Feu l'objectivité (chronique de Richard Martineau)
Publié : dim. janv. 25, 2009 8:42 am
La chronique de Richard Martineau
Feu l'objectivité
Richard Martineau
Journal de Montréal
22/01/2009 09h02
Aujourd'hui, je profite du fait que tout le monde parle de politique américaine pour vous poser une question quiz.
Il y a quelques années, un président des États-Unis a voté une loi (l'Antiterrorism and Effective Death Penalty Act) destinée à limiter les droits des détenus soupçonnés de terrorisme.
Cette loi, décriée par Amnistie Internationale, a étendu l'application de la peine de mort à près de 60 crimes violents et permis aux autorités de s'affranchir, dans certains cas, de l'habeas corpus, c'est-à-dire de l'obligation de présenter au juge les raisons motivant l'arrestation de quelqu'un ou sa détention, même provisoire.
Quel président a voté cette loi? George W. Bush? Non. Bill Clinton. En 1996.
DEUX POIDS, DEUX MESURES
Prononcez le nom de Bill Clinton, et tout le monde va vous dire qu'il était un grand président de gauche, un leader charismatique qui a été victime d'une cabale des conservateurs et qui a joué du saxophone au talk-show d'Arsenio Hall.
Personne ne va vous parler de l'Antiterrorism and Effective Death Penalty Act, qui a pavé la voie au Patriot Act de George W. Bush et à Guantánamo.
Pourquoi? Tout simplement parce que les démocrates ne sont pas jugés aussi sévèrement que les républicains.
Clinton passe une loi qui restreint les droits des détenus, et on hausse les épaules. Bush adopte une loi qui va dans le même sens, et le monde se soulève.
Deux poids, deux mesures.
DEUX RACISMES ?
Il y a quelques jours, des Montréalais ont marché dans la rue pour dénoncer les frappes israéliennes à Gaza. Parmi les manifestants, certains scandaient des slogans antisémites, appelant à la destruction d'Israël et traitant les juifs de chiens.
Ces débordements ont, avec raison, choqué et inquiété plusieurs juifs.
Or, une chroniqueuse de La Presse a écrit qu'il ne fallait pas en faire un plat. Oui, certains slogans racistes avaient été scandés, mais ils étaient minoritaires.
«Toute manifestation du genre comporte un risque de dérapage», a-t-elle écrit. En d'autres mots, calmez-vous, il n'y a pas de quoi fouetter un chat.
Imaginez l'inverse. Imaginez que, dans une manif destinée à critiquer le Hamas, des militants traitent les musulmans de chiens.
Vous pensez que cette chroniqueuse banaliserait la situation en disant que, de toute façon, «toute manifestation du genre comporte un risque de dérapage»?
Non. Elle grimperait dans les rideaux en criant au racisme.
DES DÉRAPAGES PARDONNABLES
C'est toujours la même chose: quand la droite dérape, c'est inexcusable et injustifiable. Quand la gauche dérape, elle a ses raisons, et il faut la comprendre.
Quand un président républicain ne cesse de parler du Ti-Jésus, c'est inquiétant. Quand un président démocrate ne cesse de parler du Ti-Jésus, c'est inspirant.
Pourquoi? Parce qu'on a l'indignation sélective. On juge différemment le message selon la position que le messager occupe sur l'échiquier politique.
Et étant donné que la majorité des journalistes et des chroniqueurs sont de gauche, les représentants de la gauche jouissent d'un plus grand capital de sympathie que leurs vis-à-vis de la droite.
TRAVAILLEURS HUMANITAIRES
Vous connaissez la philosophie qui soutient les travailleurs humanitaires? «Toute victime doit être sauvée, qu'importe ses positions politiques.»
Eh bien, je crois que les journalistes devraient agir de la même façon. «Tout politicien, tout militant et tout manifestant doit être jugé avec impartialité, qu'importe ses positions.»
Ça s'appelle «l'objectivité».
Feu l'objectivité
Richard Martineau
Journal de Montréal
22/01/2009 09h02
Aujourd'hui, je profite du fait que tout le monde parle de politique américaine pour vous poser une question quiz.
Il y a quelques années, un président des États-Unis a voté une loi (l'Antiterrorism and Effective Death Penalty Act) destinée à limiter les droits des détenus soupçonnés de terrorisme.
Cette loi, décriée par Amnistie Internationale, a étendu l'application de la peine de mort à près de 60 crimes violents et permis aux autorités de s'affranchir, dans certains cas, de l'habeas corpus, c'est-à-dire de l'obligation de présenter au juge les raisons motivant l'arrestation de quelqu'un ou sa détention, même provisoire.
Quel président a voté cette loi? George W. Bush? Non. Bill Clinton. En 1996.
DEUX POIDS, DEUX MESURES
Prononcez le nom de Bill Clinton, et tout le monde va vous dire qu'il était un grand président de gauche, un leader charismatique qui a été victime d'une cabale des conservateurs et qui a joué du saxophone au talk-show d'Arsenio Hall.
Personne ne va vous parler de l'Antiterrorism and Effective Death Penalty Act, qui a pavé la voie au Patriot Act de George W. Bush et à Guantánamo.
Pourquoi? Tout simplement parce que les démocrates ne sont pas jugés aussi sévèrement que les républicains.
Clinton passe une loi qui restreint les droits des détenus, et on hausse les épaules. Bush adopte une loi qui va dans le même sens, et le monde se soulève.
Deux poids, deux mesures.
DEUX RACISMES ?
Il y a quelques jours, des Montréalais ont marché dans la rue pour dénoncer les frappes israéliennes à Gaza. Parmi les manifestants, certains scandaient des slogans antisémites, appelant à la destruction d'Israël et traitant les juifs de chiens.
Ces débordements ont, avec raison, choqué et inquiété plusieurs juifs.
Or, une chroniqueuse de La Presse a écrit qu'il ne fallait pas en faire un plat. Oui, certains slogans racistes avaient été scandés, mais ils étaient minoritaires.
«Toute manifestation du genre comporte un risque de dérapage», a-t-elle écrit. En d'autres mots, calmez-vous, il n'y a pas de quoi fouetter un chat.
Imaginez l'inverse. Imaginez que, dans une manif destinée à critiquer le Hamas, des militants traitent les musulmans de chiens.
Vous pensez que cette chroniqueuse banaliserait la situation en disant que, de toute façon, «toute manifestation du genre comporte un risque de dérapage»?
Non. Elle grimperait dans les rideaux en criant au racisme.
DES DÉRAPAGES PARDONNABLES
C'est toujours la même chose: quand la droite dérape, c'est inexcusable et injustifiable. Quand la gauche dérape, elle a ses raisons, et il faut la comprendre.
Quand un président républicain ne cesse de parler du Ti-Jésus, c'est inquiétant. Quand un président démocrate ne cesse de parler du Ti-Jésus, c'est inspirant.
Pourquoi? Parce qu'on a l'indignation sélective. On juge différemment le message selon la position que le messager occupe sur l'échiquier politique.
Et étant donné que la majorité des journalistes et des chroniqueurs sont de gauche, les représentants de la gauche jouissent d'un plus grand capital de sympathie que leurs vis-à-vis de la droite.
TRAVAILLEURS HUMANITAIRES
Vous connaissez la philosophie qui soutient les travailleurs humanitaires? «Toute victime doit être sauvée, qu'importe ses positions politiques.»
Eh bien, je crois que les journalistes devraient agir de la même façon. «Tout politicien, tout militant et tout manifestant doit être jugé avec impartialité, qu'importe ses positions.»
Ça s'appelle «l'objectivité».