Publié : ven. déc. 17, 2004 7:17 pm
Le Devoir
LES ACTUALITÉS, vendredi 17 décembre 2004, p. a1
Médicaments: Québec abolira le gel des prix
Aucuns frais à compter de juillet pour les personnes âgées gagnant 12 000 $ et moins par an
Dutrisac, Robert
Québec - Décrié par l'industrie pharmaceutique, le gel des prix des médicaments, en vigueur depuis dix ans au Québec, sera aboli par le gouvernement Charest l'an prochain.
Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, a dévoilé hier le document de consultation sur la première politique du médicament dont se dotera un gouvernement du Québec. Cette politique doit être adoptée en 2005, neuf ans après la création du régime général d'assurance médicaments. Une commission parlementaire sur le sujet amorcera ses travaux le 1er mars prochain.
Le gel des prix «est une situation anormale», a dit M. Couillard, soulignant que l'indice des prix à la consommation (IPC) avait progressé de 20 % entre 1994 et 2004.
Mais ce dégel, tel que le préconise le projet de politique du médicament, sera encadré par des balises contraignantes. Pour que son prix soit revu à la hausse, le médicament devra faire partie de la liste des médicaments depuis au moins cinq ans; le gel est donc maintenu pour les nouveaux médicaments. La hausse du prix d'un médicament, qui ne peut survenir qu'une fois l'an, ne peut dépasser la croissance de l'indice des prix à la consommation (IPC). Enfin, l'augmentation demandée pour l'ensemble des médicaments d'un seul fabricant devrait être moindre que l'IPC, soit l'IPC moins 0,5 %.
Le ministre a précisé que le dégel devra engendrer des coûts additionnels de 12 millions par année à l'État, somme qui pourrait être réduite grâce à la négociation de ristournes de la part des fabricants.
La politique du médicament s'articule autour de quatre axes: l'accessibilité aux médicaments, la fixation des prix justes et raisonnables, l'utilisation optimale des médicaments et, enfin, le maintien d'une industrie pharmaceutique forte au Québec.
Sur le plan de l'accessibilité, M. Couillard s'est engagé hier à remplir partiellement une promesse électorale des libéraux d'assurer la gratuité des médicaments aux plus démunis de la société. À compter du 1er juillet prochain, date à laquelle le gouvernement révise statutairement les paramètres des frais aux assurés du régime public, les personnes âgées qui touchent le maximum du revenu minimum garanti, soit une pitance de 12 000 $ par année, n'auront plus à payer de franchise ou de coassurance. Les personnes âgées qui bénéficient d'un supplément partiel et qui disposent d'un revenu à peine supérieur n'auront toujours pas droit à la gratuité, ce qu'a déploré hier la Fédération de l'âge d'or du Québec (FADOQ) - Mouvement des aînés du Québec par voie de communiqué. Les assistés sociaux ne jouiront pas non plus de la gratuité, comme le promettait le candidat Couillard en campagne électorale. «Je garde le cap sur l'intérieur du mandat», a-t-il dit hier. À ses yeux, il aurait été «insensé» d'accorder la gratuité à tous les démunis sans encadrer cette gratuité par une politique d'utilisation optimale des médicaments.
Les fabricants de médicaments d'origine ne perdront pas l'avantage de la règle de 15 ans dont ils jouissent au Québec et qui prolonge la durée de leurs brevets, ce qui représente une dépense de 25 millions pour le Trésor québécois, selon la dernière évaluation du Vérificateur général.
En revanche, le ministre entend serrer la vis aux fabricants de médicaments génériques, qui coûtent plus cher au Québec que dans les autres provinces. Ainsi, le prix du premier médicament générique sera limité à 60 % du prix du médicament breveté qu'il remplace et les prix des produits génériques qui suivent, à 54 %.
La politique du médicament consacre l'importance du Conseil du médicament et son rôle dans la confection de la liste des médicaments remboursables par le régime public. La liste ne sera plus révisée trois ou quatre fois par année à dates fixes. Elle sera amendée plus fréquemment pour introduire rapidement les baisses de prix et les nouveaux médicaments. On veut aussi réduire les tracasseries administratives, liées à la liste de médicaments d'exception, avec lesquelles les médecins doivent composer.
Pour favoriser l'utilisation optimale des médicaments, la politique introduit la transmission de l'intention thérapeutique du médecin au pharmacien, ce qui fera l'objet d'un projet-pilote. M. Couillard a reconnu que cette nouvelle pratique soulève des réticences de la part des médecins, qui répugnent à divulguer leurs diagnostics.
