapport.
Autre facteur aggravant, selon la Cour d'appel : la «dérive disciplinaire» consécutive à son attitude d'affrontement, «qui est allée bien au-delà du droit légitime du juge de se défendre face à une plainte».
Il reviendra au ministre de la Justice, Yvon Marcoux, de décider s'il suivra la recommandation de la Cour d'appel et s'il destituera Andrée Ruffo.
Venue en personne à la Cour d'appel cueillir son rapport, Andrée Ruffo a été accueillie par un barrage de médias. Sur-le-champ, elle a déclaré son intention de soumettre sa cause à la Cour suprême. «Je suis passée par une terrible dépression. J'ai été bien soignée, j'ai été accompagnée par une thérapeute et je sais qu'on ne peut plus me faire mal.»
Au gré des quatre réprimandes et des 350 plaintes déposées contre elle, la facture associée à l'affaire Ruffo dépassait déjà 2 millions en 2004, dont près d'un million en honoraires aux avocats retenus par la juge Ruffo. Ces sommes mirobolantes ne commencent-elles pas à être embêtantes ? «Tout l'argent qu'ils mettront pour m'accuser, j'en mettrai autant pour me défendre», a-t-elle répondu.
Juge Téflon, toutes les réprimandes ne la feront pas changer. «Il n'est pas question de moi ici. Il s'agit d'une question de justice pour les enfants», insiste-t-elle.
Ce qu'elle comprend du rapport écrit sur son compte, c'est que, comme juge, il vaut mieux être gentille et se taire : «Il n'y a pas de place à la différence, pas de place pour se tenir debout.»
Le rapport de la Cour d'appel prétend le contraire, soutient «qu'il est du devoir des juges de témoigner des manquements au respect des droits fondamentaux de l'être humain», qu'elle pouvait à la fois «soutenir la cause des enfants et accomplir consciencieusement ses fonctions de juge». Du même souffle, le rapport souligne pourtant que la juge Ruffo «se devait d'agir «avec retenue et impartialité».
Vers une grande carrière publique ? «Si la juge Ruffo est ultimement destituée, elle est en tout cas promise à une grande carrière publique», lance en entrevue téléphonique Pierre Noreau, directeur du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal et auteur de l'ouvrage La Déontologie judiciaire appliquée.
Le professeur Noreau note que «la Cour d'appel reconnaît que la cause de la juge Ruffo est excellente», mais lui souligne à mots à peine couverts qu'il y a confusion des genres : une juge n'est pas une politicienne.
Aussi triste et coûteuse qu'aura été toute cette affaire, elle aura au moins eu l'avantage de venir préciser les règles qui régissent la profession de juge. «Une bonne partie des décisions sur l'interprétation de la loi sur les tribunaux judiciaires mettent d'ailleurs en cause la juge Ruffo.»
A-t-elle une bonne chance de se faire entendre par la Cour suprême ? Difficile à dire, selon M. Noreau. D'un côté, l'accablant rapport de la Cour d'appel est très complet. De l'autre côté, peu de questions de déontologie judiciaire se rendent devant la Cour suprême, qui sera peut-être tentée de sauter sur l'occasion.
Jusqu'ici, seuls trois juges nommés par Québec ont été destitués.
Lourde sentence contre la juge Ruffo
Louise Leduc
La Presse
Une juge n'a pas à jouer les militantes pour les enfants de la DPJ. Une juge ne peut pas ordonner, en un geste d'éclat, que des enfants soient conduits chez un ministre. Une juge ne peut pas associer son nom à une pétition. Une juge ne peut pas faire des pubs de VIA Rail parce qu'elle «aime le train». C'en est trop : en un geste exceptionnel, la Cour d'appel recommande maintenant au ministère de la Justice de destituer la juge Andrée Ruffo.
