Publié : mer. juil. 20, 2005 11:13 am
Non, le Canada n'a rien à craindre du «terrorisme international»! Si...
Omar Aktouf
Ph.D., professeur titulaire aux HEC Montréal
Édition du mercredi 20 juillet 2005
Voici la psychose revenue depuis les attentats du 7 juillet à Londres. Notre ministre des Affaires extérieures affirme que l'Occident sera plus que jamais solidaire devant «ces criminels qui veulent imposer au monde leur vision» et notre ministre de la Défense ressasse que «le Canada ne doit pas se croire à l'abri», tout en donnant aux troupes canadiennes une mission plus agressive au sud de l'Afghanistan.
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Faire suivre ...
Droit de reproduction
Pour moi, musulman et d'origine algérienne, qui ai vu venir le terrorisme qui a ravagé ce pays pendant plus de dix ans, il est fortement à déplorer que le Canada se laisse aller dans cette pente qui consiste à se rallier aveuglément aux thèses et actions des USA.
Mes origines, mon histoire, mon vécu, ma capacité de voir les choses autrement... me font dire catégoriquement : non ! le Canada et ses citoyens n'ont rien à craindre du dit «terrorisme international», si certaines conditions sont respectées et si certaines vérités sont acceptées.
Le «Canada brand»
Il est connu que le Canada jouit d'une «marque de commerce» mondiale que bien des «grands» pays auraient raison de lui envier : est-ce pour rien que des milliers de voyageurs «occidentaux», Américains en tête, portent des logos «Canada» placés bien en vue ? Ils savent que cela sera pour eux un gage de tranquillité et de bons traitements où qu'ils aillent dans le monde. À travers mon Afrique du Nord natale, de Rabat au Caire, le Canada est vu comme un pays «ami de tous», ni colonialiste ni impérialiste, juste et neutre, sans velléités guerrières, sans alignement sur les seuls intérêts du capital multinational... Et, aussi comme un pays qui «pèse» sur la scène mondiale par son influence apaisante... avec intégrité, éthique, bon sens et droiture. Tout cela à portée de voix de Washington et sans en endosser les politiques, vues partout dans le Tiers-Monde comme iniques, déloyales, sources de corruption des régimes, arrogantes... Voilà donc mon premier «si» : conserver au Canada cette image de marque, et non se mettre à jouer au matamore aux côtés des Bush et Blair, dans une surenchère de «dangers islamistes».
Le Canada n'est ni l'Angleterre de Blair, ni l'Espagne de Aznar, ni les USA de Bush
Jusqu'à la veille du gouvernement Martin, le Canada s'est favorablement démarqué dans l'opinion arabo-musulmane par rapport aux pays «où a frappé le terrorisme islamiste» : les USA de Bush, l'Angleterre de Blair et l'Espagne de Aznar... Est-ce un hasard si M. Berlusconi annonce dans la foulée des attentats de Londres le retrait de ses troupes d'Iraq ? Le député britannique George Galloway dit tout haut ce que Berlusconi pense tout bas : «Si vous bombardez un autre peuple, il reviendra vous bombarder à son tour.» Et ces peuples reviennent bombarder avec, comme l'a dit B. B. Ghali, «l'arme du pauvre qu'est le terrorisme». Que le Canada s'abstiennent de bombarder quiconque et nul n'aura l'idée de «revenir le bombarder». Et voilà mon second «si» : objectivité et raison à garder par rapport aux actions, injustes et condamnées par le droit international, dont se sont rendus coupables USA et Angleterre.