À tous les médecins qui le souhaiteront, on fournira une comparaison entre leur profil de prescrïption et ceux de leurs pairs. En s'inspirant d'une expérience australienne, on envisage aussi de demander au médecin de famille, épaulé par un pharmacien, de procéder à la révision de la médication de chacun de ses patients, les personnes âgées, surtout, de façon périodique.
Afin de mieux informer la population, les CLSC, qui fournissent déjà le service téléphonique Info-Santé, feront de même avec un service «info-médicaments».
En ce qui a trait aux pratiques commerciales des compagnies pharmaceutiques, la politique propose que les fabricants s'engagent à respecter un code des pratiques commerciales sous peine de sanctions financières et de divulgation du comportement fautif. Les compagnies devront également garantir que le prix du médicament est exempt du coût des cadeaux ou ristournes aux professionnels de la santé.
En conférence de presse hier, le président de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Jean-Yves Julien, a qualifié le document présenté par M. Couillard «d'extrêmement intéressant» et de «rassembleur». M. Julien estime que le projet de transmission d'intention thérapeutique est essentiel et qu'il s'agit d'une information que le pharmacien tente d'obtenir de toute façon de son client.
L'association Les Compagnies de recherche pharmaceutique du médicament du Québec (Rx&D), qui regroupe les fabricants de médicaments d'origine, s'est dit encouragée par le projet de politique de M. Couillard. «Les quatre axes ciblés par le ministre de la Santé pourraient permettre de contribuer au renouvellement de ce partenariat entre notre industrie et le gouvernement du Québec», a déclaré, par voie de communiqué, le président de Rx&D, Russell Williams, ex-député de Nelligan et ex-adjoint parlementaire de M. Couillard. Il s'agit d'une réaction préliminaire puisque le dégel des prix, encadré comme il est, donnera lieu à de plus amples analyses de la part des compagnies.
De son côté, l'Association canadienne du médicament générique émet de sérieuses réserves. Elle déplore que le gouvernement n'ait pas mis fin à la règle des 15 ans, qui coûte au gouvernement 43 millions par année, selon ses calculs. L'association se plaint surtout du plafond fixé à 60 % du prix du médicament d'origine pour les produits génériques alors qu'ils ne représentent que 15 % du coût du régime public.
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On s'en va à la dérive
LES ACTUALITÉS, vendredi 17 décembre 2004, p. a1
Médicaments: Québec abolira le gel des prix
Aucuns frais à compter de juillet pour les personnes âgées gagnant 12 000 $ et moins par an
Dutrisac, Robert
Québec - Décrié par l'industrie pharmaceutique, le gel des prix des médicaments, en vigueur depuis dix ans au Québec, sera aboli par le gouvernement Charest l'an prochain.
Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, a dévoilé hier le document de consultation sur la première politique du médicament dont se dotera un gouvernement du Québec. Cette politique doit être adoptée en 2005, neuf ans après la création du régime général d'assurance médicaments. Une commission parlementaire sur le sujet amorcera ses travaux le 1er mars prochain.
Le gel des prix «est une situation anormale», a dit M. Couillard, soulignant que l'indice des prix à la consommation (IPC) avait progressé de 20 % entre 1994 et 2004.
Mais ce dégel, tel que le préconise le projet de politique du médicament, sera encadré par des balises contraignantes. Pour que son prix soit revu à la hausse, le médicament devra faire partie de la liste des médicaments depuis au moins cinq ans; le gel est donc maintenu pour les nouveaux médicaments. La hausse du prix d'un médicament, qui ne peut survenir qu'une fois l'an, ne peut dépasser la croissance de l'indice des prix à la consommation (IPC). Enfin, l'augmentation demandée pour l'ensemble des médicaments d'un seul fabricant devrait être moindre que l'IPC, soit l'IPC moins 0,5 %.
Le ministre a précisé que le dégel devra engendrer des coûts additionnels de 12 millions par année à l'État, somme qui pourrait être réduite grâce à la négociation de ristournes de la part des fabricants.
La politique du médicament s'articule autour de quatre axes: l'accessibilité aux médicaments, la fixation des prix justes et raisonnables, l'utilisation optimale des médicaments et, enfin, le maintien d'une industrie pharmaceutique forte au Québec.
