Publié : jeu. avr. 29, 2004 2:04 pm
L'esprit de communauté
Sénécal, Patrick
En remplacement de Bruno Blanchet, l'écrivain (et banlieusard) Patrick Senécal (Sur le seuil, 5150 rue des Ormes, Aliss, etc.) poursuit là où il nous avait laissés la dernière fois: pas loin de l'horreur.
Il y a quelques semaines, je racontais dans ce journal une virée à Montréal qui a failli mal se terminer pour moi. À la suite de ce papier, un journaliste de la grande ville m'appelle pour faire un reportage sur les banlieues et tous les préjugés dont elle est la cible. Je l'invite sur le champ.
Lorsqu'il arrive, je l'attends sur le trottoir, avec mon voisin André. Présentations, poignées de mains. Je lui propose une petite visite guidée du quartier. Tout en marchant, le journaliste me demande:
" On dit qu'en banlieue, les gens ne fraternisent pas beaucoup..."
- Vraiment?... On va vérifier ça... " Nous allons dans la cour arrière d'une maison d'un de mes voisins, Gilles. Ce dernier est en train de planter un poteau en bois dans le sol. Tout content de nous voir, il serre la main du journaliste avec chaleur. Assise sur le patio, sa femme, Louise, est en train de tricoter. Elle nous offre un café que nous refusons, puis nous retournons dans la rue.
" Alors, vous trouvez que nos voisins sont sauvages? " demande André au journaliste.
En disant cela, nous voyons Pierre et sa femme, Nicole, revenir de l'épicerie. En entrant dans leur maison, ils nous envoient la main. Le journaliste prend des notes dans son calepin en hochant la tête.
Nous passons devant le parc où une dizaine d'enfants jouent, dont Julie, la fille d'André.
" On joue aux agents secrets! explique la gamine. C'est Didier l'espion et on le cherche! "
Le journaliste, amusé, continue à prendre des notes. Nous arrivons ensuite devant la maison de Jean-Claude, notre nouveau voisin haïtien, en train de jardiner. Il s'approche.
" Dites donc, ce soir, je peux amener mon petit ami avec moi? " nous demande-t-il.
- Pas de problème, Jean-Claude! "
Il nous remercie, satisfait, puis nous nous éloignons. Nous expliquons au journaliste que nous faisons une petite fête ce soir en l'honneur de Jean-Claude.
" Vous avez préparé une fête pour l'arrivée d'un Noir homosexuel dans votre quartier? s'étonne-t-il."
- Bien sûr! Ça va se faire chez Gilles! "
Le journaliste note toujours, de plus en plus impressionné. On revient enfin chez moi.
" Je vais faire un papier très positif sur la banlieue! promet le journaliste."
- Vous ne voulez pas rester avec nous pour la fête de ce soir? que je demande. "
Il ne peut malheureusement pas, mais il nous invite à venir participer à une manifestation dimanche contre la présence américaine en Irak. André et moi disons qu'on allait y réfléchir. Puis il s'en va.
Tandis que nous poursuivons notre promenade, André et moi repassons devant le parc. Les enfants ont enfin trouvé Didier et l'ont attaché contre un arbre. Ainsi, il ne peut éviter les roches que lui lancent ses copains. Ah! la jeunesse! Quelle douce insouciance!
" On mange dans une demi-heure, Julie! crie André à sa fille. Pis oubliez pas de détacher Didier avant de partir, faites pas comme la dernière fois! "
Nous repassons devant la maison de Pierre. Par la grande fenêtre avant, nous le voyons en train de battre sa femme, comme il le fait chaque jour à pareille heure. Nous le saluons et, entre deux baffes, il nous répond d'une main sanglante.
Enfin, nous retournons dans la cour de Gilles. Ce dernier a terminé son bricolage: le poteau de bois est maintenant une magnifique croix, sur laquelle il déverse du mazout. Je le complimente sur son travail.
" Ouais, merci... Je vais justement faire un test, là... "
Il jette une allumette contre la croix, qui se met à flamber avec magnificence. Nous regardons cela un moment, admiratifs. Louise nous montre le résultat de son tricot: une superbe cagoule toute blanche. Elle en a une vingtaine d'autres comme celle-là.
" Chaque invité en aura une, y compris les enfants! "
Gilles nous apprend que le maire a l'intention d'interdire les abris Tempo dans le quartier. André et moi nous étouffons d'indignation.
" On va organiser une manifestation, dimanche, dit Gilles. Vous allez être là?"
- Certain! Y'a des limites à l'injustice et à l'abus de pouvoir! "
Puis André et moi repartons. Dans la rue, une voiture passe devant nous. C'est Jean-Claude, qui, tout souriant, nous envoie la main en lançant: " À ce soir! "
Nous regardons sa voiture s'éloigner. Ça va être une belle fête...
Je ne sais pas si ce texte a sa place dans le Dôme ou l'Artrium alors Slick, si tu juges qu'il convient mieux à l'Artrium, switch-le!
Dommage que le journaliste ne reste pas pour voir ça, soupire André."
- Ouais... Il aurait vraiment vu à quel point l'esprit de communauté règne ici. "
Nous écoutons un moment les oiseaux gazouiller. Oui, franchement, la vie est vraiment parfaite en banlieue...
