Publié : lun. juin 20, 2005 6:24 am
Médias: Encombrant satellite
Paul Cauchon
Édition du lundi 20 juin 2005
Vous aimeriez recevoir votre station de radio préférée avec un son parfait et l'écouter sans interruption dans votre voiture en roulant de Montréal à Matane? Pas de problème, ça s'en vient: en prime, on vous fournira une centaine de stations américaines.
On pourrait ainsi décrire la radio par satellite telle qu'elle est vue par le CRTC.
L'organisme réglementaire fédéral a en effet accepté jeudi dernier de lancer le Canada dans l'aventure de la radio par satellite. Pourquoi ? Parce qu'aux États-Unis, c'est la «prochaine grosse affaire», comme l'affirment certains analystes.
Même si on en parlait depuis les années 1990, et même si la première grande entreprise de radio satellite, XM, a été lancée en septembre 2001, suivie peu de temps ensuite par Sirius, c'est vraiment l'année dernière que la radio satellite a débloqué et qu'elle a commencé à inquiéter sérieusement les radiodiffuseurs traditionnels.
D'abord parce le nombre d'abonnés augmente à une vitesse exponentielle (on parle maintenant de sept millions d'abonnés américains). Et puis quand Howard Stern a déclaré l'année dernière qu'il abandonnait son poste pour migrer vers une des stations de la radio satellite, ce fut un choc dans l'industrie : une de ses plus grosses vedettes décrétait ainsi la «mort» du média traditionnel.
Mort... c'est un peu vite dit. La radio satellite, ça demeure encore de la radio, tout simplement, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Mais c'est la façon de la distribuer qui change.
En gros, il s'agit d'un bouquet de différentes stations de radio envoyées par satellite qu'on peut capter sur un récepteur numérique (qu'il faut acheter, bien sûr, mais les prix baissent de plus en plus). Son numérique, informations diverses apparaissant en même temps sur le récepteur (par exemple le nom de la pièce de musique qui joue) et publicité réduite ou inexistante, le tout pour un abonnement mensuel de 10 ou 15 $. Certains se demandent pourquoi payer pour des stations qu'on peut actuellement capter gratuitement. L'industrie répond que c'est le même genre de réserve qu'on entendait lorsque la câblodistribution est apparue, et regardez aujourd'hui le résultat.
On peut écouter ça chez soi, mais le marché le plus alléchant est celui de l'automobile, avec la possibilité, par exemple, de syntoniser son poste de musique ou de sport préféré, et de l'écouter sans interruption du Maine à la Californie. Juste pour montrer l'ampleur de l'affaire : XM est maintenant offert dans 120 modèles de véhicules, ainsi que dans les voitures de location de trois compagnies, dont Avis.
La programmation ? De tous les genres. XM offre actuellement 150 stations différentes, dont près de 70 stations musicales dans tous les domaines et une flopée de stations de nouvelles continues, de talk radio, de sport (plusieurs entreprises professionnelles signent maintenant des ententes pour diffuser matchs et compétitions), de variétés, d'émissions pour enfants, de comédie, de météo.
***
Le CRTC a donc tenu une audience l'automne dernier pour analyser la possibilité de lancer un tel service au Canada. Des chiffres qui circulaient alors faisaient état d'environ 30 000 Canadiens abonnés au «marché gris» (des gens qui prennent une adresse aux États-Unis pour recevoir leur facture, et qui s'abonnent au satellite), avec la perspective affolante qu'ils soient un million en 2010 (remarquez que ce sont des chiffres impossibles à prouver).
Deux groupes canadiens, CSR et Sirius Canada, se sont présentés en audience pour obtenir la permission d'émettre, associés chacun à un des deux concurrents américains par satellite. Puis, CHUM et Astral se sont présentés avec un projet conjoint différent : radio numérique par abonnement là aussi, mais diffusée non pas par satellite, mais par des tours de transmission terrestre, un projet évalué à 88 millions sur sept ans (coûts de lancement et de fonctionnement).
