Publié : lun. févr. 07, 2005 8:38 am
Commission Gomery
Chrétien et Martin dans la fosse aux lions
Gilles Toupin
La Presse
Ottawa
Pour la première fois dans l'histoire canadienne, deux premiers ministres - Jean Chrétien et Paul Martin - témoigneront tour à tour cette semaine devant une commission d'enquête publique, la Commission d'enquête sur le programme de commandites, avec pour toile de fond une vieille rivalité encore vivace entre les deux hommes.
Informations complémentaires
Le retour de Jean Chrétien sous les feux de la rampe politique crée déjà tout un émoi. Il doit comparaître dès demain devant le commissaire Gomery pour raconter sa version des faits entourant le fameux programme de 250 millions de dollars dont la vérificatrice générale, Sheila Fraser, dans son rapport de novembre 2003, a condamné la mauvaise gestion et les manquements aux lois. Le programme avait permis à des agences de communication proches des libéraux d'empocher quelque 100 millions de dollars en commissions sans bien souvent aucune preuve que du travail avait été accompli en échange.
Déjà la semaine dernière, l'ancien secrétaire principal de Pierre Trudeau, Tom Axworthy, confiait au quotidien The Citizen que la réapparition de Jean Chrétien sur la scène publique pouvait se comparer au «retour de Mohammed Ali».
Après Jean Chrétien (sans doute jeudi), l'actuel premier ministre, Paul Martin, devra aussi témoigner. Il aura l'avantage d'occuper la chaise des témoins après son ancien patron et de pouvoir corriger le tir, si nécessaire. Tous les éléments sont réunis pour du grand théâtre politique. On se rappellera que Jean Chrétien avait refilé à Paul Martin les braises ardentes du rapport de la vérificatrice générale en mettant un terme à la session parlementaire en novembre 2003, juste un peu avant le jour où Mme Fraser devait publier son rapport incendiaire. La manoeuvre permettait à M. Chrétien de quitter la vie politique sans coup férir et d'obliger la vérificatrice générale à publier son rapport après l'assermentation de Paul Martin, ce qu'elle fit en février 2004.
Ce fut, pour le nouveau premier ministre, un terrible début de règne; il fut contraint de se défendre sur la place publique, de clamer partout qu'il était «enragé» d'avoir appris ce que venait de révéler Mme Fraser, qu'il n'avait pas été mis au courant de la gestion du programme au jour le jour. Avant d'appeler les Canadiens aux urnes, il n'eut d'autre choix que d'ordonner l'enquête publique dans laquelle il doit témoigner cette semaine.
Trudeau avait témoigné en secret devant la commission Macdonald
Pierre Trudeau avait témoigné dans le plus grand secret le 22 juillet 1980 devant la commission d'enquête Macdonald, consacrée aux agissements suspects de la GRC au Québec. Il a fallu 10 jours avant que la chose soit découverte par les médias. Avant lui, le seul premier ministre à témoigner publiquement devant une commission royale d'enquête fut John A. Macdonald, le premier des premiers ministres canadiens. Il s'agissait du fameux scandale des pots-de-vin lié à la construction du chemin de fer Canadien pacifique. M. Macdonald tenta vainement à cette occasion, en 1873, de se dépêtrer de cette sordide affaire, ce qui eut pour seul résultat le naufrage de son gouvernement conservateur.
Jean Chrétien et Paul Martin risquent beaucoup cette semaine. Leur réputation pourrait souffrir du scandale des commandites. On s'attend donc à des moments de grande tension, voire à des affrontements, particulièrement entre M. Chrétien et le procureur principal de la commission, Me Bernard Roy, ancien ennemi politique du «p'tit gars de Shawinigan». Me Roy, qui est du genre à mener des interrogatoires serrés, fut pendant quatre ans chef de cabinet du premier ministre conservateur Brian Mulroney. Il aura devant lui un Jean Chrétien qui a déjà lancé ses premières salves contre la commission Gomery en tentant sans succès la semaine dernière de forcer le commissaire à se récuser en raison d'«une appréhension raisonnable de préjugé» pour des propos qu'il avait tenus aux médias avant les Fêtes. M. Chrétien n'avait particulièrement pas prisé que le juge lui reproche de s'être servi du programme de commandites pour faire graver ses initiales sur des balles de golf «promotionnelles». Il entend rappeler la fragilité du pays après le référendum de 1995 et répétera sans doute que, si des gens dans son parti ou ailleurs on violé la loi, eh ! bien, il faut qu'ils soient punis ! L'ancien premier ministre pourrait aussi révéler certains faits qui risquent de contredire Paul Martin, qui a toujours affirmé ne rien savoir des abus de la gestion des commandites et de leur financement.
M. Martin, qui a payé chèrement pour le scandale lors des dernières élections, s'est préparé très sérieusement à son témoignage, selon nos informations. Il n'a certainement pas apprécié que Jean Chrétien lui laisse avec un malin plaisir ce dossier en héritage. Une chose est certaine, il continuera devant la commission à dissocier son gouvernement de celui de M. Chrétien dans toute cette affaire. Ce que la commission tentera surtout de faire, c'est de creuser la perception selon laquelle le premier ministre en savait peut-être plus qu'il ne le prétend sur les problèmes du programme, étant donné qu'il était à l'époque ministre des Finances et le doyen des ministres du Québec.
