Publié : ven. nov. 18, 2005 4:09 am
Menace d'une loi spéciale avant Noël
Québec tue la négociation plutôt que de la nourrir, disent les syndicats
Marie-Andrée Chouinard, Antoine Robitaille
Édition du vendredi 18 novembre 2005
Pour la première fois hier, la présidente du Conseil du trésor du Québec, Monique Jérôme-Forget, a brandi la possibilité de fixer unilatéralement, par une loi spéciale, les conditions de travail des employés du secteur public. Cette menace a fait bondir les chefs syndicaux, qui y ont vu la preuve que, de toute façon, le gouvernement n'a jamais été intéressé à négocier.
En point de presse hier, interrogée à savoir si elle avait d'autres options qu'une loi spéciale pour obtenir le dénouement qu'elle exige avant Noël, Mme Jérôme-Forget a déclaré : «Je peux difficilement imaginer ce que ça pourrait être d'autre.» Bien qu'elle ait affirmé être toujours «en mode négo», la ministre a toutefois montré des signes d'exaspération hier et déclaré avec un sourire frondeur que le gouvernement «assumera ses responsabilités».
La présidente du Conseil du trésor s'exprimait la journée même où les grèves tournantes du front commun CSN-FTQ touchaient la région de Montréal et alors qu'à Québec, trois autres syndicats, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) et le Syndicat de la fonction publique du Québec (SPFQ), annonçaient qu'ils se joindront sous peu aux moyens de pression.
C'est justement à cet accroissement de la pression des centrales syndicales que Mme Jérôme-Forget a voulu répliquer par la menace d'une loi spéciale : «Elles m'informent qu'il va y avoir un accroissement des moyens de pression. Je les informe qu'effectivement, ça ne pourra pas durer éternellement», surtout que «les conventions collectives sont échues» depuis juin 2003. «Il y aura définitivement une fin avant Noël. Il faut qu'on arrive à un dénouement avant Noël, il faut que, quand on se retrouve à la dinde de Noël, tout soit réglé.»
Selon Mme Jérôme-Forget, contrairement à ce que disent les syndicats, les conséquences des moyens de pression sont importantes. Les grèves tournantes, par exemple, ont jusqu'à présent affecté, selon ses dires, 650 000 enfants dans les secteurs élémentaire, secondaire et collégial. La ministre a raconté connaître «des gens qui ne peuvent pas venir travailler [...] justement parce qu'ils sont obligés de rester à la maison». De même, plusieurs des employés et amis de Mme Jérôme-Forget vivent une telle situation. «Ce climat d'incertitude ne peut pas durer indéfiniment.»
Dans le système de santé, 93 établissements ont été touchés, a-t-elle noté. Les syndicats ont beau respecter les normes des services essentiels, cela représente le strict minimum, ce qui est bien moins que ce pour quoi «les citoyens paient la grande partie de leurs impôts». D'ailleurs, a fait valoir la ministre, malgré le respect des normes des services essentiels, il y a déjà eu des lois spéciales par le passé. Fixer les conventions collectives n'est pas sans précédent : «Il y a eu à peu près 40 lois spéciales depuis les années 60.»
L'idéal cependant, selon Mme Jérôme-Forget, demeure une solution négociée. Or il y a à ses yeux de quoi être «très optimiste» puisque le «blitz de négociations» annoncé il y a deux semaines aurait porté fruit. «Nous avons réussi [...] avec la FIIQ, l'APTS des fonctionnaires, on devrait être capables de poursuivre cette démarche-là avec d'autres secteurs également. On me dit d'ailleurs qu'il y a d'autres tables où ça fonctionne bien au niveau normatif.» Autrement dit, Mme Jérôme-Forget souhaite une poursuite du blitz, mais toujours dans le fameux «cadre» de négociation : 12,6 % d'augmentation en six ans, y compris l'équité salariale, ce qui représente 3,2 milliards de dollars. «À l'intérieur de ça, il y a bien sûr 450 millions de dollars qui touchent du normatif»; dans ce dernier montant, elle soutient qu'il y a de la place pour de la négociation.
Réactions syndicales
La menace de loi spéciale a immédiatement fait bondir les centrales syndicales, qui ont jugé «irresponsable» cette stratégie gouvernementale, l'associant à un «exercice de relations publiques» qui pourrait «tuer la négociation».
«Il n'y a rien, mais absolument rien qui justifie non seulement quelque recours à une loi spéciale mais même d'en brandir la menace», a réagi en fin d'après-midi la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau. «On est habitués à des négos difficiles, mais pas de négos du tout, on ne s'y habituera jamais», a indiqué le président de la FTQ, Henri Massé.