CHUM et Astral proposent d'offrir aux abonnés 50 stations (on suppose qu'on y trouverait des stations de Astral comme Réseau Énergie et Rock Détente, bien que ce puisse être de nouvelles stations aussi).
Les deux autres projets proposent environ 100 stations, dont moins de dix sont canadiennes, les autres étant fournies par le partenaire américain.
Le CRTC a accepté les trois projets. Ce qui, à bien y penser, est plutôt farfelu. Comment imaginer que les trois nouvelles entreprises seront viables, pour un marché encore complètement inexistant au Canada ?
Quant à CHUM et Astral, ils sont stupéfaits, même si leur projet est accepté : ce projet était le seul à proposer une totalité de stations canadiennes, faisaient-ils valoir. On croit d'ailleurs comprendre que c'était un projet réalisable uniquement si les deux autres étaient refusés. On peut donc prévoir qu'ils vont se battre pour contester la décision du CRTC.
La ministre de la Culture Line Beauchamp a déclaré vendredi que la décision du CRTC pourrait avoir «des impacts négatifs sur la culture québécoise». On ne peut pas la contredire : si la radio par satellite c'est l'avenir de la radio, aussi bien fermer tout de suite toutes les stations québécoises actuelles, puisque les promoteurs proposeront une ou deux stations francophones au milieu de cent stations anglophones !
C'est un débat qui ne fait que commencer, à l'évidence. Radio-Canada, pour sa part, s'est associée au projet de radio satellite de Sirius Canada, histoire de pouvoir placer en orbite la Première Chaîne. Ce serait le temps que Radio-Canada nous explique comment elle peut justifier la promotion de la culture canadienne en se joignant à un bouquet de cent stations américaines.
***
Sur ces bonnes paroles... c'était la dernière chronique de la saison. La suite au mois d'août, lorsque votre chroniqueur média préféré aura fini de visiter quelques régions qu'il espère hospitalières.
Paul Cauchon
Édition du lundi 20 juin 2005
Vous aimeriez recevoir votre station de radio préférée avec un son parfait et l'écouter sans interruption dans votre voiture en roulant de Montréal à Matane? Pas de problème, ça s'en vient: en prime, on vous fournira une centaine de stations américaines.
On pourrait ainsi décrire la radio par satellite telle qu'elle est vue par le CRTC.
L'organisme réglementaire fédéral a en effet accepté jeudi dernier de lancer le Canada dans l'aventure de la radio par satellite. Pourquoi ? Parce qu'aux États-Unis, c'est la «prochaine grosse affaire», comme l'affirment certains analystes.
Même si on en parlait depuis les années 1990, et même si la première grande entreprise de radio satellite, XM, a été lancée en septembre 2001, suivie peu de temps ensuite par Sirius, c'est vraiment l'année dernière que la radio satellite a débloqué et qu'elle a commencé à inquiéter sérieusement les radiodiffuseurs traditionnels.
D'abord parce le nombre d'abonnés augmente à une vitesse exponentielle (on parle maintenant de sept millions d'abonnés américains). Et puis quand Howard Stern a déclaré l'année dernière qu'il abandonnait son poste pour migrer vers une des stations de la radio satellite, ce fut un choc dans l'industrie : une de ses plus grosses vedettes décrétait ainsi la «mort» du média traditionnel.
Mort... c'est un peu vite dit. La radio satellite, ça demeure encore de la radio, tout simplement, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Mais c'est la façon de la distribuer qui change.
En gros, il s'agit d'un bouquet de différentes stations de radio envoyées par satellite qu'on peut capter sur un récepteur numérique (qu'il faut acheter, bien sûr, mais les prix baissent de plus en plus). Son numérique, informations diverses apparaissant en même temps sur le récepteur (par exemple le nom de la pièce de musique qui joue) et publicité réduite ou inexistante, le tout pour un abonnement mensuel de 10 ou 15 $. Certains se demandent pourquoi payer pour des stations qu'on peut actuellement capter gratuitement. L'industrie répond que c'est le même genre de réserve qu'on entendait lorsque la câblodistribution est apparue, et regardez aujourd'hui le résultat.
