Publié : jeu. août 12, 2004 7:02 am
"Ce fut la fin du baseball à Montréal"
-Felipe Alou
Lundi 9 août 2004 - (RDS) - Cette semaine marque le dixième anniversaire de la tristement célèbre grève du baseball majeur, déclenchée le 12 août 1994. Une grève qui devait ne durer que quelques semaines. Mais on connaît la suite, surtout les partisans des Expos, qui ont vu s'envoler en quelques semaines les espoirs de voir les Z'Amours remporter les grands honneurs. Selon plusieurs, le 12 août 1994 fut le début d'un long processus, celui de la lente agonie des Expos.
Le scénario de 1994 était celui dont les amateurs montréalais rêvaient depuis 1969, une équipe championne. Il y avait bien eu cette édition de 1981 que seul un circuit de Rick Monday a privé d'une participation à la Série mondiale, mais l'édition de 1994 lui était de loin supérieure.
Menés par le gourou Felipe Alou, les Expos revendiquaient une incroyable fiche de 74 victoires contre seulement 40 défaites (soit une moyenne de .649) au moment du déclenchement de la grève. 74 victoires en 114 matchs! Il y a fort à parier que l'édition actuelle des Expos ne remportera même pas 74 matchs sur 162 cette saison!
Grâce à cette fiche, les Expos devançaient les éternels Braves d'Atlanta par six parties au sommet de la division Est.
"Au début de la grève, j'ai rencontré Tom Glavine, le partant des Braves et il m'a dit : « Felipe, c'est triste pour vous parce que je ne vois pas comment nous aurions été capables de vous devancer avec une telle équipe »", se remémore Alou.
Une saison de 108 victoires
Les Expos ne montraient pas seulement le meilleur dossier de tout le baseball majeur, ils étaient sur une lancée que seul un arrêt de travail aurait pu arrêter : 20 victoires à leurs 23 derniers matchs! Pourtant, ils avaient amorcé la saison lentement : fiche de 28 victoires contre 22 défaites (.560) après le mois de mai. C'est donc dire qu'au cours des 64 derniers matchs de la saison, les Expos ont maintenu un dossier de 46-18, bon pour une moyenne de .718. En maintenant le rythme d'après mai, les Expos aurait complété l'année avec 108 victoires contre 54 défaites.
À cette cadence, les Expos auraient fort probablement été consacrés champions de leur division deux semaines avant la fin de la saison.
Et les amateurs québécois, qui se faisaient toujours de plus en plus présents au Stade olympique (moyenne de 22 390 par match, la meilleure moyenne depuis 1987), commençaient à rêver à la Série mondiale... et avec raison. Jamais avait-on vu ce club terroriser à ce point les autres formations de la Ligue nationale.
"Nous n'étions pas complètement conscients de notre force avant la mi-saison. Nous voyions les autres clubs pendant les échauffements d'avant match, ils avaient peur de nous. Nous pouvions le sentir. C'est là que nous nous sommes rendus compte à quel point nous étions bons", indique Moises Alou.
Au bâton, les Expos étaient deuxièmes dans la Nationale pour la moyenne (.278), troisièmes pour les points (585), troisièmes pour les coups sûrs (1111), deuxièmes pour les doubles (246) et cinquièmes pour les buts sur balles (379).
Au monticule, c'était encore mieux : premiers pour la moyenne de points mérités (3.56), premiers pour les victoires (74), deuxièmes pour les coups sûrs (970), deuxièmes pour les points accordés (454), premiers pour les buts sur balles (288) et troisièmes pour les retraits au bâton (805).
Individuellement, Moises Alou montrait la quatrième meilleure moyenne au bâton de la Nationale (.339), Marquis Grissom venait au deuxième rang pour les points marqués (96) et au troisième pour les buts volés (36), Larry Walker était le meilleur frappeur de doubles de la ligue avec ses 44 coups de deux buts, Ken Hill dominait la ligue avec ses 16 victoires, Jeff Fassero revendiquait la deuxième meilleure moyenne de points mérités (2.99), John Wetteland avait sauvé 25 victoires (au quatrième rang) et, malgré son jeune âge, Pedro Martinez avait commencé à récolter les retraits au bâton à la tonne (142 en 144 manches, bon pour le cinquième rang de la ligue).