Oui, la défense des enfants est une noble cause; oui, la juge Andrée Ruffo «a raison de s'inquiéter du manque de ressources». Tout est cependant dans la manière, et les cinq juges de la Cour d'appel appelés à se prononcer sur le cas de la juge concluent que sa conduite des 20 dernières années «porte si manifestement et si totalement atteinte à l'impartialité, l'indépendance de la magistrature qu'elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice».
La juge Ruffo a «sciemment rendu des décisions illégales», elle a «commenté publiquement des dossiers dont elle était saisie», elle a omis de divulguer «l'amitié professionnelle qui la liait à une personne appelée à témoigner devant elle». La liste des écarts reprochés à la juge Ruffo est longue et chacun d'entre eux est grave, mais «le cumul des fautes déontologiques constituait un facteur aggravant qui devait être pris en compte», peut-on lire dans le rapport.
Autre facteur aggravant, selon la Cour d'appel : la «dérive disciplinaire» consécutive à son attitude d'affrontement, «qui est allée bien au-delà du droit légitime du juge de se défendre face à une plainte».
Il reviendra au ministre de la Justice, Yvon Marcoux, de décider s'il suivra la recommandation de la Cour d'appel et s'il destituera Andrée Ruffo.
Venue en personne à la Cour d'appel cueillir son rapport, Andrée Ruffo a été accueillie par un barrage de médias. Sur-le-champ, elle a déclaré son intention de soumettre sa cause à la Cour suprême. «Je suis passée par une terrible dépression. J'ai été bien soignée, j'ai été accompagnée par une thérapeute et je sais qu'on ne peut plus me faire mal.»
Au gré des quatre réprimandes et des 350 plaintes déposées contre elle, la facture associée à l'affaire Ruffo dépassait déjà 2 millions en 2004, dont près d'un million en honoraires aux avocats retenus par la juge Ruffo. Ces sommes mirobolantes ne commencent-elles pas à être embêtantes ? «Tout l'argent qu'ils mettront pour m'accuser, j'en mettrai autant pour me défendre», a-t-elle répondu.
Juge Téflon, toutes les réprimandes ne la feront pas changer. «Il n'est pas question de moi ici. Il s'agit d'une question de justice pour les enfants», insiste-t-elle.
Ce qu'elle comprend du rapport écrit sur son compte, c'est que, comme juge, il vaut mieux être gentille et se taire : «Il n'y a pas de place à la différence, pas de place pour se tenir debout.»
Le rapport de la Cour d'appel prétend le contraire, soutient «qu'il est du devoir des juges de témoigner des manquements au respect des droits fondamentaux de l'être humain», qu'elle pouvait à la fois «soutenir la cause des enfants et accomplir consciencieusement ses fonctions de juge». Du même souffle, le rapport souligne pourtant que la juge Ruffo «se devait d'agir «avec retenue et impartialité».
Vers une grande carrière publique ? «Si la juge Ruffo est ultimement destituée, elle est en tout cas promise à une grande carrière publique», lance en entrevue téléphonique Pierre Noreau, directeur du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal et auteur de l'ouvrage La Déontologie judiciaire appliquée.
Le professeur Noreau note que «la Cour d'appel reconnaît que la cause de la juge Ruffo est excellente», mais lui souligne à mots à peine couverts qu'il y a confusion des genres : une juge n'est pas une politicienne.
Aussi triste et coûteuse qu'aura été toute cette affaire, elle aura au moins eu l'avantage de venir préciser les règles qui régissent la profession de juge. «Une bonne partie des décisions sur l'interprétation de la loi sur les tribunaux judiciaires mettent d'ailleurs en cause la juge Ruffo.»
A-t-elle une bonne chance de se faire entendre par la Cour suprême ? Difficile à dire, selon M. Noreau. D'un côté, l'accablant rapport de la Cour d'appel est très complet. De l'autre côté, peu de questions de déontologie judiciaire se rendent devant la Cour suprême, qui sera peut-être tentée de sauter sur l'occasion.
Jusqu'ici, seuls trois juges nommés par Québec ont été destitués.