Publié : jeu. déc. 01, 2005 5:31 am
Parler à un vieux pour 25 cents
Émilie Dubreuil
Collaboration spéciale, La Presse
Jessica vient de mettre 25 cents dans la tirelire en forme de cochon rose posée devant Réjean Vanasse. Elle veut savoir si les vieux sont sages. L'homme rigole «Ben non: un jeune con, ça fait un vieux con. C'est pas parce qu'on est vieux qu'on est sage; ce n'est pas parce qu'on est sage qu'on est vieux. Ça pas rap comme vous dites...»
Bonne question pour un homme qui propose une fois par mois aux élèves du collège de Maisonneuve de consulter un vieux pour la modique somme de 25 cents. «Ils m'interrogent sur à peu près tout: Bush, la guerre, l'amour, le sexe. Toutes sortes de choses. À ma dernière visite, par exemple, une jeune fille m'a demandé très sérieusement si faire l'amour rendait la peau plus douce! J'ai failli tomber en bas de ma chaise! Souvent, ils n'ont pas de vieux à qui parler et ça les rassure de discuter avec moi. Mais, moi je leur dis bien que ce que j'offre, c'est de consulter un vieux, pas un sage.»
Le bureau de consultations de Réjean Vanasse surprend dans l'atmosphère survoltée du Foyer où se rendent les élèves à l'heure du midi. Les offres de divertissement n'y manquent pas: la conférence d'un politicien connu, un match d'improvisation et un concours de break dance. Dans le brouhaha, Réjean Vanasse est assis sagement et sourit. À 68 ans, il est retraité du monde des télécommunications, pratique l'équitation et la chasse à l'orignal. Mais, ce qu'il aime par dessus tout, c'est discuter avec les jeunes.
Lecteur passionné de Charlie Brown, il s'est donc inspiré d'un dessein de Charles M. Shulz dans lequel on voit Lucy offrir des consultations de psychologie à cinq cents, pour proposer au collège de Maisonneuve cette expérience fantaisiste. Un pont entre les générations qui, si elle n'en coûte que 25 cents aux étudiants, n'en vaut pas moins son pesant d'or.
Devant le bureau de consultations, les jeunes attendent leur tour. M. Vanasse est populaire et intrigue les adolescents. C'est au tour de Nicolas. Il veut savoir pourquoi Pauline Marois n'a pas gagné la course à la direction du Parti québécois. Jeremy, lui, ne sait plus quoi faire avec un ami qui est systématiquement en retard. M. Vanasse soupire avant de répondre. «Hum...c'est compliqué. Peut-être devrais-tu accepter ton ami comme il est. On pense à tort qu'on peut se fier à nos amis. En fait, un ami c'est quelqu'un qu'on connaît très bien et qu'on aime pareil!»
«Comment voyez-vous l'amour?» demande Suzanne, jeune vietnamienne qui rêve au prince charmant. La réponse du vieux: «Connais-tu Spinoza? C'est un philosophe. Il disait: L'idée que tu existes me remplit de joie. Ça veut dire que celui qui aime ne demande à l'autre que d'exister. Alors, si le gars que tu aimes te demande de changer, c'est qu'il ne t'aime pas assez. Mais, tu as toute la vie pour comprendre cela et je te souhaite... beaucoup, beaucoup de plaisir en chemin.»
La cloche vient de sonner. Les élèves se dirigent vers leurs classes respectives. Réjean Vanasse défait son kiosque avec le sentiment du devoir accompli. «Ça ne m'a pas servi à rien d'accumuler 68 ans d'expérience sur cette terre!»
C'est un anecdote qui me remplit de tristesse et en même temps d,espoir. Tristesse de voir que la société a érigé un tel mur entre ces 2 opposés générationnels que l'on doivent penser à une rencontre comme ça pour pallier à un manque flagrant que cause cette absence chez la jeunesse. Et en même temps d'espoir car peut-être que lorsque j'aurai atteint cet âge on ne pensera pas nécessairement à me parquer dans un hospice mais que je pourrais, comme ce M. Vanasse être encore utile et partager mon expérience de vie avec les ti-culs..