Menés par les performances des vedettes, les joueurs de "soutien" connaissaient également une saison hors du commun : Wilfredo Cordero (.294, 15 circuits, 63 points produits), Sean Berry (.278, 11 circuits, 41 points produits), Darrin Fletcher (.260, 10 circuits, 57 points produits) Cliff Floyd, à son année recrue, (.281, 4 circuits, 41 points produits).
Mais les partisans, ni les joueurs, n'ont jamais eu le droit de célébrer en octobre 1994.
Pourtant, à l’époque, on disait que le conflit ne durerait que quelques semaines.
"Annuler la Série mondiale semblait aussi plausible qu’annuler Noël", écrit le New York Post dans un article consacré à la grève.
"Nous, les joueurs, étions convaincus que peu importe ce qui se serait passé, nous aurions recommencé à jouer avant la fin de la saison. Nous n’avons jamais pensé qu’il n’y aurait pas de séries éliminatoires et de Série mondiale", se souvient le lanceur Kirk Rueter.
Mais finalement, le 14 septembre, le commissaire Bud Selig a annoncé à l’Amérique la mauvaise nouvelle. Pour la première fois depuis 90 ans, il n’y aurait pas de Série mondiale. Un "exploit" que pas même les deux Guerres mondiales n’avaient réussi à accomplir.
What if ?
Dans la langue de Shakespeare, on utilise l'expression : "what if?". Difficile de prédire l'avenir, mais Pedro Martinez, qui en était à sa première année avec l'équipe en 1994, a sa petite idée sur ce qui serait advenu des Expos si on n'avait pas démembré le club. "Ensemble, nous aurions gagné trois ou quatre titres. Au lieu des Yankees, les Expos auraient été une dynastie à la fin des années 1990".
Car en plus d'être talentueux, les Expos étaient jeunes. Tous les joueurs de position réguliers avaient 28 ans ou moins. Chez les lanceurs, seul Jeff Fassero avait plus de 30 ans. Et il ne faudrait pas oublier qu'un certain Vladimir Guerrero aurait joint les rangs de cette machine un jour ou l'autre.
La fin du baseball à Montréal
Malheureusement, les Expos et les partisans n'ont plus vraiment la chance de célébrer depuis.
"Ce fut la fin du baseball à Montréal", se rappelle l'ancien gérant Felipe Alou.
Avec la même formation une saison plus tard, les Expos auraient pu offrir un rendement similaire. Mais la direction en avait décidé autrement... pour des impératifs financiers.
Quand la grève a pris fin le 31 mars 1995, soit 232 jours plus tard, le directeur général de l'époque, Kevin Malone, s'est vu confier un rôle très précis : se débarrasser du coeur de l'équipe. C'est ainsi qu'en trois jours, Malone a dû échanger Ken Hill, John Wetteland et Marquis Grissom. Pour sa part, Larry Walker a accepté un contrat comme joueur autonome avec les Rockies du Colorado; contre l'un des frappeurs les plus dangereux de la ligue, les Expos n'ont même pas eu droit à une paire de bas sales.
"Quand vous bâtissez une équipe championne, de quoi avez-vous besoin? D'un premier frappeur, d'un joueur qui vide les sentiers, d'un as partant et d'un as releveur. Nous avions ces quatre éléments. Nous les avons laissés aller", grogne Alou.
Brochu et Selig
Mais, à l'époque, Claude Brochu, actionnaire majoritaire, insistait pour dire qu'il ne pouvait payer les Grissom, Walker, Hill et Wetteland. Selon lui, garder l'équipe intacte en 1995 aurait coûté 25 millions de dollars, ce qui aurait porté la dette de l'équipe à 40 millions.
Pour l'ineffable commissaire Selig, un homme qui sait se faire des amis, la théorie voulant que les Expos paient encore aujourd'hui le prix de la grève est complètement ridicule.
"Je rejette cette idée. Il y avait déjà des problèmes avec cette concession quand Charles Bronfman a vendu l'équipe une première fois en 1991, des problèmes à rassembler des partenaires locaux. Le problème existe encore : manque de contrôle local, manque d'appui des partisans et il n'y a pas de nouveau stade". Le genre de réaction qui permettra sans doute à Selig de se faire encore de nouveaux amis parmi les partisans de l'équipe.
Mais dans le fond, peut-être que Selig ne pense pas vraiment ce qu'il dit... puisqu'il est le même commissaire qui travaille à temps plein depuis trois ans à trouver un nouveau domicile aux Expos...
