Publié : ven. oct. 28, 2005 4:24 am
Débâcle pour George W. Bush
Harriet Miers retire sa candidature à la Cour suprême
Guy Taillefer
Édition du vendredi 28 octobre 2005
Croulant sous les pressions de l'incontournable droite religieuse qui l'a réélu en 2004, le président George W. Bush s'est résigné hier à retirer la candidature de son amie personnelle, Harriet Miers, à la Cour suprême. C'est une débâcle pour M. Bush qui, du «Plamegate» à l'ouragan Katrina en passant par la guerre d'Irak, voit actuellement sa côte baisser sur plusieurs fronts.
«Merci, Mme Miers !», ont exulté les tenants de la droite dure républicaine, qui se sentaient profondément trahis par le choix d'une femme qu'ils jugeaient insuffisamment conservatrice et trop peu expérimentée pour défendre leur programme à la Cour suprême. Leur fronde, conjuguée à la tiédeur qu'a suscitée d'emblée sa candidature parmi les membres du Sénat, toutes tendances partisanes confondues, aura eu raison de cette inconnue sans expérience de la magistrature, trop proche du président pour ne pas s'attirer des accusations de copinage.
Dans la lettre qu'elle a remise au président, l'avocate texane explique qu'elle craignait que le processus de confirmation, qui devait s'amorcer devant le comité judiciaire du Sénat le 7 novembre, soit «un fardeau pour la Maison-Blanche», où elle occupait les fonctions de principale conseillère juridique. «J'ai accepté sa décision à contrecoeur», a fait savoir le président par communiqué.
Il a beau le réfuter, M. Bush cède ainsi à son influente base conservatrice et religieuse, qui s'était immédiatement rebiffée à l'annonce de son choix, il y a trois semaines, estimant que le président ne remboursait pas adéquatement sa dette électorale. D'autant plus que le juge John Roberts, dont la nomination comme juge en chef de la Cour suprême avait été confirmée la semaine précédente par le Sénat, n'avait pas non plus été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme à droite. Ces conservateurs religieux et évangélistes, dont le dénominateur commun est une ferme opposition au droit à l'avortement, militent depuis des années pour que la Cour suprême, qui a une influence certaine sur l'évolution de la société américaine, bascule idéologiquement dans leur camp.
«Très franchement, les conservateurs rongent leur frein depuis quatre ans», disait plus tôt cette semaine au Washington Post Richard A. Viguerie, un des architectes du mouvement conservateur. Si Bush ne retire pas la candidature de Mme Miers, menaçait-il, cela pourrait «ruiner son second mandat» parce qu'il lui est «très difficile de gouverner sans sa base conservatrice».
Pour Louis Balthazar, politologue à l'UQAM et à l'Université Laval, l'image présidentielle sort gravement écorchée de cet épisode. «C'est la première fois depuis son arrivée au pouvoir, en 2001, que Bush recule. Pour avoir cru que Mme Miers serait le candidat de compromis qui lui éviterait une bataille au Sénat, il s'est complètement trompé. Politiquement, c'est l'humiliation.»
L'annonce a pris certains observateurs de court dans la mesure où elle survient au moment où entre dans sa phase finale l'enquête que mène par ailleurs le procureur spécial Patrick Fitzgerald dans l'affaire Valerie Plame, ce complexe scandale politico-judiciaire -- surnommé le Plamegate -- dans lequel Karl Rove, le principal conseiller politique et gourou électoral de M. Bush, semble impliqué. Pour avoir dévoilé par fuites médiatiques le fait que Mme Plame était une agente de la CIA, ce qui est un acte criminel aux yeux de la loi américaine, M. Rove et Lewis Libby, directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney, pourraient faire dès aujourd'hui l'objet d'accusations et plonger la Maison-Blanche dans une grave crise politique.
Aussi M. Bush aura-t-il jugé utile de faire une fleur aux ultras en retirant la nomination de Mme Miers, analysait hier sur CNN l'expert maison Jeff Greenfield. Le défi pour le président, estime de son côté Donald Cucciletta, chercheur associé à la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM, consiste maintenant à faire en sorte que cette droite éminemment mobilisée «se tienne tranquille d'ici la présidentielle de 2008».