Un peu de discernement et de sagesse politique par rapport au «terrorisme islamiste»
J'ai vu monter une variante de ce terrorisme en Algérie. Il s'agit d'une conséquence et non d'une cause. Toute violence est fille d'injustice, d'arbitraire, de misère et de désespoir. Sait-on jusqu'à quel point injustices et misères ont été poussées en terres musulmanes -- pétrolières surtout -- sous l'oeil bienveillant des USA et de leurs multinationales ? Après les attentats de Londres, des voix éclairées s'élèvent pour redire que la «lutte au terrorisme» n'est pas la surenchère de menaces contre les nuées de nébuleuses «liées à al-Qaïda» (formule devenue franchement cocasse et ridicule). Les pays qui ont connu ce terrorisme sont ceux dont les USA se sont servis en guise de bouclier contre le communisme durant la guerre froide (en y radicalisant la branche musulmane wahhabiste) et ceux à forte teneur en hydrocarbures où ont été installés et soutenus les régimes les plus sanguinaires qui soient. C'est dans la réaction à cette spoliation des peuples que ce terrorisme cultive son terreau le plus fertile, comme je l'ai observé en Algérie. C'est d'abord le ras-le bol devant les exactions de dirigeants hyper corrompus dépouillant, avec les multinationales, les peuples jusqu'à la famine. J'ai vu cette révolte devenue «Groupe islamiste armé» débuter d'abord dans... les bars ! autour de quantités impressionnantes d'alcools frelatés ! Je répète avec B. B. Ghali, Chomsky, Mgr Tutu, Carlos Fuentes, K. Annan, le député britannique Galloway et tant d'autres : cessons cette hypocrisie meurtrière qui avalise les mensonges de Washington et de Londres, et admettons qu'il n'y aura jamais éradication du terrorisme par la force brute, ni «démocratisation» de qui que ce soit par l'imposition extérieure. La lutte, c'est aux racines de la pauvreté et du désespoir qu'il faut la faire. Il n'y a pas de terrorisme «ennemi de l'Occident» en soi ! Il est expression d'un combat contre ce que cet Occident présente le plus systématiquement au Tiers-Monde et aux pays pétroliers arabes : multinationales ravageuses et régimes iniques. La pire des choses à faire, c'est d'accréditer cette thèse fallacieuse du choc des civilisations, ou des «djihadistes extérieurs» fanatisés qui séviraient en Iraq. S'est-on demandé pourquoi ces «terroristes» ont une haine de l'Occident si sélective : USA, puis Madrid, puis Londres... ? Voilà mon troisième «si» : se garder de l'amalgame qui sert les Bush et Blair, en fabriquant de toute pièce un Orient devenu, par pur «nihilisme», ennemi mortel de l'Occident, alors qu'il ne s'agit -- qui peut le nier ? -- que du contrôle des plus grandes réserves mondiales de pétrole.
Enfin : éthique et bon sens concernant la situation au Moyen-Orient
Il est extrêmement préoccupant de voir le régime Martin saper le capital de sympathie et de respect construit sur des années de prises de position canadiennes vues comme équitables et conformes au droit international. Ce Canada est celui du général Dallaire, celui des déploiements de forces de paix, celui des 0,7 % du PIB pour l'aide aux démunis, celui de la juste mesure par rapport au problème palestinien... Surtout pas celui qui nomme un ambassadeur à Washington ayant des intérêts financiers dans les mêmes holdings que la famille Bush, ni celui qui change radicalement ses positions par rapport à Israël et à la Palestine, ni celui qui fait silence devant l'avancée du mur de Sharon dûment condamné au démantèlement par l'ONU et la Cour de La Haye, ni celui qui parle de «terroristes» et «d'attentats» lorsqu'il s'agit de résistants iraquiens qui tentent de défendre ce qui reste de dignité à un peuple martyrisé... Voilà mon dernier «si» : défendre l'application du droit international dans les affaires du Moyen-Orient, à commencer par les droits légitimes des Palestiniens.
En tant que ressortissant de ces contrées dites «berceaux du terrorisme mondial», et en tant que témoin direct d'une facette de ce que le «terrorisme islamiste» veut dire dans ses genèses et processus, j'affirme qu'un pays comme le Canada, s'il sait demeurer ce qu'il a toujours été en matière de neutralité et de politique de respect du bon droit envers tous, n'aura à craindre d'actes terroristes que de ceux qui voudraient y installer, comme ils l'ont fait aux USA, un climat de terreur et de justification de «guerres préventives» pour contrôler les richesses des autres.
Mais, me rétorquera-t-on, comment le Canada pourrait-il avoir les moyens d'une telle politique, son économie est tellement dépendante des USA ? La réponse existe, mais... cela est une autre histoire, sur laquelle je ne manquerai pas de me prononcer... si on m'en donne la possibilité.