-Felipe Alou
Lundi 9 août 2004 - (RDS) - Cette semaine marque le dixième anniversaire de la tristement célèbre grève du baseball majeur, déclenchée le 12 août 1994. Une grève qui devait ne durer que quelques semaines. Mais on connaît la suite, surtout les partisans des Expos, qui ont vu s'envoler en quelques semaines les espoirs de voir les Z'Amours remporter les grands honneurs. Selon plusieurs, le 12 août 1994 fut le début d'un long processus, celui de la lente agonie des Expos.
Le scénario de 1994 était celui dont les amateurs montréalais rêvaient depuis 1969, une équipe championne. Il y avait bien eu cette édition de 1981 que seul un circuit de Rick Monday a privé d'une participation à la Série mondiale, mais l'édition de 1994 lui était de loin supérieure.
Menés par le gourou Felipe Alou, les Expos revendiquaient une incroyable fiche de 74 victoires contre seulement 40 défaites (soit une moyenne de .649) au moment du déclenchement de la grève. 74 victoires en 114 matchs! Il y a fort à parier que l'édition actuelle des Expos ne remportera même pas 74 matchs sur 162 cette saison!
Grâce à cette fiche, les Expos devançaient les éternels Braves d'Atlanta par six parties au sommet de la division Est.
"Au début de la grève, j'ai rencontré Tom Glavine, le partant des Braves et il m'a dit : « Felipe, c'est triste pour vous parce que je ne vois pas comment nous aurions été capables de vous devancer avec une telle équipe »", se remémore Alou.
Une saison de 108 victoires
Les Expos ne montraient pas seulement le meilleur dossier de tout le baseball majeur, ils étaient sur une lancée que seul un arrêt de travail aurait pu arrêter : 20 victoires à leurs 23 derniers matchs! Pourtant, ils avaient amorcé la saison lentement : fiche de 28 victoires contre 22 défaites (.560) après le mois de mai. C'est donc dire qu'au cours des 64 derniers matchs de la saison, les Expos ont maintenu un dossier de 46-18, bon pour une moyenne de .718. En maintenant le rythme d'après mai, les Expos aurait complété l'année avec 108 victoires contre 54 défaites.
À cette cadence, les Expos auraient fort probablement été consacrés champions de leur division deux semaines avant la fin de la saison.
Et les amateurs québécois, qui se faisaient toujours de plus en plus présents au Stade olympique (moyenne de 22 390 par match, la meilleure moyenne depuis 1987), commençaient à rêver à la Série mondiale... et avec raison. Jamais avait-on vu ce club terroriser à ce point les autres formations de la Ligue nationale.
"Nous n'étions pas complètement conscients de notre force avant la mi-saison. Nous voyions les autres clubs pendant les échauffements d'avant match, ils avaient peur de nous. Nous pouvions le sentir. C'est là que nous nous sommes rendus compte à quel point nous étions bons", indique Moises Alou.
Au bâton, les Expos étaient deuxièmes dans la Nationale pour la moyenne (.278), troisièmes pour les points (585), troisièmes pour les coups sûrs (1111), deuxièmes pour les doubles (246) et cinquièmes pour les buts sur balles (379).
Au monticule, c'était encore mieux : premiers pour la moyenne de points mérités (3.56), premiers pour les victoires (74), deuxièmes pour les coups sûrs (970), deuxièmes pour les points accordés (454), premiers pour les buts sur balles (288) et troisièmes pour les retraits au bâton (805).
Individuellement, Moises Alou montrait la quatrième meilleure moyenne au bâton de la Nationale (.339), Marquis Grissom venait au deuxième rang pour les points marqués (96) et au troisième pour les buts volés (36), Larry Walker était le meilleur frappeur de doubles de la ligue avec ses 44 coups de deux buts, Ken Hill dominait la ligue avec ses 16 victoires, Jeff Fassero revendiquait la deuxième meilleure moyenne de points mérités (2.99), John Wetteland avait sauvé 25 victoires (au quatrième rang) et, malgré son jeune âge, Pedro Martinez avait commencé à récolter les retraits au bâton à la tonne (142 en 144 manches, bon pour le cinquième rang de la ligue).