On peut écouter ça chez soi, mais le marché le plus alléchant est celui de l'automobile, avec la possibilité, par exemple, de syntoniser son poste de musique ou de sport préféré, et de l'écouter sans interruption du Maine à la Californie. Juste pour montrer l'ampleur de l'affaire : XM est maintenant offert dans 120 modèles de véhicules, ainsi que dans les voitures de location de trois compagnies, dont Avis.
La programmation ? De tous les genres. XM offre actuellement 150 stations différentes, dont près de 70 stations musicales dans tous les domaines et une flopée de stations de nouvelles continues, de talk radio, de sport (plusieurs entreprises professionnelles signent maintenant des ententes pour diffuser matchs et compétitions), de variétés, d'émissions pour enfants, de comédie, de météo.
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Le CRTC a donc tenu une audience l'automne dernier pour analyser la possibilité de lancer un tel service au Canada. Des chiffres qui circulaient alors faisaient état d'environ 30 000 Canadiens abonnés au «marché gris» (des gens qui prennent une adresse aux États-Unis pour recevoir leur facture, et qui s'abonnent au satellite), avec la perspective affolante qu'ils soient un million en 2010 (remarquez que ce sont des chiffres impossibles à prouver).
Deux groupes canadiens, CSR et Sirius Canada, se sont présentés en audience pour obtenir la permission d'émettre, associés chacun à un des deux concurrents américains par satellite. Puis, CHUM et Astral se sont présentés avec un projet conjoint différent : radio numérique par abonnement là aussi, mais diffusée non pas par satellite, mais par des tours de transmission terrestre, un projet évalué à 88 millions sur sept ans (coûts de lancement et de fonctionnement).
CHUM et Astral proposent d'offrir aux abonnés 50 stations (on suppose qu'on y trouverait des stations de Astral comme Réseau Énergie et Rock Détente, bien que ce puisse être de nouvelles stations aussi).
Les deux autres projets proposent environ 100 stations, dont moins de dix sont canadiennes, les autres étant fournies par le partenaire américain.
Le CRTC a accepté les trois projets. Ce qui, à bien y penser, est plutôt farfelu. Comment imaginer que les trois nouvelles entreprises seront viables, pour un marché encore complètement inexistant au Canada ?
Quant à CHUM et Astral, ils sont stupéfaits, même si leur projet est accepté : ce projet était le seul à proposer une totalité de stations canadiennes, faisaient-ils valoir. On croit d'ailleurs comprendre que c'était un projet réalisable uniquement si les deux autres étaient refusés. On peut donc prévoir qu'ils vont se battre pour contester la décision du CRTC.
La ministre de la Culture Line Beauchamp a déclaré vendredi que la décision du CRTC pourrait avoir «des impacts négatifs sur la culture québécoise». On ne peut pas la contredire : si la radio par satellite c'est l'avenir de la radio, aussi bien fermer tout de suite toutes les stations québécoises actuelles, puisque les promoteurs proposeront une ou deux stations francophones au milieu de cent stations anglophones !
C'est un débat qui ne fait que commencer, à l'évidence. Radio-Canada, pour sa part, s'est associée au projet de radio satellite de Sirius Canada, histoire de pouvoir placer en orbite la Première Chaîne. Ce serait le temps que Radio-Canada nous explique comment elle peut justifier la promotion de la culture canadienne en se joignant à un bouquet de cent stations américaines.
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Sur ces bonnes paroles... c'était la dernière chronique de la saison. La suite au mois d'août, lorsque votre chroniqueur média préféré aura fini de visiter quelques régions qu'il espère hospitalières.