Omar Aktouf
Ph.D., professeur titulaire aux HEC Montréal
Édition du mercredi 20 juillet 2005
Voici la psychose revenue depuis les attentats du 7 juillet à Londres. Notre ministre des Affaires extérieures affirme que l'Occident sera plus que jamais solidaire devant «ces criminels qui veulent imposer au monde leur vision» et notre ministre de la Défense ressasse que «le Canada ne doit pas se croire à l'abri», tout en donnant aux troupes canadiennes une mission plus agressive au sud de l'Afghanistan.
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Droit de reproduction
Pour moi, musulman et d'origine algérienne, qui ai vu venir le terrorisme qui a ravagé ce pays pendant plus de dix ans, il est fortement à déplorer que le Canada se laisse aller dans cette pente qui consiste à se rallier aveuglément aux thèses et actions des USA.
Mes origines, mon histoire, mon vécu, ma capacité de voir les choses autrement... me font dire catégoriquement : non ! le Canada et ses citoyens n'ont rien à craindre du dit «terrorisme international», si certaines conditions sont respectées et si certaines vérités sont acceptées.
Le «Canada brand»
Il est connu que le Canada jouit d'une «marque de commerce» mondiale que bien des «grands» pays auraient raison de lui envier : est-ce pour rien que des milliers de voyageurs «occidentaux», Américains en tête, portent des logos «Canada» placés bien en vue ? Ils savent que cela sera pour eux un gage de tranquillité et de bons traitements où qu'ils aillent dans le monde. À travers mon Afrique du Nord natale, de Rabat au Caire, le Canada est vu comme un pays «ami de tous», ni colonialiste ni impérialiste, juste et neutre, sans velléités guerrières, sans alignement sur les seuls intérêts du capital multinational... Et, aussi comme un pays qui «pèse» sur la scène mondiale par son influence apaisante... avec intégrité, éthique, bon sens et droiture. Tout cela à portée de voix de Washington et sans en endosser les politiques, vues partout dans le Tiers-Monde comme iniques, déloyales, sources de corruption des régimes, arrogantes... Voilà donc mon premier «si» : conserver au Canada cette image de marque, et non se mettre à jouer au matamore aux côtés des Bush et Blair, dans une surenchère de «dangers islamistes».
Le Canada n'est ni l'Angleterre de Blair, ni l'Espagne de Aznar, ni les USA de Bush
Jusqu'à la veille du gouvernement Martin, le Canada s'est favorablement démarqué dans l'opinion arabo-musulmane par rapport aux pays «où a frappé le terrorisme islamiste» : les USA de Bush, l'Angleterre de Blair et l'Espagne de Aznar... Est-ce un hasard si M. Berlusconi annonce dans la foulée des attentats de Londres le retrait de ses troupes d'Iraq ? Le député britannique George Galloway dit tout haut ce que Berlusconi pense tout bas : «Si vous bombardez un autre peuple, il reviendra vous bombarder à son tour.» Et ces peuples reviennent bombarder avec, comme l'a dit B. B. Ghali, «l'arme du pauvre qu'est le terrorisme». Que le Canada s'abstiennent de bombarder quiconque et nul n'aura l'idée de «revenir le bombarder». Et voilà mon second «si» : objectivité et raison à garder par rapport aux actions, injustes et condamnées par le droit international, dont se sont rendus coupables USA et Angleterre.
