Publié : lun. nov. 21, 2005 3:42 am
Délire pour une école
Des parents campent plusieurs jours devant l'école FACE pour être certains d'y inscrire leurs enfants
Marie-Andrée Chouinard
Édition du lundi 21 novembre 2005
Passer trois nuits dehors sous la tente à quelques minces degrés au-dessus de zéro pour inscrire son enfant à l'école primaire? Fiction ou réalité? Voilà la folie dans laquelle ont plongé cette fin de semaine quelques dizaines de parents, guidés par la volonté féroce d'inscrire leur petit à l'école publique FACE, située en plein centre-ville de Montréal.
Ils étaient près d’une centaine de parents établis en campement hier en fin d’après-midi dans la cour de l’école publique FACE, au centre-ville de Montréal, afin de répondre à la loi du premier arrivé, premier servi, et ainsi assurer une place à leur petit dans cette école à vocation artistique pour la rentrée scolaire 2006-2007.
Une vingtaine de tentes, certaines installées depuis vendredi soir au moins dans la cour d'école de cette institution publique à vocation artistique, témoignaient hier de l'extravagance des parents, prêts à tout pour que leur enfant figure ce matin sur la liste officielle des futurs inscrits 2006-2007 de l'école FACE.
On connaissait l'anxiété des parents devant le choix de l'école secondaire parfaite pour leur marmaille. On savait aussi que certains commençaient à «magasiner» l'établissement de rêve dès la cinquième année du primaire, trimballant leurs enfants de portes ouvertes en portes ouvertes. On soupçonnait aussi un certain délire pour les écoles à vocation particulière, de plus en plus de parents encourageant les bambins à rédiger des examens d'entrée afin de multiplier les chances de succès.
Mais pouvait-on imaginer des parents prêts à établir un campement extérieur en plein mois de novembre trois nuits et trois jours durant -- minimum ! -- pour être certains que junior pianote, chantonne et griffonne à l'école FACE ? «C'est pas pire que d'attendre pour un groupe rock, sauf que, là, c'est pour nos enfants», expliquait hier au Devoir Sylvain Mailloux, installé dehors avec sa conjointe depuis hier matin dans l'espoir d'une place en cinquième année pour leur garçonnet. «Mais est-ce que ç'a du bon sens qu'on soit en ligne pour ça ?»
L'école FACE est l'une des rares à ne pas être «école de quartier» au même titre que les autres de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) ou de la Commission scolaire English-Montreal (CSEM), un périmètre spécifique limitant la quantité possible d'inscrits. Un volet francophone et un volet anglophone font que les deux organisations partagent un même établissement, une autre rareté dans l'univers scolaire. Sans examen d'admission pour vérifier les aptitudes du petit en chant ou en flûte à bec, sans regard sur le dossier scolaire, sans priorité accordée à un résidant du quartier, l'entrée à l'école FACE a connu ces dernières années un engouement sans précédent, accentué sans doute par la réputation enviable que s'est forgée l'école (plutôt bien classée au palmarès de L'actualité pour le secondaire) qui offre un programme intégré en arts, de la pré-maternelle à la cinquième secondaire.
Alors qu'il y a cinq ans à peine, on commençait à s'aligner devant la porte de l'école le lundi à l'aube, l'an dernier, le cap des 24 heures aurait été franchi, certains parents ayant traîné chaise ou tente la veille, fermement résolus à faire une vraie file à la russe pour une place à l'école. Cette année, la rumeur colportée lors de la journée portes ouvertes, au début de la semaine dernière, avait sans doute laissé quelques parents songeurs, puisqu'on avait laissé entendre aux 500 venus s'informer du programme FACE que c'était plutôt vers minuit la veille qu'il fallait commencer à dresser la tente !
Tout ce délire pour une quarantaine de places en maternelle (volet francophone), une trentaine d'autres en pré-maternelle, et quelques places ici et là aux autres niveaux laissées vacantes par des départs en cours de scolarité ! Sylvain Mailloux et sa conjointe Diane Chartier se préparaient au siège pour hier soir, mais, par acquit de conscience, ils ont fait un saut en début de journée du côté de la rue Université, coin Sherbrooke ouest, histoire de vérifier si la voie était libre. Une vingtaine de tentes s'alignaient déjà sagement, ce qui a haussé la tension familiale et accéléré le plan B... Une gardienne pour les deux petits, un thermos de café sous la main et une tente installée pour passer la nuit : les voilà quasi certains de pouvoir tendre l'enveloppe d'inscrïption aux autorités ce matin, aux environs de 8h.