Chrétien et Martin dans la fosse aux lions
Gilles Toupin
La Presse
Ottawa
Pour la première fois dans l'histoire canadienne, deux premiers ministres - Jean Chrétien et Paul Martin - témoigneront tour à tour cette semaine devant une commission d'enquête publique, la Commission d'enquête sur le programme de commandites, avec pour toile de fond une vieille rivalité encore vivace entre les deux hommes.
Informations complémentaires
Le retour de Jean Chrétien sous les feux de la rampe politique crée déjà tout un émoi. Il doit comparaître dès demain devant le commissaire Gomery pour raconter sa version des faits entourant le fameux programme de 250 millions de dollars dont la vérificatrice générale, Sheila Fraser, dans son rapport de novembre 2003, a condamné la mauvaise gestion et les manquements aux lois. Le programme avait permis à des agences de communication proches des libéraux d'empocher quelque 100 millions de dollars en commissions sans bien souvent aucune preuve que du travail avait été accompli en échange.
Déjà la semaine dernière, l'ancien secrétaire principal de Pierre Trudeau, Tom Axworthy, confiait au quotidien The Citizen que la réapparition de Jean Chrétien sur la scène publique pouvait se comparer au «retour de Mohammed Ali».
Après Jean Chrétien (sans doute jeudi), l'actuel premier ministre, Paul Martin, devra aussi témoigner. Il aura l'avantage d'occuper la chaise des témoins après son ancien patron et de pouvoir corriger le tir, si nécessaire. Tous les éléments sont réunis pour du grand théâtre politique. On se rappellera que Jean Chrétien avait refilé à Paul Martin les braises ardentes du rapport de la vérificatrice générale en mettant un terme à la session parlementaire en novembre 2003, juste un peu avant le jour où Mme Fraser devait publier son rapport incendiaire. La manoeuvre permettait à M. Chrétien de quitter la vie politique sans coup férir et d'obliger la vérificatrice générale à publier son rapport après l'assermentation de Paul Martin, ce qu'elle fit en février 2004.
Ce fut, pour le nouveau premier ministre, un terrible début de règne; il fut contraint de se défendre sur la place publique, de clamer partout qu'il était «enragé» d'avoir appris ce que venait de révéler Mme Fraser, qu'il n'avait pas été mis au courant de la gestion du programme au jour le jour. Avant d'appeler les Canadiens aux urnes, il n'eut d'autre choix que d'ordonner l'enquête publique dans laquelle il doit témoigner cette semaine.
Trudeau avait témoigné en secret devant la commission Macdonald
Pierre Trudeau avait témoigné dans le plus grand secret le 22 juillet 1980 devant la commission d'enquête Macdonald, consacrée aux agissements suspects de la GRC au Québec. Il a fallu 10 jours avant que la chose soit découverte par les médias. Avant lui, le seul premier ministre à témoigner publiquement devant une commission royale d'enquête fut John A. Macdonald, le premier des premiers ministres canadiens. Il s'agissait du fameux scandale des pots-de-vin lié à la construction du chemin de fer Canadien pacifique. M. Macdonald tenta vainement à cette occasion, en 1873, de se dépêtrer de cette sordide affaire, ce qui eut pour seul résultat le naufrage de son gouvernement conservateur.
Jean Chrétien et Paul Martin risquent beaucoup cette semaine. Leur réputation pourrait souffrir du scandale des commandites. On s'attend donc à des moments de grande tension, voire à des affrontements, particulièrement entre M. Chrétien et le procureur principal de la commission, Me Bernard Roy, ancien ennemi politique du «p'tit gars de Shawinigan». Me Roy, qui est du genre à mener des interrogatoires serrés, fut pendant quatre ans chef de cabinet du premier ministre conservateur Brian Mulroney. Il aura devant lui un Jean Chrétien qui a déjà lancé ses premières salves contre la commission Gomery en tentant sans succès la semaine dernière de forcer le commissaire à se récuser en raison d'«une appréhension raisonnable de préjugé» pour des propos qu'il avait tenus aux médias avant les Fêtes. M. Chrétien n'avait particulièrement pas prisé que le juge lui reproche de s'être servi du programme de commandites pour faire graver ses initiales sur des balles de golf «promotionnelles». Il entend rappeler la fragilité du pays après le référendum de 1995 et répétera sans doute que, si des gens dans son parti ou ailleurs on violé la loi, eh ! bien, il faut qu'ils soient punis ! L'ancien premier ministre pourrait aussi révéler certains faits qui risquent de contredire Paul Martin, qui a toujours affirmé ne rien savoir des abus de la gestion des commandites et de leur financement.
M. Martin, qui a payé chèrement pour le scandale lors des dernières élections, s'est préparé très sérieusement à son témoignage, selon nos informations. Il n'a certainement pas apprécié que Jean Chrétien lui laisse avec un malin plaisir ce dossier en héritage. Une chose est certaine, il continuera devant la commission à dissocier son gouvernement de celui de M. Chrétien dans toute cette affaire. Ce que la commission tentera surtout de faire, c'est de creuser la perception selon laquelle le premier ministre en savait peut-être plus qu'il ne le prétend sur les problèmes du programme, étant donné qu'il était à l'époque ministre des Finances et le doyen des ministres du Québec.