Publié : sam. avr. 02, 2005 5:02 am
La pub télé et ses voies de contournement
Paul Cauchon
Édition du samedi 2 et du dimanche 3 avril 2005
Au Gala des Olivier le 27 février dernier, Martin Matte parlait, dans un numéro humoristique, des valeurs familiales qui lui ont été léguées. Sur un grand écran cinq mots s'affichaient, représentant cinq valeurs. La première lettre de chaque mot formait le sigle HONDA. Belle coïncidence, puisque Martin Matte est le très visible porte-parole de Honda au Québec. Éclats de rire dans la salle, alors qu'on rigolait du clin d'oeil de Matte.
Mais ce n'était pas un clin d'oeil. C'était une publicité payée qui faisait partie du plan général de commandite de la compagnie Honda ce soir-là, un plan qui incluait cette «plogue» sur scène de une minute trente.
Bienvenue dans le merveilleux monde de la publicité télévisuelle. Un monde où les annonceurs et les agences de publicité rivalisent d'ingéniosité pour attirer l'attention d'un téléspectateur de plus en plus saturé par la pub. Un monde où l'industrie publicitaire est angoissée par le développement des «enregistreurs numériques personnels», les ENP qui permettent de sauter par-dessus les pubs en regardant les émissions.
L'anecdote concernant Honda a été discutée devant des dizaines de participants et de témoins (dont le signataire de ces lignes) lors de la Journée InfoPresse du 23 mars dernier, une journée thématique organisée par le groupe InfoPresse à Montréal pour réfléchir au rôle de la pub, en compagnie des patrons des agences et des dirigeants des chaînes de télévision. Signe de l'inquiétude dans le milieu, c'était la deuxième année de suite que se tenait une journée sur ce thème.
Pourquoi le milieu est-il inquiet ? D'abord parce que les émissions coûtent de plus en plus cher à financer, que les réseaux publics se battent pour un financement qui n'augmente pas, et que la publicité est encore plus essentielle.
Dans certains milieux, on voudrait même pouvoir diffuser jusqu'à 14 minutes de publicité à l'heure. «Pas question. Nous voudrions plutôt réduire le nombre de minutes», déclare Richard Portelance, directeur général du service commercial de Radio-Canada. Celui-ci pose une question aux participants : si Radio-Canada décidait de placer seulement huit minutes de publicité dans chaque heure d'émission, et pas plus de deux minutes à la fois, les annonceurs seraient-ils prêts à payer plus cher pour ces deux prestigieuses minutes ? Silence éloquent dans la salle. Il faut donc trouver d'autres formules.
Ensuite, les nouveaux enregistreurs numériques personnels permettent de zapper la pub (voir autre texte en page E 2). Les annonceurs le disent ouvertement : ils craignent que le public cherche par tous les moyens à éviter les commerciaux. Ils n'ont pas tort !
Enfin, le public approche du degré de saturation. L'année dernière, Léger Marketing avait présenté lors de la Journée InfoPresse quelques sondages réalisés de 2002 à 2004 auprès des Canadiens et des Québécois à propos de la pub. Selon ces données, 82 % des Québécois ont l'impression qu'ils sont plus exposés à la publicité qu'avant, et la majorité des répondants croient que c'est à la télévision que la publicité connaît la plus forte croissance, par rapport à tous les autres médias (journaux, Internet, magazines, radio, marketing direct, affichage extérieur).
Près d'un Québécois sur deux se dit saturé à l'égard de la publicité. Cet effet de saturation est le plus fort à la télévision (79 % croient qu'il y a trop de pub à la télé, contre 60 % pour le marketing direct, 55 % pour Internet, 50 % dans les magazines, et ainsi de suite).
Et s'il fallait payer plus cher pour les chaînes de télévision, en échange de moins de pub ? Ou à l'inverse, moins cher en acceptant plus de pub en ondes ? Pas question : la majorité des répondants veulent conserver le système tel qu'il est.
Et pour enfoncer le clou, les Québécois se disent à 43 % moins attentifs à la publicité en général depuis trois ans. Christophe Mayen, directeur média à l'agence Bos, résume l'inquiétude générale : «Il serait temps de tenir des états généraux sur la télévision pour faire face au zapping».
De la pub dans chaque fenêtre
Tout le monde cherche donc à inventer de nouvelles façons de faire. Radio-Canada a créé depuis un an trois nouveaux formats publicitaires, inspirés d'expériences européennes, soit la pub dans le générique, le décompte, et l'intégration de 15 secondes dans une émission.