«FACE ne sélectionne pas ses élèves, parce qu'elle est convaincue qu'une éducation artistique doit être accessible à tous», écrit le directeur Nicolas Primiano dans un mot de présentation affiché sur le site Internet de l'école. On connaît la suite... Sans sélection et sans territoire de quartier, comme les autres écoles où la priorité aux parents du coin est clairement destinée, et avec en prime une vocation particulière, la recette est explosive pour attirer les hordes de parents.
Et qui dit hordes pourrait aussi dire chaos. Pour éviter que les premiers arrivés ne perdent leur privilège à la faveur de la cohue et d'une bousculade agressive, comme il semblerait que cela avait été le cas l'an dernier, une maman a pris les choses bien en main hier, distribuant des petits bouts de papier à la volée, et y inscrivant des numéros en... arabe, afin d'éviter la falsification.
«L'être humain a besoin de lois, on est un peu sauvage quelque part», expliquait au Devoir Meriem Elidkissi, dont l'enfant de trois ans fréquentera la pré-maternelle de FACE l'an prochain grâce à la ténacité de sa maman. «Je trouvais qu'il y avait des gens qui entraient dans la file et ce n'était pas clair s'ils y étaient avant ou non. J'ai voulu sensibiliser les gens à l'importance de clarifier un peu tout ça.» Mme Elidkissi devait s'installer hier matin seulement, mais une amie habitant le coin l'a prévenue samedi soir en catastrophe que des tentes jonchaient déjà le terrain, ce qui a précipité son entrée en piste.
«Je ne pensais jamais qu'il y aurait tant de monde !», s'exclamait pour sa part James Zhou, qui était hier le fier numéro 9 de la ligne, après un campement entamé à 16h samedi. La famille habite Verdun, et se dit prête aux vingt minutes de voiture aller et retour pour conduire fiston à cette école, qui les intéresse pour les arts.
Éclairés par les lampadaires de la cour d'école, les parents plongeaient hier dans les livres, sirotaient un café, se relayant pour aller chercher de quoi manger ou même s'évader au petit coin -- non fourni par l'école ! Malgré l'ordre apparent de la file, certains s'inquiétaient toutefois que la belle quiétude des dernières heures ne s'envole au petit matin au moment de s'aligner pour de bon, sans tente ni sac de couchage.
«On sent une certaine angoisse en vue de demain matin», explique une maman arrivée hier en matinée. «Est-ce que tout ça tiendra le coup jusqu'à l'ouverture ?» Comme si cette séance de camping scolaire pouvait soudainement tourner au camping sauvage...
Des parents campent plusieurs jours devant l'école FACE pour être certains d'y inscrire leurs enfants
Marie-Andrée Chouinard
Édition du lundi 21 novembre 2005
Passer trois nuits dehors sous la tente à quelques minces degrés au-dessus de zéro pour inscrire son enfant à l'école primaire? Fiction ou réalité? Voilà la folie dans laquelle ont plongé cette fin de semaine quelques dizaines de parents, guidés par la volonté féroce d'inscrire leur petit à l'école publique FACE, située en plein centre-ville de Montréal.
Ils étaient près d’une centaine de parents établis en campement hier en fin d’après-midi dans la cour de l’école publique FACE, au centre-ville de Montréal, afin de répondre à la loi du premier arrivé, premier servi, et ainsi assurer une place à leur petit dans cette école à vocation artistique pour la rentrée scolaire 2006-2007.
Une vingtaine de tentes, certaines installées depuis vendredi soir au moins dans la cour d'école de cette institution publique à vocation artistique, témoignaient hier de l'extravagance des parents, prêts à tout pour que leur enfant figure ce matin sur la liste officielle des futurs inscrits 2006-2007 de l'école FACE.
On connaissait l'anxiété des parents devant le choix de l'école secondaire parfaite pour leur marmaille. On savait aussi que certains commençaient à «magasiner» l'établissement de rêve dès la cinquième année du primaire, trimballant leurs enfants de portes ouvertes en portes ouvertes. On soupçonnait aussi un certain délire pour les écoles à vocation particulière, de plus en plus de parents encourageant les bambins à rédiger des examens d'entrée afin de multiplier les chances de succès.
Mais pouvait-on imaginer des parents prêts à établir un campement extérieur en plein mois de novembre trois nuits et trois jours durant -- minimum ! -- pour être certains que junior pianote, chantonne et griffonne à l'école FACE ? «C'est pas pire que d'attendre pour un groupe rock, sauf que, là, c'est pour nos enfants», expliquait hier au Devoir Sylvain Mailloux, installé dehors avec sa conjointe depuis hier matin dans l'espoir d'une place en cinquième année pour leur garçonnet. «Mais est-ce que ç'a du bon sens qu'on soit en ligne pour ça ?»