Émilie Dubreuil
Collaboration spéciale, La Presse
Jessica vient de mettre 25 cents dans la tirelire en forme de cochon rose posée devant Réjean Vanasse. Elle veut savoir si les vieux sont sages. L'homme rigole «Ben non: un jeune con, ça fait un vieux con. C'est pas parce qu'on est vieux qu'on est sage; ce n'est pas parce qu'on est sage qu'on est vieux. Ça pas rap comme vous dites...»
Bonne question pour un homme qui propose une fois par mois aux élèves du collège de Maisonneuve de consulter un vieux pour la modique somme de 25 cents. «Ils m'interrogent sur à peu près tout: Bush, la guerre, l'amour, le sexe. Toutes sortes de choses. À ma dernière visite, par exemple, une jeune fille m'a demandé très sérieusement si faire l'amour rendait la peau plus douce! J'ai failli tomber en bas de ma chaise! Souvent, ils n'ont pas de vieux à qui parler et ça les rassure de discuter avec moi. Mais, moi je leur dis bien que ce que j'offre, c'est de consulter un vieux, pas un sage.»
Le bureau de consultations de Réjean Vanasse surprend dans l'atmosphère survoltée du Foyer où se rendent les élèves à l'heure du midi. Les offres de divertissement n'y manquent pas: la conférence d'un politicien connu, un match d'improvisation et un concours de break dance. Dans le brouhaha, Réjean Vanasse est assis sagement et sourit. À 68 ans, il est retraité du monde des télécommunications, pratique l'équitation et la chasse à l'orignal. Mais, ce qu'il aime par dessus tout, c'est discuter avec les jeunes.
Lecteur passionné de Charlie Brown, il s'est donc inspiré d'un dessein de Charles M. Shulz dans lequel on voit Lucy offrir des consultations de psychologie à cinq cents, pour proposer au collège de Maisonneuve cette expérience fantaisiste. Un pont entre les générations qui, si elle n'en coûte que 25 cents aux étudiants, n'en vaut pas moins son pesant d'or.
Devant le bureau de consultations, les jeunes attendent leur tour. M. Vanasse est populaire et intrigue les adolescents. C'est au tour de Nicolas. Il veut savoir pourquoi Pauline Marois n'a pas gagné la course à la direction du Parti québécois. Jeremy, lui, ne sait plus quoi faire avec un ami qui est systématiquement en retard. M. Vanasse soupire avant de répondre. «Hum...c'est compliqué. Peut-être devrais-tu accepter ton ami comme il est. On pense à tort qu'on peut se fier à nos amis. En fait, un ami c'est quelqu'un qu'on connaît très bien et qu'on aime pareil!»
«Comment voyez-vous l'amour?» demande Suzanne, jeune vietnamienne qui rêve au prince charmant. La réponse du vieux: «Connais-tu Spinoza? C'est un philosophe. Il disait: L'idée que tu existes me remplit de joie. Ça veut dire que celui qui aime ne demande à l'autre que d'exister. Alors, si le gars que tu aimes te demande de changer, c'est qu'il ne t'aime pas assez. Mais, tu as toute la vie pour comprendre cela et je te souhaite... beaucoup, beaucoup de plaisir en chemin.»
La cloche vient de sonner. Les élèves se dirigent vers leurs classes respectives. Réjean Vanasse défait son kiosque avec le sentiment du devoir accompli. «Ça ne m'a pas servi à rien d'accumuler 68 ans d'expérience sur cette terre!»
C'est un anecdote qui me remplit de tristesse et en même temps d,espoir. Tristesse de voir que la société a érigé un tel mur entre ces 2 opposés générationnels que l'on doivent penser à une rencontre comme ça pour pallier à un manque flagrant que cause cette absence chez la jeunesse. Et en même temps d'espoir car peut-être que lorsque j'aurai atteint cet âge on ne pensera pas nécessairement à me parquer dans un hospice mais que je pourrais, comme ce M. Vanasse être encore utile et partager mon expérience de vie avec les ti-culs..