La pub dans les génériques d'émission a été fortement décriée par l'Union des artistes et les associations d'auteurs l'automne dernier, au nom du respect intégral de l'oeuvre, à tel point que la télévision publique a dû reculer. «Je demeure convaincu que c'était une bonne idée, et nous reviendrons probablement l'automne prochain avec quelque chose d'autre dans le générique» prévient Richard Portelance.
Le décompte, c'est une pub encadrée par un large bandeau rouge pendant que défile un compte à rebours de 30 secondes avant le début d'une émission, technique fort utilisée avant Le Téléjournal ou Tout le monde en parle. Il paraît que ça fonctionne très bien et que le téléspectateur reste en ondes, parce qu'il attend son émission préférée et qu'il comprend que c'est la dernière pub avant le début de son émission (il n'a donc pas tendance à zapper).
L'intégration consiste à insérer une pub de 15 secondes dans un petit écran encadré pendant qu'on voit un concurrent réfléchir lors de La Fureur, un concept applicable à d'autres jeux.
«Ces pauses créatrices représentent un net avantage au plan de la rétention de l'auditoire, explique Richard Portelance. Le concept capitalise sur des moments où le téléspectateur est captif».
La pub télescopique
Pour sa part, TVA veut explorer une voie très différente cet automne. TVA et Vidéotron ont en effet signé une entente avec l'entreprise Etc.tv. Cette compagnie a conçu un tout nouveau service qui sera offert dans certaines émissions aux abonnés de Illico, le service de câble numérique de Vidéotron, qui comptait 334 000 abonnés en décembre dernier.
Dans un effort de créativité linguistique, Ian MacLean, vice-président de Etc.tv, qualifie ce service de «modèle interactif de publicité télescopique» ! En regardant une pub de 30 secondes dans une émission, l'abonné d'Illico pourra avoir accès, d'un clic de télécommande, à un film publicitaire de 10, 15, et même 30 ou 60 minutes qui donnera accès à plus de contenus publicitaires, par exemple un film sur les forfaits vacances offerts par Air Canada, ou encore des recettes de cuisine pour un produit alimentaire. «Le 30 secondes devient un portail donnant accès à une publicité plus longue», ajoute Ian MacLean, convaincu de pouvoir lancer un tel service à la grandeur du Canada en 2006.
S'il préfère continuer à regarder son émission, l'abonné peut même stocker la pub dans un fichier personnel pour la visionner plus tard. Plusieurs gros annonceurs ont commencé à produire des films pour ce concept. Le service permet aussi de recueillir de précieux renseignements sur le comportement de l'abonné, en identifiant en temps réel ce sur quoi il clique.
Le concept s'est valu plusieurs commentaires méfiants de la part des participants à la Journée InfoPresse. Certains se demandaient s'il n'était pas préférable d'aller voir les annonces sur Internet plutôt que d'interrompre ainsi l'émission qu'on regarde. «C'est un format qui prendra un certain temps à s'établir, admet Reneault Poliquin, vice-président vente et marketing du Groupe TVA. On se pose beaucoup de questions sur les différents modes d'affaires à développer dans les prochaines années, car les annonceurs trouvent que le 30 ou le 60 secondes est de plus en plus limitatif».
D'autres expériences sont menées, par exemple la pub de deux minutes qui s'apparente à un mini-film (Pierre Légaré pour la Chambre des notaires, par exemple), ou encore, à l'inverse, la mini-pub de cinq secondes, un flash rapide inséré entre deux autres commerciaux.
«Il faut de plus en plus aller vers des formats éclatés», déclare Diane Patenaude, directrice de Carat commandite, qui ajoute que la commandite d'émissions est une autre voie très prometteuse, à l'exemple de Ma Maison Rona, où le concept même de l'émission réfère aux produits du commanditaire principal.
«Le placement de produit dans une émission est une autre alternative, ajoute-t-elle, mais il fait faire attention de ne pas saturer».
Il faut donc s'attendre à voir se développer ces expériences multiples pour conserver l'intérêt d'un consommateur sollicité par trop de chaînes, et souvent excédé par tous les Indiens Lakota de ce monde !