L'école FACE est l'une des rares à ne pas être «école de quartier» au même titre que les autres de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) ou de la Commission scolaire English-Montreal (CSEM), un périmètre spécifique limitant la quantité possible d'inscrits. Un volet francophone et un volet anglophone font que les deux organisations partagent un même établissement, une autre rareté dans l'univers scolaire. Sans examen d'admission pour vérifier les aptitudes du petit en chant ou en flûte à bec, sans regard sur le dossier scolaire, sans priorité accordée à un résidant du quartier, l'entrée à l'école FACE a connu ces dernières années un engouement sans précédent, accentué sans doute par la réputation enviable que s'est forgée l'école (plutôt bien classée au palmarès de L'actualité pour le secondaire) qui offre un programme intégré en arts, de la pré-maternelle à la cinquième secondaire.
Alors qu'il y a cinq ans à peine, on commençait à s'aligner devant la porte de l'école le lundi à l'aube, l'an dernier, le cap des 24 heures aurait été franchi, certains parents ayant traîné chaise ou tente la veille, fermement résolus à faire une vraie file à la russe pour une place à l'école. Cette année, la rumeur colportée lors de la journée portes ouvertes, au début de la semaine dernière, avait sans doute laissé quelques parents songeurs, puisqu'on avait laissé entendre aux 500 venus s'informer du programme FACE que c'était plutôt vers minuit la veille qu'il fallait commencer à dresser la tente !
Tout ce délire pour une quarantaine de places en maternelle (volet francophone), une trentaine d'autres en pré-maternelle, et quelques places ici et là aux autres niveaux laissées vacantes par des départs en cours de scolarité ! Sylvain Mailloux et sa conjointe Diane Chartier se préparaient au siège pour hier soir, mais, par acquit de conscience, ils ont fait un saut en début de journée du côté de la rue Université, coin Sherbrooke ouest, histoire de vérifier si la voie était libre. Une vingtaine de tentes s'alignaient déjà sagement, ce qui a haussé la tension familiale et accéléré le plan B... Une gardienne pour les deux petits, un thermos de café sous la main et une tente installée pour passer la nuit : les voilà quasi certains de pouvoir tendre l'enveloppe d'inscrïption aux autorités ce matin, aux environs de 8h.
«FACE ne sélectionne pas ses élèves, parce qu'elle est convaincue qu'une éducation artistique doit être accessible à tous», écrit le directeur Nicolas Primiano dans un mot de présentation affiché sur le site Internet de l'école. On connaît la suite... Sans sélection et sans territoire de quartier, comme les autres écoles où la priorité aux parents du coin est clairement destinée, et avec en prime une vocation particulière, la recette est explosive pour attirer les hordes de parents.
Et qui dit hordes pourrait aussi dire chaos. Pour éviter que les premiers arrivés ne perdent leur privilège à la faveur de la cohue et d'une bousculade agressive, comme il semblerait que cela avait été le cas l'an dernier, une maman a pris les choses bien en main hier, distribuant des petits bouts de papier à la volée, et y inscrivant des numéros en... arabe, afin d'éviter la falsification.
«L'être humain a besoin de lois, on est un peu sauvage quelque part», expliquait au Devoir Meriem Elidkissi, dont l'enfant de trois ans fréquentera la pré-maternelle de FACE l'an prochain grâce à la ténacité de sa maman. «Je trouvais qu'il y avait des gens qui entraient dans la file et ce n'était pas clair s'ils y étaient avant ou non. J'ai voulu sensibiliser les gens à l'importance de clarifier un peu tout ça.» Mme Elidkissi devait s'installer hier matin seulement, mais une amie habitant le coin l'a prévenue samedi soir en catastrophe que des tentes jonchaient déjà le terrain, ce qui a précipité son entrée en piste.
«Je ne pensais jamais qu'il y aurait tant de monde !», s'exclamait pour sa part James Zhou, qui était hier le fier numéro 9 de la ligne, après un campement entamé à 16h samedi. La famille habite Verdun, et se dit prête aux vingt minutes de voiture aller et retour pour conduire fiston à cette école, qui les intéresse pour les arts.
Éclairés par les lampadaires de la cour d'école, les parents plongeaient hier dans les livres, sirotaient un café, se relayant pour aller chercher de quoi manger ou même s'évader au petit coin -- non fourni par l'école ! Malgré l'ordre apparent de la file, certains s'inquiétaient toutefois que la belle quiétude des dernières heures ne s'envole au petit matin au moment de s'aligner pour de bon, sans tente ni sac de couchage.
«On sent une certaine angoisse en vue de demain matin», explique une maman arrivée hier en matinée. «Est-ce que tout ça tiendra le coup jusqu'à l'ouverture ?» Comme si cette séance de camping scolaire pouvait soudainement tourner au camping sauvage...