Un peu de discernement et de sagesse politique par rapport au «terrorisme islamiste»
J'ai vu monter une variante de ce terrorisme en Algérie. Il s'agit d'une conséquence et non d'une cause. Toute violence est fille d'injustice, d'arbitraire, de misère et de désespoir. Sait-on jusqu'à quel point injustices et misères ont été poussées en terres musulmanes -- pétrolières surtout -- sous l'oeil bienveillant des USA et de leurs multinationales ? Après les attentats de Londres, des voix éclairées s'élèvent pour redire que la «lutte au terrorisme» n'est pas la surenchère de menaces contre les nuées de nébuleuses «liées à al-Qaïda» (formule devenue franchement cocasse et ridicule). Les pays qui ont connu ce terrorisme sont ceux dont les USA se sont servis en guise de bouclier contre le communisme durant la guerre froide (en y radicalisant la branche musulmane wahhabiste) et ceux à forte teneur en hydrocarbures où ont été installés et soutenus les régimes les plus sanguinaires qui soient. C'est dans la réaction à cette spoliation des peuples que ce terrorisme cultive son terreau le plus fertile, comme je l'ai observé en Algérie. C'est d'abord le ras-le bol devant les exactions de dirigeants hyper corrompus dépouillant, avec les multinationales, les peuples jusqu'à la famine. J'ai vu cette révolte devenue «Groupe islamiste armé» débuter d'abord dans... les bars ! autour de quantités impressionnantes d'alcools frelatés ! Je répète avec B. B. Ghali, Chomsky, Mgr Tutu, Carlos Fuentes, K. Annan, le député britannique Galloway et tant d'autres : cessons cette hypocrisie meurtrière qui avalise les mensonges de Washington et de Londres, et admettons qu'il n'y aura jamais éradication du terrorisme par la force brute, ni «démocratisation» de qui que ce soit par l'imposition extérieure. La lutte, c'est aux racines de la pauvreté et du désespoir qu'il faut la faire. Il n'y a pas de terrorisme «ennemi de l'Occident» en soi ! Il est expression d'un combat contre ce que cet Occident présente le plus systématiquement au Tiers-Monde et aux pays pétroliers arabes : multinationales ravageuses et régimes iniques. La pire des choses à faire, c'est d'accréditer cette thèse fallacieuse du choc des civilisations, ou des «djihadistes extérieurs» fanatisés qui séviraient en Iraq. S'est-on demandé pourquoi ces «terroristes» ont une haine de l'Occident si sélective : USA, puis Madrid, puis Londres... ? Voilà mon troisième «si» : se garder de l'amalgame qui sert les Bush et Blair, en fabriquant de toute pièce un Orient devenu, par pur «nihilisme», ennemi mortel de l'Occident, alors qu'il ne s'agit -- qui peut le nier ? -- que du contrôle des plus grandes réserves mondiales de pétrole.
Enfin : éthique et bon sens concernant la situation au Moyen-Orient
Il est extrêmement préoccupant de voir le régime Martin saper le capital de sympathie et de respect construit sur des années de prises de position canadiennes vues comme équitables et conformes au droit international. Ce Canada est celui du général Dallaire, celui des déploiements de forces de paix, celui des 0,7 % du PIB pour l'aide aux démunis, celui de la juste mesure par rapport au problème palestinien... Surtout pas celui qui nomme un ambassadeur à Washington ayant des intérêts financiers dans les mêmes holdings que la famille Bush, ni celui qui change radicalement ses positions par rapport à Israël et à la Palestine, ni celui qui fait silence devant l'avancée du mur de Sharon dûment condamné au démantèlement par l'ONU et la Cour de La Haye, ni celui qui parle de «terroristes» et «d'attentats» lorsqu'il s'agit de résistants iraquiens qui tentent de défendre ce qui reste de dignité à un peuple martyrisé... Voilà mon dernier «si» : défendre l'application du droit international dans les affaires du Moyen-Orient, à commencer par les droits légitimes des Palestiniens.
En tant que ressortissant de ces contrées dites «berceaux du terrorisme mondial», et en tant que témoin direct d'une facette de ce que le «terrorisme islamiste» veut dire dans ses genèses et processus, j'affirme qu'un pays comme le Canada, s'il sait demeurer ce qu'il a toujours été en matière de neutralité et de politique de respect du bon droit envers tous, n'aura à craindre d'actes terroristes que de ceux qui voudraient y installer, comme ils l'ont fait aux USA, un climat de terreur et de justification de «guerres préventives» pour contrôler les richesses des autres.
Mais, me rétorquera-t-on, comment le Canada pourrait-il avoir les moyens d'une telle politique, son économie est tellement dépendante des USA ? La réponse existe, mais... cela est une autre histoire, sur laquelle je ne manquerai pas de me prononcer... si on m'en donne la possibilité.