La CSN et la FTQ terminent aujourd'hui une première vague de grèves tournantes régionales et en enclencheront une deuxième le 23 novembre. Les syndicats s'expliquent d'ailleurs mal la combativité du Conseil du trésor alors que le choix des moyens de pression «a le moins d'effets possible sur la population», a noté M. Massé, qui a toutefois promis que les syndicats pourraient durcir le ton. «Quand on a un gouvernement qui nous flanque un cadre financier dans la face et qui dit : "Je ne bougerai pas", il faut quand même brasser un peu !», a-t-il dit. «[Mme Jérôme-Forget] se place en position de tuer la négociation plutôt que de la nourrir», a renchéri Mme Carbonneau, qui n'a pas fermé la porte hier à des actions coordonnées avec les autres syndicats.
La CSQ, le SFPQ et le SPGQ, unis dans une coalition intersyndicale, ont par ailleurs confirmé hier leur intention de déclencher la semaine prochaine une série de moyens de pression pour accélérer la cadence de la négociation, tant normative que salariale. Les employés de la CSQ ont promis une première vague de demi-journées de grève du 22 au 25 novembre et une deuxième du 5 au 13 décembre. Les employés de la fonction publique et les professionnels du gouvernement opteront plutôt pour une journée de débrayage général en décembre.
Congé pour les profs
La stratégie de la CSQ, qui a une réserve de six demi-journées de grève en banque, a d'ailleurs indisposé le président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), André Caron, qui y voit une manière pour les enseignants «de se payer une moitié de journée de congé». Même si les enseignants membres de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ) optent en effet pour une grève de minuit à midi, ils se présenteront en après-midi devant une classe vide puisque, «pour des raisons de sécurité», les écoles demeureront fermées.
«Ça va nous coûter dix millions par jour pour payer des enseignants qui ne donneront pas de services aux élèves», s'est indigné André Caron, qui estime que les gestionnaires d'école «ne pourront pas endurer ça longtemps».
Le président de la CSQ, Réjean Parent, croit que cette réaction confirme l'efficacité du moyen de pression. «Ça dérange l'employeur ? Ça pèse sur le gouvernement ? Qu'est-ce qu'ils voudraient ? Qu'on fasse la grève pleine ? On n'est pas innocents à temps plein, quand même !», a-t-il affirmé hier, voyant quant à lui dans la sortie de la ministre Jérôme-Forget la confirmation de ce qui se tramait depuis longtemps.
«De la mauvaise foi pure !», croit-il. «Et pendant qu'elle nous menace, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle n'a pas bougé son cadre financier d'un pouce. Mettons que son jupon dépassait depuis le mois d'août et que cette loi spéciale était sûrement dans les cartons depuis longtemps.»
Québec tue la négociation plutôt que de la nourrir, disent les syndicats
Marie-Andrée Chouinard, Antoine Robitaille
Édition du vendredi 18 novembre 2005
Pour la première fois hier, la présidente du Conseil du trésor du Québec, Monique Jérôme-Forget, a brandi la possibilité de fixer unilatéralement, par une loi spéciale, les conditions de travail des employés du secteur public. Cette menace a fait bondir les chefs syndicaux, qui y ont vu la preuve que, de toute façon, le gouvernement n'a jamais été intéressé à négocier.
En point de presse hier, interrogée à savoir si elle avait d'autres options qu'une loi spéciale pour obtenir le dénouement qu'elle exige avant Noël, Mme Jérôme-Forget a déclaré : «Je peux difficilement imaginer ce que ça pourrait être d'autre.» Bien qu'elle ait affirmé être toujours «en mode négo», la ministre a toutefois montré des signes d'exaspération hier et déclaré avec un sourire frondeur que le gouvernement «assumera ses responsabilités».
La présidente du Conseil du trésor s'exprimait la journée même où les grèves tournantes du front commun CSN-FTQ touchaient la région de Montréal et alors qu'à Québec, trois autres syndicats, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) et le Syndicat de la fonction publique du Québec (SPFQ), annonçaient qu'ils se joindront sous peu aux moyens de pression.
C'est justement à cet accroissement de la pression des centrales syndicales que Mme Jérôme-Forget a voulu répliquer par la menace d'une loi spéciale : «Elles m'informent qu'il va y avoir un accroissement des moyens de pression. Je les informe qu'effectivement, ça ne pourra pas durer éternellement», surtout que «les conventions collectives sont échues» depuis juin 2003. «Il y aura définitivement une fin avant Noël. Il faut qu'on arrive à un dénouement avant Noël, il faut que, quand on se retrouve à la dinde de Noël, tout soit réglé.»
Selon Mme Jérôme-Forget, contrairement à ce que disent les syndicats, les conséquences des moyens de pression sont importantes. Les grèves tournantes, par exemple, ont jusqu'à présent affecté, selon ses dires, 650 000 enfants dans les secteurs élémentaire, secondaire et collégial. La ministre a raconté connaître «des gens qui ne peuvent pas venir travailler [...] justement parce qu'ils sont obligés de rester à la maison». De même, plusieurs des employés et amis de Mme Jérôme-Forget vivent une telle situation. «Ce climat d'incertitude ne peut pas durer indéfiniment.»