Menés par les performances des vedettes, les joueurs de "soutien" connaissaient également une saison hors du commun : Wilfredo Cordero (.294, 15 circuits, 63 points produits), Sean Berry (.278, 11 circuits, 41 points produits), Darrin Fletcher (.260, 10 circuits, 57 points produits) Cliff Floyd, à son année recrue, (.281, 4 circuits, 41 points produits).
Mais les partisans, ni les joueurs, n'ont jamais eu le droit de célébrer en octobre 1994.
Pourtant, à l’époque, on disait que le conflit ne durerait que quelques semaines.
"Annuler la Série mondiale semblait aussi plausible qu’annuler Noël", écrit le New York Post dans un article consacré à la grève.
"Nous, les joueurs, étions convaincus que peu importe ce qui se serait passé, nous aurions recommencé à jouer avant la fin de la saison. Nous n’avons jamais pensé qu’il n’y aurait pas de séries éliminatoires et de Série mondiale", se souvient le lanceur Kirk Rueter.
Mais finalement, le 14 septembre, le commissaire Bud Selig a annoncé à l’Amérique la mauvaise nouvelle. Pour la première fois depuis 90 ans, il n’y aurait pas de Série mondiale. Un "exploit" que pas même les deux Guerres mondiales n’avaient réussi à accomplir.
What if ?
Dans la langue de Shakespeare, on utilise l'expression : "what if?". Difficile de prédire l'avenir, mais Pedro Martinez, qui en était à sa première année avec l'équipe en 1994, a sa petite idée sur ce qui serait advenu des Expos si on n'avait pas démembré le club. "Ensemble, nous aurions gagné trois ou quatre titres. Au lieu des Yankees, les Expos auraient été une dynastie à la fin des années 1990".
Car en plus d'être talentueux, les Expos étaient jeunes. Tous les joueurs de position réguliers avaient 28 ans ou moins. Chez les lanceurs, seul Jeff Fassero avait plus de 30 ans. Et il ne faudrait pas oublier qu'un certain Vladimir Guerrero aurait joint les rangs de cette machine un jour ou l'autre.
La fin du baseball à Montréal
Malheureusement, les Expos et les partisans n'ont plus vraiment la chance de célébrer depuis.
"Ce fut la fin du baseball à Montréal", se rappelle l'ancien gérant Felipe Alou.
Avec la même formation une saison plus tard, les Expos auraient pu offrir un rendement similaire. Mais la direction en avait décidé autrement... pour des impératifs financiers.
Quand la grève a pris fin le 31 mars 1995, soit 232 jours plus tard, le directeur général de l'époque, Kevin Malone, s'est vu confier un rôle très précis : se débarrasser du coeur de l'équipe. C'est ainsi qu'en trois jours, Malone a dû échanger Ken Hill, John Wetteland et Marquis Grissom. Pour sa part, Larry Walker a accepté un contrat comme joueur autonome avec les Rockies du Colorado; contre l'un des frappeurs les plus dangereux de la ligue, les Expos n'ont même pas eu droit à une paire de bas sales.
"Quand vous bâtissez une équipe championne, de quoi avez-vous besoin? D'un premier frappeur, d'un joueur qui vide les sentiers, d'un as partant et d'un as releveur. Nous avions ces quatre éléments. Nous les avons laissés aller", grogne Alou.
Brochu et Selig
Mais, à l'époque, Claude Brochu, actionnaire majoritaire, insistait pour dire qu'il ne pouvait payer les Grissom, Walker, Hill et Wetteland. Selon lui, garder l'équipe intacte en 1995 aurait coûté 25 millions de dollars, ce qui aurait porté la dette de l'équipe à 40 millions.
Pour l'ineffable commissaire Selig, un homme qui sait se faire des amis, la théorie voulant que les Expos paient encore aujourd'hui le prix de la grève est complètement ridicule.
"Je rejette cette idée. Il y avait déjà des problèmes avec cette concession quand Charles Bronfman a vendu l'équipe une première fois en 1991, des problèmes à rassembler des partenaires locaux. Le problème existe encore : manque de contrôle local, manque d'appui des partisans et il n'y a pas de nouveau stade". Le genre de réaction qui permettra sans doute à Selig de se faire encore de nouveaux amis parmi les partisans de l'équipe.
Mais dans le fond, peut-être que Selig ne pense pas vraiment ce qu'il dit... puisqu'il est le même commissaire qui travaille à temps plein depuis trois ans à trouver un nouveau domicile aux Expos...