Il faudra également s'attendre à voir se multiplier les porte-parole populaires d'un produit, un des concepts les plus appréciés par l'industrie. Difficile de ne pas leur donner raison : contrairement à l'histoire du Gala des Olivier, lorsque Martin Matte a «plogué» Honda lors de son passage à Tout le monde en parle cet hiver, ce n'était pas payé. C'était une initiative personnelle. On peut vraiment dire que cette fois-là, l'humoriste en a donné plus que le client n'en demandait
Paul Cauchon
Édition du samedi 2 et du dimanche 3 avril 2005
Au Gala des Olivier le 27 février dernier, Martin Matte parlait, dans un numéro humoristique, des valeurs familiales qui lui ont été léguées. Sur un grand écran cinq mots s'affichaient, représentant cinq valeurs. La première lettre de chaque mot formait le sigle HONDA. Belle coïncidence, puisque Martin Matte est le très visible porte-parole de Honda au Québec. Éclats de rire dans la salle, alors qu'on rigolait du clin d'oeil de Matte.
Mais ce n'était pas un clin d'oeil. C'était une publicité payée qui faisait partie du plan général de commandite de la compagnie Honda ce soir-là, un plan qui incluait cette «plogue» sur scène de une minute trente.
Bienvenue dans le merveilleux monde de la publicité télévisuelle. Un monde où les annonceurs et les agences de publicité rivalisent d'ingéniosité pour attirer l'attention d'un téléspectateur de plus en plus saturé par la pub. Un monde où l'industrie publicitaire est angoissée par le développement des «enregistreurs numériques personnels», les ENP qui permettent de sauter par-dessus les pubs en regardant les émissions.
L'anecdote concernant Honda a été discutée devant des dizaines de participants et de témoins (dont le signataire de ces lignes) lors de la Journée InfoPresse du 23 mars dernier, une journée thématique organisée par le groupe InfoPresse à Montréal pour réfléchir au rôle de la pub, en compagnie des patrons des agences et des dirigeants des chaînes de télévision. Signe de l'inquiétude dans le milieu, c'était la deuxième année de suite que se tenait une journée sur ce thème.
Pourquoi le milieu est-il inquiet ? D'abord parce que les émissions coûtent de plus en plus cher à financer, que les réseaux publics se battent pour un financement qui n'augmente pas, et que la publicité est encore plus essentielle.
Dans certains milieux, on voudrait même pouvoir diffuser jusqu'à 14 minutes de publicité à l'heure. «Pas question. Nous voudrions plutôt réduire le nombre de minutes», déclare Richard Portelance, directeur général du service commercial de Radio-Canada. Celui-ci pose une question aux participants : si Radio-Canada décidait de placer seulement huit minutes de publicité dans chaque heure d'émission, et pas plus de deux minutes à la fois, les annonceurs seraient-ils prêts à payer plus cher pour ces deux prestigieuses minutes ? Silence éloquent dans la salle. Il faut donc trouver d'autres formules.
Ensuite, les nouveaux enregistreurs numériques personnels permettent de zapper la pub (voir autre texte en page E 2). Les annonceurs le disent ouvertement : ils craignent que le public cherche par tous les moyens à éviter les commerciaux. Ils n'ont pas tort !
Enfin, le public approche du degré de saturation. L'année dernière, Léger Marketing avait présenté lors de la Journée InfoPresse quelques sondages réalisés de 2002 à 2004 auprès des Canadiens et des Québécois à propos de la pub. Selon ces données, 82 % des Québécois ont l'impression qu'ils sont plus exposés à la publicité qu'avant, et la majorité des répondants croient que c'est à la télévision que la publicité connaît la plus forte croissance, par rapport à tous les autres médias (journaux, Internet, magazines, radio, marketing direct, affichage extérieur).
Près d'un Québécois sur deux se dit saturé à l'égard de la publicité. Cet effet de saturation est le plus fort à la télévision (79 % croient qu'il y a trop de pub à la télé, contre 60 % pour le marketing direct, 55 % pour Internet, 50 % dans les magazines, et ainsi de suite).
Et s'il fallait payer plus cher pour les chaînes de télévision, en échange de moins de pub ? Ou à l'inverse, moins cher en acceptant plus de pub en ondes ? Pas question : la majorité des répondants veulent conserver le système tel qu'il est.
Et pour enfoncer le clou, les Québécois se disent à 43 % moins attentifs à la publicité en général depuis trois ans. Christophe Mayen, directeur média à l'agence Bos, résume l'inquiétude générale : «Il serait temps de tenir des états généraux sur la télévision pour faire face au zapping».
De la pub dans chaque fenêtre
Tout le monde cherche donc à inventer de nouvelles façons de faire. Radio-Canada a créé depuis un an trois nouveaux formats publicitaires, inspirés d'expériences européennes, soit la pub dans le générique, le décompte, et l'intégration de 15 secondes dans une émission.