Alors, quoi ? Au plus bas dans les sondages sur la question irakienne, critiqué pour sa mauvaise gestion de la catastrophe provoquée par le passage de l'ouragan Katrina en Louisiane, M. Bush a indiqué hier qu'il désignerait un nouveau candidat à la Cour suprême «en temps opportun» pour occuper le siège laissé vacant par le départ à la retraite de la juge modérée Sandra Day O'Connor. Dans l'intervalle, son dilemme restera entier. Fière de s'être imposée au président, la droite religieuse remontait aux barricades hier pour réclamer un candidat «dont la philosophie juridique est connue et derrière lequel tous les conservateurs puissent se rassembler», selon les mots de Troy Newman, président de l'organisation antiavortement Operation Rescue. «Ce n'est qu'ainsi que la Maison-Blanche pourra commencer à soigner la déchirure causée par le malheureux fiasco Miers.» De son côté, Jan LaRue, porte-parole de Concerned Women for America, entonnait le mantra conservateur : «Donnez-nous un candidat qui sort du même moule qu'Antonin Scalia ou Clarence Thomas [deux juges ultraconservateurs de la Cour suprême].»
Les démocrates, qui avaient vite conclu que la principale qualification de Mme Miers consistait à être une proche du président, n'ont pas eu à lever le petit doigt pour que se crée tout cet émoi. Du reste, Mme Miers ne se sera pas rendu service dans ses relations avec les parlementaires. Démocrates et républicains se sont plaints de l'indigence de ses réponses écrites à leurs questions préliminaires sur les grands principes du droit constitutionnel. Elle a été réprimandée par des sénateurs pour avoir donné des réponses «incomplètes ou insultantes» à leurs questions. Au nom de l'indépendance du pouvoir exécutif, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa lettre au président pour justifier son retrait, elle a refusé que soient remis des documents internes de la Maison-Blanche que réclamaient des législateurs pour juger de sa candidature.
La crainte parmi les démocrates, analysant que «la droite radicale du Parti républicain a tué la nomination de Harriet Miers», ainsi que l'affirmait hier leur leader au Sénat, Harry Reid, est maintenant que M. Bush ne commette pas deux fois la même erreur face à sa principale base électorale et soumette la prochaine fois une candidature plus conforme à ses exigences.
«Le fait que la Maison-Blanche et les républicains au Sénat n'aient pas voulu défendre les principes et l'équité face aux extrémistes parmi eux doit inquiéter tous les Américains», a déclaré le sénateur démocrate Edward Kennedy.
Avec la BBC et l'Agence France-Presse
Harriet Miers retire sa candidature à la Cour suprême
Guy Taillefer
Édition du vendredi 28 octobre 2005
Croulant sous les pressions de l'incontournable droite religieuse qui l'a réélu en 2004, le président George W. Bush s'est résigné hier à retirer la candidature de son amie personnelle, Harriet Miers, à la Cour suprême. C'est une débâcle pour M. Bush qui, du «Plamegate» à l'ouragan Katrina en passant par la guerre d'Irak, voit actuellement sa côte baisser sur plusieurs fronts.
«Merci, Mme Miers !», ont exulté les tenants de la droite dure républicaine, qui se sentaient profondément trahis par le choix d'une femme qu'ils jugeaient insuffisamment conservatrice et trop peu expérimentée pour défendre leur programme à la Cour suprême. Leur fronde, conjuguée à la tiédeur qu'a suscitée d'emblée sa candidature parmi les membres du Sénat, toutes tendances partisanes confondues, aura eu raison de cette inconnue sans expérience de la magistrature, trop proche du président pour ne pas s'attirer des accusations de copinage.
Dans la lettre qu'elle a remise au président, l'avocate texane explique qu'elle craignait que le processus de confirmation, qui devait s'amorcer devant le comité judiciaire du Sénat le 7 novembre, soit «un fardeau pour la Maison-Blanche», où elle occupait les fonctions de principale conseillère juridique. «J'ai accepté sa décision à contrecoeur», a fait savoir le président par communiqué.
Il a beau le réfuter, M. Bush cède ainsi à son influente base conservatrice et religieuse, qui s'était immédiatement rebiffée à l'annonce de son choix, il y a trois semaines, estimant que le président ne remboursait pas adéquatement sa dette électorale. D'autant plus que le juge John Roberts, dont la nomination comme juge en chef de la Cour suprême avait été confirmée la semaine précédente par le Sénat, n'avait pas non plus été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme à droite. Ces conservateurs religieux et évangélistes, dont le dénominateur commun est une ferme opposition au droit à l'avortement, militent depuis des années pour que la Cour suprême, qui a une influence certaine sur l'évolution de la société américaine, bascule idéologiquement dans leur camp.