Sénécal, Patrick
En remplacement de Bruno Blanchet, l'écrivain (et banlieusard) Patrick Senécal (Sur le seuil, 5150 rue des Ormes, Aliss, etc.) poursuit là où il nous avait laissés la dernière fois: pas loin de l'horreur.
Il y a quelques semaines, je racontais dans ce journal une virée à Montréal qui a failli mal se terminer pour moi. À la suite de ce papier, un journaliste de la grande ville m'appelle pour faire un reportage sur les banlieues et tous les préjugés dont elle est la cible. Je l'invite sur le champ.
Lorsqu'il arrive, je l'attends sur le trottoir, avec mon voisin André. Présentations, poignées de mains. Je lui propose une petite visite guidée du quartier. Tout en marchant, le journaliste me demande:
" On dit qu'en banlieue, les gens ne fraternisent pas beaucoup..."
- Vraiment?... On va vérifier ça... " Nous allons dans la cour arrière d'une maison d'un de mes voisins, Gilles. Ce dernier est en train de planter un poteau en bois dans le sol. Tout content de nous voir, il serre la main du journaliste avec chaleur. Assise sur le patio, sa femme, Louise, est en train de tricoter. Elle nous offre un café que nous refusons, puis nous retournons dans la rue.
" Alors, vous trouvez que nos voisins sont sauvages? " demande André au journaliste.
En disant cela, nous voyons Pierre et sa femme, Nicole, revenir de l'épicerie. En entrant dans leur maison, ils nous envoient la main. Le journaliste prend des notes dans son calepin en hochant la tête.
Nous passons devant le parc où une dizaine d'enfants jouent, dont Julie, la fille d'André.
" On joue aux agents secrets! explique la gamine. C'est Didier l'espion et on le cherche! "
Le journaliste, amusé, continue à prendre des notes. Nous arrivons ensuite devant la maison de Jean-Claude, notre nouveau voisin haïtien, en train de jardiner. Il s'approche.
" Dites donc, ce soir, je peux amener mon petit ami avec moi? " nous demande-t-il.
- Pas de problème, Jean-Claude! "
Il nous remercie, satisfait, puis nous nous éloignons. Nous expliquons au journaliste que nous faisons une petite fête ce soir en l'honneur de Jean-Claude.
" Vous avez préparé une fête pour l'arrivée d'un Noir homosexuel dans votre quartier? s'étonne-t-il."
- Bien sûr! Ça va se faire chez Gilles! "
Le journaliste note toujours, de plus en plus impressionné. On revient enfin chez moi.
" Je vais faire un papier très positif sur la banlieue! promet le journaliste."
- Vous ne voulez pas rester avec nous pour la fête de ce soir? que je demande. "
Il ne peut malheureusement pas, mais il nous invite à venir participer à une manifestation dimanche contre la présence américaine en Irak. André et moi disons qu'on allait y réfléchir. Puis il s'en va.
Tandis que nous poursuivons notre promenade, André et moi repassons devant le parc. Les enfants ont enfin trouvé Didier et l'ont attaché contre un arbre. Ainsi, il ne peut éviter les roches que lui lancent ses copains. Ah! la jeunesse! Quelle douce insouciance!
" On mange dans une demi-heure, Julie! crie André à sa fille. Pis oubliez pas de détacher Didier avant de partir, faites pas comme la dernière fois! "
Nous repassons devant la maison de Pierre. Par la grande fenêtre avant, nous le voyons en train de battre sa femme, comme il le fait chaque jour à pareille heure. Nous le saluons et, entre deux baffes, il nous répond d'une main sanglante.
Enfin, nous retournons dans la cour de Gilles. Ce dernier a terminé son bricolage: le poteau de bois est maintenant une magnifique croix, sur laquelle il déverse du mazout. Je le complimente sur son travail.
" Ouais, merci... Je vais justement faire un test, là... "
Il jette une allumette contre la croix, qui se met à flamber avec magnificence. Nous regardons cela un moment, admiratifs. Louise nous montre le résultat de son tricot: une superbe cagoule toute blanche. Elle en a une vingtaine d'autres comme celle-là.
" Chaque invité en aura une, y compris les enfants! "
Gilles nous apprend que le maire a l'intention d'interdire les abris Tempo dans le quartier. André et moi nous étouffons d'indignation.
" On va organiser une manifestation, dimanche, dit Gilles. Vous allez être là?"
- Certain! Y'a des limites à l'injustice et à l'abus de pouvoir! "
Puis André et moi repartons. Dans la rue, une voiture passe devant nous. C'est Jean-Claude, qui, tout souriant, nous envoie la main en lançant: " À ce soir! "
Nous regardons sa voiture s'éloigner. Ça va être une belle fête...
Je ne sais pas si ce texte a sa place dans le Dôme ou l'Artrium alors Slick, si tu juges qu'il convient mieux à l'Artrium, switch-le!
Dommage que le journaliste ne reste pas pour voir ça, soupire André."
- Ouais... Il aurait vraiment vu à quel point l'esprit de communauté règne ici. "
Nous écoutons un moment les oiseaux gazouiller. Oui, franchement, la vie est vraiment parfaite en banlieue...