La pub dans les génériques d'émission a été fortement décriée par l'Union des artistes et les associations d'auteurs l'automne dernier, au nom du respect intégral de l'oeuvre, à tel point que la télévision publique a dû reculer. «Je demeure convaincu que c'était une bonne idée, et nous reviendrons probablement l'automne prochain avec quelque chose d'autre dans le générique» prévient Richard Portelance.
Le décompte, c'est une pub encadrée par un large bandeau rouge pendant que défile un compte à rebours de 30 secondes avant le début d'une émission, technique fort utilisée avant Le Téléjournal ou Tout le monde en parle. Il paraît que ça fonctionne très bien et que le téléspectateur reste en ondes, parce qu'il attend son émission préférée et qu'il comprend que c'est la dernière pub avant le début de son émission (il n'a donc pas tendance à zapper).
L'intégration consiste à insérer une pub de 15 secondes dans un petit écran encadré pendant qu'on voit un concurrent réfléchir lors de La Fureur, un concept applicable à d'autres jeux.
«Ces pauses créatrices représentent un net avantage au plan de la rétention de l'auditoire, explique Richard Portelance. Le concept capitalise sur des moments où le téléspectateur est captif».
La pub télescopique
Pour sa part, TVA veut explorer une voie très différente cet automne. TVA et Vidéotron ont en effet signé une entente avec l'entreprise Etc.tv. Cette compagnie a conçu un tout nouveau service qui sera offert dans certaines émissions aux abonnés de Illico, le service de câble numérique de Vidéotron, qui comptait 334 000 abonnés en décembre dernier.
Dans un effort de créativité linguistique, Ian MacLean, vice-président de Etc.tv, qualifie ce service de «modèle interactif de publicité télescopique» ! En regardant une pub de 30 secondes dans une émission, l'abonné d'Illico pourra avoir accès, d'un clic de télécommande, à un film publicitaire de 10, 15, et même 30 ou 60 minutes qui donnera accès à plus de contenus publicitaires, par exemple un film sur les forfaits vacances offerts par Air Canada, ou encore des recettes de cuisine pour un produit alimentaire. «Le 30 secondes devient un portail donnant accès à une publicité plus longue», ajoute Ian MacLean, convaincu de pouvoir lancer un tel service à la grandeur du Canada en 2006.
S'il préfère continuer à regarder son émission, l'abonné peut même stocker la pub dans un fichier personnel pour la visionner plus tard. Plusieurs gros annonceurs ont commencé à produire des films pour ce concept. Le service permet aussi de recueillir de précieux renseignements sur le comportement de l'abonné, en identifiant en temps réel ce sur quoi il clique.
Le concept s'est valu plusieurs commentaires méfiants de la part des participants à la Journée InfoPresse. Certains se demandaient s'il n'était pas préférable d'aller voir les annonces sur Internet plutôt que d'interrompre ainsi l'émission qu'on regarde. «C'est un format qui prendra un certain temps à s'établir, admet Reneault Poliquin, vice-président vente et marketing du Groupe TVA. On se pose beaucoup de questions sur les différents modes d'affaires à développer dans les prochaines années, car les annonceurs trouvent que le 30 ou le 60 secondes est de plus en plus limitatif».
D'autres expériences sont menées, par exemple la pub de deux minutes qui s'apparente à un mini-film (Pierre Légaré pour la Chambre des notaires, par exemple), ou encore, à l'inverse, la mini-pub de cinq secondes, un flash rapide inséré entre deux autres commerciaux.
«Il faut de plus en plus aller vers des formats éclatés», déclare Diane Patenaude, directrice de Carat commandite, qui ajoute que la commandite d'émissions est une autre voie très prometteuse, à l'exemple de Ma Maison Rona, où le concept même de l'émission réfère aux produits du commanditaire principal.
«Le placement de produit dans une émission est une autre alternative, ajoute-t-elle, mais il fait faire attention de ne pas saturer».
Il faut donc s'attendre à voir se développer ces expériences multiples pour conserver l'intérêt d'un consommateur sollicité par trop de chaînes, et souvent excédé par tous les Indiens Lakota de ce monde !
Il faudra également s'attendre à voir se multiplier les porte-parole populaires d'un produit, un des concepts les plus appréciés par l'industrie. Difficile de ne pas leur donner raison : contrairement à l'histoire du Gala des Olivier, lorsque Martin Matte a «plogué» Honda lors de son passage à Tout le monde en parle cet hiver, ce n'était pas payé. C'était une initiative personnelle. On peut vraiment dire que cette fois-là, l'humoriste en a donné plus que le client n'en demandait