«Très franchement, les conservateurs rongent leur frein depuis quatre ans», disait plus tôt cette semaine au Washington Post Richard A. Viguerie, un des architectes du mouvement conservateur. Si Bush ne retire pas la candidature de Mme Miers, menaçait-il, cela pourrait «ruiner son second mandat» parce qu'il lui est «très difficile de gouverner sans sa base conservatrice».
Pour Louis Balthazar, politologue à l'UQAM et à l'Université Laval, l'image présidentielle sort gravement écorchée de cet épisode. «C'est la première fois depuis son arrivée au pouvoir, en 2001, que Bush recule. Pour avoir cru que Mme Miers serait le candidat de compromis qui lui éviterait une bataille au Sénat, il s'est complètement trompé. Politiquement, c'est l'humiliation.»
L'annonce a pris certains observateurs de court dans la mesure où elle survient au moment où entre dans sa phase finale l'enquête que mène par ailleurs le procureur spécial Patrick Fitzgerald dans l'affaire Valerie Plame, ce complexe scandale politico-judiciaire -- surnommé le Plamegate -- dans lequel Karl Rove, le principal conseiller politique et gourou électoral de M. Bush, semble impliqué. Pour avoir dévoilé par fuites médiatiques le fait que Mme Plame était une agente de la CIA, ce qui est un acte criminel aux yeux de la loi américaine, M. Rove et Lewis Libby, directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney, pourraient faire dès aujourd'hui l'objet d'accusations et plonger la Maison-Blanche dans une grave crise politique.
Aussi M. Bush aura-t-il jugé utile de faire une fleur aux ultras en retirant la nomination de Mme Miers, analysait hier sur CNN l'expert maison Jeff Greenfield. Le défi pour le président, estime de son côté Donald Cucciletta, chercheur associé à la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM, consiste maintenant à faire en sorte que cette droite éminemment mobilisée «se tienne tranquille d'ici la présidentielle de 2008».
Alors, quoi ? Au plus bas dans les sondages sur la question irakienne, critiqué pour sa mauvaise gestion de la catastrophe provoquée par le passage de l'ouragan Katrina en Louisiane, M. Bush a indiqué hier qu'il désignerait un nouveau candidat à la Cour suprême «en temps opportun» pour occuper le siège laissé vacant par le départ à la retraite de la juge modérée Sandra Day O'Connor. Dans l'intervalle, son dilemme restera entier. Fière de s'être imposée au président, la droite religieuse remontait aux barricades hier pour réclamer un candidat «dont la philosophie juridique est connue et derrière lequel tous les conservateurs puissent se rassembler», selon les mots de Troy Newman, président de l'organisation antiavortement Operation Rescue. «Ce n'est qu'ainsi que la Maison-Blanche pourra commencer à soigner la déchirure causée par le malheureux fiasco Miers.» De son côté, Jan LaRue, porte-parole de Concerned Women for America, entonnait le mantra conservateur : «Donnez-nous un candidat qui sort du même moule qu'Antonin Scalia ou Clarence Thomas [deux juges ultraconservateurs de la Cour suprême].»
Les démocrates, qui avaient vite conclu que la principale qualification de Mme Miers consistait à être une proche du président, n'ont pas eu à lever le petit doigt pour que se crée tout cet émoi. Du reste, Mme Miers ne se sera pas rendu service dans ses relations avec les parlementaires. Démocrates et républicains se sont plaints de l'indigence de ses réponses écrites à leurs questions préliminaires sur les grands principes du droit constitutionnel. Elle a été réprimandée par des sénateurs pour avoir donné des réponses «incomplètes ou insultantes» à leurs questions. Au nom de l'indépendance du pouvoir exécutif, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa lettre au président pour justifier son retrait, elle a refusé que soient remis des documents internes de la Maison-Blanche que réclamaient des législateurs pour juger de sa candidature.
La crainte parmi les démocrates, analysant que «la droite radicale du Parti républicain a tué la nomination de Harriet Miers», ainsi que l'affirmait hier leur leader au Sénat, Harry Reid, est maintenant que M. Bush ne commette pas deux fois la même erreur face à sa principale base électorale et soumette la prochaine fois une candidature plus conforme à ses exigences.
«Le fait que la Maison-Blanche et les républicains au Sénat n'aient pas voulu défendre les principes et l'équité face aux extrémistes parmi eux doit inquiéter tous les Américains», a déclaré le sénateur démocrate Edward Kennedy.
Avec la BBC et l'Agence France-Presse