Sur le plan de l'accessibilité, M. Couillard s'est engagé hier à remplir partiellement une promesse électorale des libéraux d'assurer la gratuité des médicaments aux plus démunis de la société. À compter du 1er juillet prochain, date à laquelle le gouvernement révise statutairement les paramètres des frais aux assurés du régime public, les personnes âgées qui touchent le maximum du revenu minimum garanti, soit une pitance de 12 000 $ par année, n'auront plus à payer de franchise ou de coassurance. Les personnes âgées qui bénéficient d'un supplément partiel et qui disposent d'un revenu à peine supérieur n'auront toujours pas droit à la gratuité, ce qu'a déploré hier la Fédération de l'âge d'or du Québec (FADOQ) - Mouvement des aînés du Québec par voie de communiqué. Les assistés sociaux ne jouiront pas non plus de la gratuité, comme le promettait le candidat Couillard en campagne électorale. «Je garde le cap sur l'intérieur du mandat», a-t-il dit hier. À ses yeux, il aurait été «insensé» d'accorder la gratuité à tous les démunis sans encadrer cette gratuité par une politique d'utilisation optimale des médicaments.
Les fabricants de médicaments d'origine ne perdront pas l'avantage de la règle de 15 ans dont ils jouissent au Québec et qui prolonge la durée de leurs brevets, ce qui représente une dépense de 25 millions pour le Trésor québécois, selon la dernière évaluation du Vérificateur général.
En revanche, le ministre entend serrer la vis aux fabricants de médicaments génériques, qui coûtent plus cher au Québec que dans les autres provinces. Ainsi, le prix du premier médicament générique sera limité à 60 % du prix du médicament breveté qu'il remplace et les prix des produits génériques qui suivent, à 54 %.
La politique du médicament consacre l'importance du Conseil du médicament et son rôle dans la confection de la liste des médicaments remboursables par le régime public. La liste ne sera plus révisée trois ou quatre fois par année à dates fixes. Elle sera amendée plus fréquemment pour introduire rapidement les baisses de prix et les nouveaux médicaments. On veut aussi réduire les tracasseries administratives, liées à la liste de médicaments d'exception, avec lesquelles les médecins doivent composer.
Pour favoriser l'utilisation optimale des médicaments, la politique introduit la transmission de l'intention thérapeutique du médecin au pharmacien, ce qui fera l'objet d'un projet-pilote. M. Couillard a reconnu que cette nouvelle pratique soulève des réticences de la part des médecins, qui répugnent à divulguer leurs diagnostics.
À tous les médecins qui le souhaiteront, on fournira une comparaison entre leur profil de prescrïption et ceux de leurs pairs. En s'inspirant d'une expérience australienne, on envisage aussi de demander au médecin de famille, épaulé par un pharmacien, de procéder à la révision de la médication de chacun de ses patients, les personnes âgées, surtout, de façon périodique.
Afin de mieux informer la population, les CLSC, qui fournissent déjà le service téléphonique Info-Santé, feront de même avec un service «info-médicaments».
En ce qui a trait aux pratiques commerciales des compagnies pharmaceutiques, la politique propose que les fabricants s'engagent à respecter un code des pratiques commerciales sous peine de sanctions financières et de divulgation du comportement fautif. Les compagnies devront également garantir que le prix du médicament est exempt du coût des cadeaux ou ristournes aux professionnels de la santé.
En conférence de presse hier, le président de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Jean-Yves Julien, a qualifié le document présenté par M. Couillard «d'extrêmement intéressant» et de «rassembleur». M. Julien estime que le projet de transmission d'intention thérapeutique est essentiel et qu'il s'agit d'une information que le pharmacien tente d'obtenir de toute façon de son client.
L'association Les Compagnies de recherche pharmaceutique du médicament du Québec (Rx&D), qui regroupe les fabricants de médicaments d'origine, s'est dit encouragée par le projet de politique de M. Couillard. «Les quatre axes ciblés par le ministre de la Santé pourraient permettre de contribuer au renouvellement de ce partenariat entre notre industrie et le gouvernement du Québec», a déclaré, par voie de communiqué, le président de Rx&D, Russell Williams, ex-député de Nelligan et ex-adjoint parlementaire de M. Couillard. Il s'agit d'une réaction préliminaire puisque le dégel des prix, encadré comme il est, donnera lieu à de plus amples analyses de la part des compagnies.
De son côté, l'Association canadienne du médicament générique émet de sérieuses réserves. Elle déplore que le gouvernement n'ait pas mis fin à la règle des 15 ans, qui coûte au gouvernement 43 millions par année, selon ses calculs. L'association se plaint surtout du plafond fixé à 60 % du prix du médicament d'origine pour les produits génériques alors qu'ils ne représentent que 15 % du coût du régime public.
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On s'en va à la dérive