Dans le système de santé, 93 établissements ont été touchés, a-t-elle noté. Les syndicats ont beau respecter les normes des services essentiels, cela représente le strict minimum, ce qui est bien moins que ce pour quoi «les citoyens paient la grande partie de leurs impôts». D'ailleurs, a fait valoir la ministre, malgré le respect des normes des services essentiels, il y a déjà eu des lois spéciales par le passé. Fixer les conventions collectives n'est pas sans précédent : «Il y a eu à peu près 40 lois spéciales depuis les années 60.»
L'idéal cependant, selon Mme Jérôme-Forget, demeure une solution négociée. Or il y a à ses yeux de quoi être «très optimiste» puisque le «blitz de négociations» annoncé il y a deux semaines aurait porté fruit. «Nous avons réussi [...] avec la FIIQ, l'APTS des fonctionnaires, on devrait être capables de poursuivre cette démarche-là avec d'autres secteurs également. On me dit d'ailleurs qu'il y a d'autres tables où ça fonctionne bien au niveau normatif.» Autrement dit, Mme Jérôme-Forget souhaite une poursuite du blitz, mais toujours dans le fameux «cadre» de négociation : 12,6 % d'augmentation en six ans, y compris l'équité salariale, ce qui représente 3,2 milliards de dollars. «À l'intérieur de ça, il y a bien sûr 450 millions de dollars qui touchent du normatif»; dans ce dernier montant, elle soutient qu'il y a de la place pour de la négociation.
Réactions syndicales
La menace de loi spéciale a immédiatement fait bondir les centrales syndicales, qui ont jugé «irresponsable» cette stratégie gouvernementale, l'associant à un «exercice de relations publiques» qui pourrait «tuer la négociation».
«Il n'y a rien, mais absolument rien qui justifie non seulement quelque recours à une loi spéciale mais même d'en brandir la menace», a réagi en fin d'après-midi la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau. «On est habitués à des négos difficiles, mais pas de négos du tout, on ne s'y habituera jamais», a indiqué le président de la FTQ, Henri Massé.
La CSN et la FTQ terminent aujourd'hui une première vague de grèves tournantes régionales et en enclencheront une deuxième le 23 novembre. Les syndicats s'expliquent d'ailleurs mal la combativité du Conseil du trésor alors que le choix des moyens de pression «a le moins d'effets possible sur la population», a noté M. Massé, qui a toutefois promis que les syndicats pourraient durcir le ton. «Quand on a un gouvernement qui nous flanque un cadre financier dans la face et qui dit : "Je ne bougerai pas", il faut quand même brasser un peu !», a-t-il dit. «[Mme Jérôme-Forget] se place en position de tuer la négociation plutôt que de la nourrir», a renchéri Mme Carbonneau, qui n'a pas fermé la porte hier à des actions coordonnées avec les autres syndicats.
La CSQ, le SFPQ et le SPGQ, unis dans une coalition intersyndicale, ont par ailleurs confirmé hier leur intention de déclencher la semaine prochaine une série de moyens de pression pour accélérer la cadence de la négociation, tant normative que salariale. Les employés de la CSQ ont promis une première vague de demi-journées de grève du 22 au 25 novembre et une deuxième du 5 au 13 décembre. Les employés de la fonction publique et les professionnels du gouvernement opteront plutôt pour une journée de débrayage général en décembre.
Congé pour les profs
La stratégie de la CSQ, qui a une réserve de six demi-journées de grève en banque, a d'ailleurs indisposé le président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), André Caron, qui y voit une manière pour les enseignants «de se payer une moitié de journée de congé». Même si les enseignants membres de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ) optent en effet pour une grève de minuit à midi, ils se présenteront en après-midi devant une classe vide puisque, «pour des raisons de sécurité», les écoles demeureront fermées.
«Ça va nous coûter dix millions par jour pour payer des enseignants qui ne donneront pas de services aux élèves», s'est indigné André Caron, qui estime que les gestionnaires d'école «ne pourront pas endurer ça longtemps».
Le président de la CSQ, Réjean Parent, croit que cette réaction confirme l'efficacité du moyen de pression. «Ça dérange l'employeur ? Ça pèse sur le gouvernement ? Qu'est-ce qu'ils voudraient ? Qu'on fasse la grève pleine ? On n'est pas innocents à temps plein, quand même !», a-t-il affirmé hier, voyant quant à lui dans la sortie de la ministre Jérôme-Forget la confirmation de ce qui se tramait depuis longtemps.
«De la mauvaise foi pure !», croit-il. «Et pendant qu'elle nous menace, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle n'a pas bougé son cadre financier d'un pouce. Mettons que son jupon dépassait depuis le mois d'août et que cette loi spéciale était sûrement dans les cartons depuis longtemps.»